dimanche 22 octobre 2017

Du non-usage de la couleur

Je discute parfois avec ma mère de ce que l'utilisation de la couleur apporte au cinéma. Ainsi, à partir d'exemples choisis, nous devisons gaiement sur la manière dont elle peut servir le film, par sa présence remarquable ou, au contraire, son absence. Le sujet me passionne. Je dois à la vérité de dire que nous ne sommes pas toujours d'accord !

Est-ce l'effet de cette seule option esthétique ? Quand Maman a suivi mon conseil et regardé La barbe à papa, elle a cru découvrir un film plus ancien qu'il ne l'est en réalité. Je crois pour ma part que le fait que l'action se déroule au cours de la Grande Dépression consécutive au krach boursier de 1929 contribue en premier lieu à créer l'illusion. Du coup, je suis sûr que le noir et blanc du film correspond au désir de Peter Bogdanovich et de son directeur photo, Laszlo Kovacs. Simple constat: les cinq autres films de ce duo sont tous en couleur. L'exception m'a plu telle qu'elle s'est présentée à moi, ce qui revient finalement à dire que je ne saurais la repenser sous une autre forme !

Les temps modernes / Charles Chaplin / 1936
Au tout début, les artistes de cinéma n'avaient certes pas le choix. C'est une lapalissade que de dire que, malgré l'absence de toute teinte vive sur les écrans, le septième art a su faire sensation et marquer les esprits dès ses origines. Dites donc, vous voudriez voir L'aurore ou Les temps modernes dans une version colorisée, vous ? Pas moi. Aujourd'hui comme hier, il me semble qu'un noir et blanc bien utilisé contribue significativement à l'émotion. Peut-être que cela tient aussi du frisson de nostalgie devant une technique ancienne, allez savoir. J'ai toujours aimé les petits bouts de ficelle qui font les grands films. Monochromes, les coutures passent parfois inaperçues. Je m'évade...

Frantz / François Ozon / 2016
Bien entendu, j'aime aussi quand lesdites coutures sont apparentes. Aujourd'hui que les films peuvent passer à la moulinette numérique pour gommer la plus petite des aspérités, j'apprécie le noir et blanc quand il est un outil délibéré de mise en scène, dicté par une raison que je ne comprends pas toujours, mais que je tiens à respecter. L'exemple parfait: Certains l'aiment chaud ! C'est un fait: la couleur a toujours été utilisée, même quand, jadis, elle était très coûteuse. Dans des films récents, tels Kill Bill ou Frantz, elle surgit au détour d'une scène et détonne, quitte à sembler alors artificielle ou déplacée. Elle ne peut en tout cas devenir la condition sine qua non du plaisir...

Psychose / Alfred Hitchcock / 1960
Quand, il y aura bientôt vingt ans, Gus van Sant a choisi de tourner un remake de Psychose, j'ai salué son audace (relative) à reproduire presque chaque plan à l'identique, mais je n'en ai pas perçu l'intérêt. Conservatisme ou non, il me semble que l'introduction de la couleur n'apporte rien à un thriller déjà implacable en noir et blanc. L'histoire officielle dit qu'Alfred Hitchcock, lui, fit ce choix pour que son film apparaisse moins violent. Très honnêtement, j'ai du mal à y croire. Vous le vérifierez avec The barber: nul besoin que le sang soit rouge pour que l'on frémisse. C'est ce paradoxe qui fait la magie du cinéma. Chaque peintre composera sa palette librement. Pourvu que ça dure !

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Et maintenant, la parole vous est rendue...
Je serais curieux de connaître vos grands classiques du noir et blanc. J'insisterai sur un point: leur date de sortie n'a ici aucune importance.

22 commentaires:

Pascale a dit…

Vous en avez des chouettes discussions avec ta maman :-)))
Le classique black and white qui me vient sans chercher... le renversant "Mrs Muyr et son fantôme".
Mais en général, j'aime le noir et blanc.
Tabou, The artist en couleur, ça serait bizarre non ?

Martin a dit…

Oui, j'ai cette chance de pouvoir compter sur une maman curieuse !

