lundi 10 février 2014

Golden boy

Le loup de Wall Street est-il, comme je l'ai lu, "un cocktail Molotov cinématographique, alliant la folie d'un Terry Gilliam à la grandeur d'un Milos Forman et à l'acidité d'un Oliver Stone" ? Ou bien serait-il plutôt, au contraire, "un navet racoleur enfilant les clichés pour plaire aux admirateurs de Jean-Luc Mélenchon" ? Ni l'un ni l'autre, dirais-je. Je dois avant tout reconnaître que j'ai pris beaucoup de plaisir à voir en salles le nouveau film de Martin Scorsese. Ces trois heures passées chez les plus fous des traders m'ont fasciné. Je vais vous expliquer...

Tout part d'un personnage réel, dont le nom est d'ailleurs conservé dans le film: Jordan Belfort. Le loup de Wall Street, c'est lui. Disons plutôt que c'était lui, puisqu'après un peu de prison, l'ex-golden boy doit encore rembourser une somme XXL à ceux qu'il a floués jadis. Nous sommes à la fin des années 80. Embauché comme assistant courtier chez Rothschild, Belfort perd son emploi un jour où la Bourse dévisse un peu trop fort. Déjà marié, il tâche d'assurer ses arrières en privilégiant un petit boulot rémunérateur. Il comprend vite toutefois qu'il peut gagner plus d'argent en revenant sans tergiverser à ses premières amours financières. Belfort lance sa propre société de gestion et part à la chasse aux petits porteurs. D'abord tournée vers les valeurs non cotées, Stratton Oakmont devient rapidement l'une des plus grosses sociétés de courtage sur la place de New York. Pognon, drogues et putes: ses hauts dirigeants multiplient les excès.

N'attendez pas du film qu'il vous décrypte le fonctionnement régulier de la haute finance: ce n'est pas le but recherché. Le scénario détaille plutôt par le menu les mille et un délires d'un groupe de jeunes gens dénués de tout scrupule. Le spectacle est pour le moins frénétique. Dans la vie des yuppies, pas de place pour autre chose que le plaisir permanent: on a nécessairement la femme la plus classe, la maîtresse la plus soumise, la bagnole la plus tape à l'oeil et le yacht le plus gros. Quand on en a marre, on en change... et on recommence. Il y a quelque chose d'incroyablement amusant à voir tourner le manège enchanté. Martin Scorsese lance une idée à la seconde pour emballer encore l'effroyable machine. Le loup de Wall Street ne connaît donc aucun véritable temps mort. Trois heures de cinéma à haute vitesse. C'est un style caractéristique, qui ne fera pas l'unanimité. Il paraît que le seul mot fuck apparaît 506 fois dans le texte des dialogues...

Il me semble que ceux qui réduisent le film à sa (réelle) vulgarité commettent une erreur. Même appréciation pour ceux qui taxent Martin Scorsese de complaisance. Pour commencer, on ne peut éviter de noter que le réalisateur poursuit ici sa fructueuse collaboration avec son acteur fétiche, Leonardo DiCaprio. Le loup de Wall Street trouve une remarquable incarnation: de tous les plans, "Leo" envoie du lourd dans toutes les situations. Qu'il mène une négociation bancaire de haut vol ou qu'il tente de garder le contrôle de sa Ferrari sous l'emprise de l'une de ses pilules, le jeune homme assure, crédible dans toutes ses addictions. Il donne le tempo d'un film aussi explosif que totalement débridé et, par moments, furieusement drôle. Exemple: la discussion commerciale avec notre Jean Dujardin national sur l'opportunité d'un placement en Suisse est tout à fait jubilatoire. C'est un fait: le long-métrage fait rire avec ce qu'il a de plus immoral.

Est-ce bien raisonnable ? Non, probablement pas. Ce n'est pas parfait non plus, loin de là. On retrouve dans le film un schéma narratif relativement classique: ascension, chute et rédemption. Trois heures sont utilisées pour dire ce qui pourrait certainement tenir en deux. C'est du cinéma au pudding: les scènes spectaculaires s'enchaînent et, à la toute fin, quand le "méchant" tombe, on se dit qu'il pourrait aisément repartir à zéro, ne rien modifier et prospérer de plus belle. C'est après avoir lu d'autres critiques que je me suis rendu compte que Le loup de Wall Street ne montre le monde des "vraies gens" qu'à la conclusion du métrage. Libre, Belfort y a retrouvé l'oreille attentive des petits. Il a écrit sa biographie et donne des conférences sur la vente. C'est peut-être là que réside véritablement le message de Martin Scorsese: au fond, les choses n'ont pas changé. Le monde n'évolue guère et, à la fin, ce sont toujours les mêmes qui rigolent...

Le loup de Wall Street
Film américain de Martin Scorsese (2013)

Parmi les qualités que je reconnais au long-métrage, je veux citer celle de s'inscrire dans une logique de continuité thématique cohérente. Je dresse un parallèle avec Les affranchis, sorti 22 ans plus tôt. Ce qui ne veut pas dire que le style ne se renouvelle pas. Leonardo DiCaprio, lui, s'offre un nouveau grand rôle, noire antithèse de son Gatsby le magnifique. Pour une tout autre lecture des affres de la finance, on reverra avec plaisir le Blue Jasmine de Woody Allen. J'espère aussi un passage télé pour Margin call, de J.C. Chandor.

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Allez, histoire de, une petite citation du film... 
"L'année de mes 26 ans, je me suis fait 49 millions de dollars. Ça m'a carrément fait chier, parce qu'à trois près, ça aurait fait un million par semaine". Régulièrement au cours du métrage, on entend penser Jordan / Leonardo. Quand il ne parle pas directement à la caméra...

Maintenant, si vous voulez rejoindre ceux qui crient au loup...

Vous pourrez entendre parler de Martin Scorsese et Leonardo DiCaprio sur de nombreux autres blogs, parmi lesquels trois que je visite fréquemment: "Liv/raison de films", "La cinémathèque de Phil Siné" et "Sur la route du cinéma". Le film y fait pour ainsi dire l'unanimité ! Sur "Le blog de Dasola", en revanche, l'avis est moins enthousiaste.

2 commentaires:

ChonchonAelezig a dit…

Qu'est ce que j'ai hâte de le voir celui-là aussi !

Zogarok a dit…

Mais ceux qui rigolent le font encore mieux avec la complicité de leurs victimes ! Elles partagent avec "le loup" la même cupidité et une certaine inconscience - sauf qu'elles n'en jouissent pas.