mardi 3 novembre 2015

La poupée et la nuit

Question: et si le sentiment le plus fécond au cinéma était la peur ? Franchement, je ne compte plus le nombre de films qui en font usage comme premier carburant de leur scénario. Bunny Lake a disparu s'amuse à imaginer les réactions d'une jeune mère dont la petite fille s'est évanouie dans la nature. Une idée simple d'autant plus efficace que la gamine n'est visible dans aucune des toutes premières scènes !

Toute la question est donc: faut-il faire confiance à cette femme américaine, tout juste arrivée en Europe, qui prétend avoir conduit son enfant jusqu'à sa nouvelle école, mais ne trouve aucun témoin oculaire pour le confirmer à la police ? Cette grande interrogation joue méchamment sur nos nerfs à vif et, en attendant que le mystère se dissipe, installe doucement mais sûrement un climat de paranoïa propre à nous faire douter tour à tour de chacun des protagonistes. Malgré son demi-siècle et son noir et blanc, Bunny Lake a disparu soutient sans mal la comparaison avec d'autres opus plus récents. C'est une nouvelle (belle) preuve que le vrai bon cinéma n'a pas d'âge. Et même si, évidemment, quand on se lance avec Laurence Olivier parmi les rôles principaux, on a déjà une marge sur la concurrence...

Je n'ai rien vu qui me fasse crier au génie, mais j'ai bien apprécié l'ensemble de ce petit film, surtout parce que l'énigme et le suspense tiennent leurs promesses (presque) jusqu'au bout. Certaines scènes muettes sont de fait tout à fait saisissantes, à l'image d'une visite nocturne dans un magasin de poupées ou d'une évasion hospitalière joliment haletante. Autre qualité certaine: la galerie de personnages secondaires, assez riche pour durablement brouiller les pistes - il y a d'ailleurs plein de rebondissements que je n'avais pas su anticiper. J'ai également apprécié le choix fait de tourner ce thriller à Londres. Avec un Américain derrière la caméra, ce n'est pas forcément anodin. Bunny Lake a disparu est parfois présenté comme le dernier bon film de son auteur. Moi qui n'en ai pas vu d'autres, je ne peux pas prendre position sur ce point, mais j'ai en tout cas passé un bon moment. Pour tourner la page d'une grosse semaine côté boulot, c'était tip-top.

Bunny Lake a disparu
Film britannique d'Otto Preminger (1965)

Pour être honnête, je vais quand même souligner que le long-métrage ne rejoint pas les hauts sommets d'angoisse que d'autres classiques comme Le troisième homme ou Psychose, eux, atteignent aisément. Cela étant, si on ne tient pas compte de ces possibles influences extérieures, je ne vois aucune raison de dédaigner cette histoire. L'alternance ombres et lumières m'a aussi rappelé Seule dans la nuit.

6 commentaires:

dasola a dit…

Bonjour Martin, j'ai découvert ce film il y a quelques semaines, je ne l'avais jamais vu. J'ai trouvé que l'intrigue tenait la route. Jusqu'au bout, on se demande si Ann Lake, la maman n'est pas affabulatrice. Un film qui m'a agréablement surprise. Bonne journée.

ideyvonne@aol.com a dit…

Vu il y a très longtemps mais j'en ai gardé la même impression que dans tes commentaires et puis on ne lâche pas le film, on a vraiment envie de savoir :)
Il me semble qu'il est passé sur TCM avec le cycle de Laurence Olivier

Martin a dit…

@Dasola:

Il semble que nous soyons d'accord en tous points, sur ce coup-là, si ce n'est que, pour ma part, je ne parlerais pas de surprise. Disons juste que j'avais un bon pressentiment sur le film après avoir lu un petit résumé de l'intrigue, pressentiment qui s'est donc confirmé.

Martin a dit…

@Ideyvonne:

C'est précisément sur TCM que je l'ai découvert il y a une quinzaine de jours. Je te conseille de le revoir si tu en as l'occasion... surtout que ça m'a paru assez intéressant au niveau photographique.

Valfabert a dit…

Un film d'atmosphère autant que de suspense, d'après mon impression.
La scène muette de l'évasion de l'hôpital, mentionnée avec raison dans la chronique, appartient, me semble-t-il, à cette catégorie de scènes qui, à l'écart tout exercice de style, signalent les grands cinéastes.

Martin a dit…

Oui, je suis bien d'accord avec vous: il s'agit bien d'un film d'atmosphère.
Et quelle atmosphère ! Otto Preminger avait vraiment tout d'un grand réalisateur.