Effectivement, les films dont tu parles, je ne peux pas les imaginer en couleur.
"L'aventure de Madame Muir" (en VF) fait partie de ces classiques que je veux voir... en VO.

eeguab a dit…

Hey Martin. Des classiques du noir et blanc il y en a tant dans ma besace, de Chaplin à Bogart, du Voleur de bicyclette à La règle du jeu, de Tueurs de dames à La règle du jeu, de Dr. Mabuse le joueur à Kurosawa, etc... Bonne semaine.

Strum a dit…

Le noir et blanc permet plus de profondeur de champ que la couleur et il y a peut-être plus de films en noir et blanc que de films en couleur parmi mes films préférés. Cela dit, tout dépend de l'usage que veut en faire le réalisateur et certains films se prêtent mieux à la couleur.

eeguab a dit…

La règle du jeu est d'identifier le titre doublon et de le dégommer au fusil de chasse. :D

Martin a dit…

@Eeguab:

Beaucoup de mes propres classiques figurent dans ta liste, aux côtés de films que je n'ai pas vus.
Merci, donc, pour toutes ces suggestions. J'ai vraiment très envie de découvrir "Le voleur de bicyclette" !

Martin a dit…

@Strum:

Ah oui ? J'ignorais que le noir et blanc favorisait la profondeur de champ !
C'est vrai que certains films se prêtent mieux à la couleur, mais l'inverse est juste aussi.

Le mieux est effectivement de laisser le réalisateur libre de son choix et d'avoir confiance en lui.

Martin a dit…

@Eeguab (deuxième):

Allez, dis-le, que tu veux que je découvre "La règle du jeu" !!!
C'est la règle du jeu ! Bon, maintenant, je culpabilise d'avoir laissé passé une occasion récente...

Pascale a dit…

Aaaaah Mrs Muir...il est dans mon top ten de tous les temps. Je l'ai encore revu récemment je ne m'en lasse pas. Gene Tierney est sans doute la plus belle actrice de tous les temps aussi. Et dans un technicolor flamboyant je te conseille Péché mortel.
En y réfléchissant, j'ai pensé au beau noir et blanc de Manhattan de Woody.
Et... Je n'aime pas la Règle du jeu. C'est dire si je n'ai aucune crédibilité cinéphile.

Princecranoir a dit…

Le Noir et Blanc ? Je croyais que le magicien d’Oz lui avait fait un sort pour de bon !
Blague à part, c’est un charme différent qui opère quand sur l’ecran s’etalent Toutes ces nuances de gris. Même le blockbuster moderne se rhabille à la mode d’autrefois quand il se débarrasse de ses couleurs superflues, tels MAD Max ou Logan. Et Sam Raimi, dans son préquel dispensable du Magicien précédemment cité a même expérimenté le N&B 3D. C’est dire si le procédé n’a pas encore rendu les armes.

GirlyMamie-Chonchon a dit…

Martin ! Figure-toi que je t'avais oublié ! C'est pas cool, j'en suis consciente, car tu étais un de mes blogueurs préférés... Mais comme tu n'as pas sur ton blog de case "newsletter" pour qu'on s'abonne... je ne suis pas avisée de tes publications. Je me fiais à mes notifications, pour les autres, et toi du coup, tu es passé à la trappe. Tu ne pourrais pas nous mettre un truc là-haut près de la bannière pour qu'on puisse s'abonner. Je t'ai retrouvé sur le blog de Tinalakiller, car tu commentais un des ses billets, et je me suis dit : "Waouh ! Martin !" Donc me revoilà, j'ai du retard à rattraper ! Je t'ai mis dans mes "favoris", mais y a tellement de choses disparates là-dedans que des fois je zappe. Je vais faire attention désormais.

Martin a dit…

@Pascale:

Tu arrives à faire un top ten de tous les temps, moi ? Chapeau !

"L'aventure de Madame Muir" fait partie des films que je veux voir. Comme "La règle du jeu".
Je crois sincèrement qu'il ne faut pas mettre de limite à sa cinéphile. C'est avant tout une affaire de goût.

Martin a dit…

@Princécranoir:

En tout cas, c'est sûr que "Le magicien d'Oz" explose en tous sens grâce aux couleurs.
Plus que les blockbusters mixtes que tu cites, je serais curieux de voir ce que donne la 3D en N&B !

Martin a dit…

@Chonchon:

Hé ! C'est cool d'avoir de tes nouvelles ! Je me disais aussi que ça faisait longtemps !
Je vais voir si je peux faire quelque chose pour vous permettre de vous inscrire à une sorte de newsletter.

