vendredi 10 janvier 2020

Contre-enquête

Ce n'est plus le cas aujourd'hui, mais, il y a encore une douzaine d'années, je me rendais une fois par semaine dans un petit tribunal correctionnel pour y faire mon travail. J'y ai découvert l'aspect théâtral (et parfois passionnant) de l'activité judiciaire. Et je trouve qu'un procès peut offrir de quoi nourrir... un bon scénario de cinéma !

Que dire alors de ces moments où la justice des hommes se fourvoie ? Roman Polanski s'est penché sur la question avec J'accuse, film-récit d'une "erreur" judiciaire des plus connues: l'affaire Dreyfus, du nom de cet officier d'artillerie, jugé et condamné pour espionnage à la fin du 19ème siècle. Il y a sans aucun doute mille et une façons d'aborder un tel dossier: ici, c'est une fresque historique que nous sommes invités à suivre, en marchant dans les pas de Marie-Georges Picquart. Nommé à la tête d'un service de renseignement, cet autre militaire comprend que Dreyfus est innocent, démasque le véritable coupable et tâche de convaincre sa hiérarchie de réexaminer toute l'affaire. Or, par peur du scandale, les hauts représentants de l'état-major refusent tous de reconnaître qu'ils ont pu se tromper (ou mentir). Dreyfus est juif, après tout: sa seule foi fait de lui le bouc émissaire idéal. Quant à la suite, elle appartient aux livres d'histoire: la beauté formelle de J'accuse, le film, nous plonge dans le récit sans délai. Bon point: Jean Dujardin est parfait de sobriété dans le rôle principal.

D'une manière générale, c'est d'ailleurs l'ensemble de la distribution qui livre une prestation remarquable (et certainement "césarisable"). Parmi les visages connus, je citerai notamment Grégory Gadebois, Louis Garrel, Emmanuelle Seigner, Mathieu Amalric ou Melvil Poupaud au tableau d'honneur. Tous les rôles n'ont pas la même importance pour l'avancée de l'intrigue, mais l'addition de talents en costumes d'époque fait résolument plaisir à voir. Malgré une concurrence internationale forte, la France fabrique encore des super-productions de cet acabit: convaincu, je dis qu'il y a tout lieu de s'en réjouir. J'accuse a quelques défauts minimes: l'histoire d'amour du héros introduit un personnage féminin important, mais pas grand-chose d'autre - si ce n'est le constat que ledit héros n'est pas irréprochable. Détail plus discutable: le film ne montre pas combien l'affaire a divisé tout un pays - Roman Polanski ayant bien sûr et légitimement choisi le camp de la défense. À l'écart des polémiques liées à la personnalité du réalisateur, j'ai franchement apprécié cette belle (leçon) d'histoire.

J'accuse
Film français de Roman Polanski (2019)

Un cinéaste certes controversé, mais un vrai beau film à l'arrivée. J'admets sans difficulté que l'on fustige l'attitude de Roman Polanski et sa propension à se voir comme un nouveau Dreyfus. Je dois dire cependant que son long-métrage est digne d'intérêt, voire d'éloges. Récits d'injustices, les fictions de 12 hommes en colère, Les évadés et Du silence et des ombres sont peut-être (de très peu) meilleures !

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Il semble que le film rencontre un succès mérité...

Pascale, Dasola, Princécranoir et Strum en ont aussi fait la chronique.

10 commentaires:

Pascale a dit…

Je fais partie de ceux qui ne pensent pas que Polanski compare sa situation personnelle à la persécution dont les juifs ont été et sont victimes. Il est un peu plus subtil que ça.
Un GRAND film que j'ai déjà revu.

Pascale a dit…

Je pense au contraire qu'en tant que juif dont la famille a été persécutée et exterminée, il rend hommage à tous les juifs.

dasola a dit…

Rebonjour Martin, merci pour le lien sur un film remarquable sur tous les plans. Bonne après-midi.

Martin a dit…

@Pascale 1:

Certaines de ses déclarations en interview sont assez... euh... équivoques, disons.

C'est un homme intelligent, mais quand on lui parle des mécanismes de persécution, il revient presque toujours à son expérience propre. Peut-être aussi parce que la presse revient sans cesse sur cette question, c'est vrai, mais elle parcourt son oeuvre, donc, ça paraît bien difficile à éviter.

Quant au film, nous sommes d'accord.

Martin a dit…

@Pascale:

Dans "J'accuse", il rend d'abord à Picquart et Dreyfus.
Incontestablement, cela me paraît bien légitime dans les deux cas.

Martin a dit…

@Dasola:

Je t'en prie, avec plaisir. Je suis content de voir que nous sommes d'accord sur le film.

Strum a dit…

Une réussite en effet que ce J'accuse. Polanski montre bien à mon avis que l'affaire a divisé le pays, n'ayant pas non plus le temps de le montrer de manière exhaustive. Un bemol de mon côté sur l'interprétation, excellente sinon : Emmanuelle Seigner, dont le jeu limité ressort d'autant plus face à un excellent Dujardin. Merci pour le lien, Martin.

princecranoir a dit…

Remarquable et "Césarisable", assurément, et dans bien des domaines. Reste à savoir comment l'Académie va s'accomoder des éventuelles nominations de ce film qui charrie désormais tout un contexte houleux.

Martin a dit…

@Strum:

Tu trouves ? Moi, je trouve qu'il montre qu'il a divisé les hautes sphères.
Pour ce qui est d'Emmanuelle Seigner, il faut dire qu'elle n'a pas non plus un rôle majeur.

Et, comme d'habitude, pas d'quoi pour le lien !

Martin a dit…

@Princécranoir:

Si ce n'est les énièmes polémiques Polanski, je pense que le contexte n'est pas si défavorable que ça.