En attendant, c'est une évidence que tu es la re-bienvenue en ces lieux.
Je te souhaite un bon retour et un certain nombre de plaisirs lors de ta séance de rattrapage.

Pascale a dit…

Oui ça m'arrive de chercher à savoir quels sont mes films préférés et la Mrs Muir en est. Tu as déjà miré mon à propos sur mon blog ?

Ne pas mettre de frein à ma cinéphilie c'est justement avoir vu La règle du jeu et hélas ne pas avoir aimé. Je me souviens m'être installée goulûment (on peut si on veut) en pensant : je vais voir un Chef d'oeuvre voire LE chef d'oeuvre du cinéma français...
Oupsss.
ah cette course poursuite interminable. Et que ça a (mal) vieilli.
Bon j'arrête je vais encore me faire des amis...
Par contre: très beau black and White!

Et ta maman lit nos commentaires inspirés?

Strum a dit…

The Ghost and Mrs. Muir est un des plus beaux films du monde.

GirlyMamie-Chonchon a dit…

Autrefois j'étais très hostile au noir et blanc, que je trouvais moche. Mais, qu'il s'agisse de films anciens (comme tu le dis, ils n'avaient pas le choix) qui sont si beaux ou si intéressants qu'on en oublie ce "détail", ou bien d'un parti pris aujourd'hui (Le ruban blanc, par exemple)... franchement ça ne me gêne plus du tout. Ce qui m'importe le plus, en fait, c'est le "grain" : j'aime qu'il soit fin et que l'image soit bien nette.

Martin a dit…

@Pascale:

Oui, j'ai lu ton "à propos", mais ça fait un moment, déjà. Je m'y rapporterai. Nous sommes d'accord sur les non-limites à nos cinéphilies, qui sont avant tout affaires personnelles. En revanche, c'est pas toi qui contestes quand je parle du vieillissement des films ? Bah... peu importe, en fait...

Et oui, ma chère mère, malgré sa discrétion ici, lit les commentaires. Au moins en partie.

Martin a dit…

@Strum:

Je vais l'ajouter à ma liste des incontournables à découvrir un jour. Merci.

Martin a dit…

@Chonchon:

Merci de témoigner de ton avis sur le sujet. C'est intéressant, cette évolution !
Moi, le grain ne me dérange pas vraiment, surtout dans les très vieux films, en fait.

Quel plaisir de te relire ici, chère amie !

Lui a dit…

A propos de l'influence sur la profondeur de champ : c'est une conséquence de la sensibilité. Les pellicules en noir et blanc sont plus sensibles que les pellicules couleurs et donc permettent d'utiliser des objectifs à focale plus fermée (plus on ferme, plus on a de profondeur de champ). De même, les pellicules noir et blanc permettent de filmer plus facilement en basse lumière ce qui permet de travailler beaucoup plus l'éclairage et les ombres.

Pour moi, la différence entre le noir et blanc et la couleur est surtout esthétique. L'image en couleurs a le défaut d'entrer en compétition avec la réalité. L'image en noir et blanc permet un travail esthétique plus important, d'offrir plus de champ à l'interprétation, ouvre la voie à l'oeuvre d'art. Les plus grands films sur le plan de l'éclairage sont souvent en noir et blanc.

Bien entendu, comme en photographie, cela ne veut pas dire que l'on ne peut faire de l'art en couleurs. D'ailleurs, il y a de plusieurs types. Le Technicolor des années 40 et surtout 50 est à ce titre très intéressant : il s'éloigne de la réalité en "boostant" l'éclat de certains teintes qui deviennent éclatantes. Les meilleurs directeurs de la photo ont su exploiter ce "défaut" pour interpréter la réalité. On en revient toujours à cette "interprétation" et à la question fondamentale "l'Art commence t-il avec l'interprétation" ?

Martin a dit…

Quel grand plaisir de vous retrouver ici, Lui !
Un très grand merci pour ce commentaire éclairé... et éclairant !

Tout cela me donne, plus que jamais, envie de m'intéresser aux techniques cinéma.
Ce que vous dites des différents types de couleurs est très intéressant. J'y regarderai de plus près.

Merci et merci encore !