dimanche 30 avril 2017

Rita et Joseph

Vous avez trouvé ? En dehors des secrets dévoilés, le point commun entre les deux films que j'ai présentés vendredi est l'usage de toiles peintes comme décors. C'est ce qui a poussé mon association cinéphile à les programmer en diptyque, en invitant les réalisateurs ! Aujourd'hui, je voulais dire un mot sur ces deux (belles) rencontres...

Je les prends "en inversé" et commence avec Rita Azevedo Gomes. Dans un français très correct, la cinéaste portugaise nous a expliqué qu'elle avait lu La vengeance d'une femme seize longues années avant de pouvoir le réaliser ! Il n'existait d'ailleurs aucune traduction de la nouvelle dans la langue lusitanienne. Ce qui est dit dans le film s'avère vraiment fidèle à la langue originelle: belle et épurée, la photo du long-métrage lui rend hommage, sans en rajouter. Une volonté claire de la réalisatrice, qui n'a pas montré ce qui était déjà exprimé.

J'ai parlé d'opéra dans ma chronique et certains autres spectateurs ont évoqué le théâtre comme une référence et source d'inspiration pour l'artiste de cinéma. Rita Azevedo Gomes n'a pas confirmé. D'après elle, qui a de fait quelque expérience à faire valoir, son film demeure une oeuvre de cinéma et ne peut tenir lieu de pièce filmée. "J'ai dessiné mes images cent fois, dans ma tête", assure-t-elle aussi. C'est logique, finalement, quand on s'appuie sur un texte classique, assurément, mais qui n'a absolument pas été écrit pour les planches !

La cinéaste fait passer le faux pour le vrai avec plaisir. Que la fiction soit vraisemblable, c'est une chose. Qu'elle ne soit qu'un décalque fantasmé du réel, ce n'est pas sa priorité. La technique doit se mettre au service même du récit. "L'artifice est nécessaire pour atteindre une certaine vérité. Le cinéma est le plus beau mensonge au monde". L'artiste souligne aussi que la caméra capte toujours moins d'images que l'oeil et assume les contraintes posées par le cadre. Elle estime que "tout ce qui est dedans doit être respecté". Le résultat du travail !

Rita Azevedo Gomes a oeuvré avec une petite équipe. Il lui a fallu tâtonner un peu avant d'être contente de ses fameux décors - le film est d'une apparence très "studio". "Ce n'est pas que j'aurais fait nécessairement mieux ou pire, mais au départ, ce n'était pas moi ! C'est toujours très difficile à dire, ce genre de choses". La réalisatrice insiste aussi sur l'importance des mouvements de caméra. Il est vrai qu'entre reflets, plans larges ou cadres rapprochés, les émotions s'expriment de nombreuses façons, dans La vengeance d'une femme.

Sorti du plateau de cinéma, le monde est évidemment très différent. Même si la forme de son film est très soignée, Rita Azevedo Gomes se juge "intuitive". "Je ne suis pas quelqu'un de très mental, dit-elle. J'ai des pensées, bien sûr, mais j'ai le coeur qui bat... et pas la tête". Lors de notre débat associatif d'après-projection, certains ont affirmé que la musique du film, pourtant, collait parfaitement aux images. "Quelqu'un m'a également dit que les acteurs étaient dans le rythme. Or, la bande originale est venue après"... et elle est quasi-constante !

De Oliveira, Ray, Bresson, Carpenter (?): la cinéaste a des références très éclectiques, mais n'en a parlé qu'une fois interrogée sur le sujet. "Quand les choses m'intéressent, je suis influencée, mais quand on va tourner, on se retrouve seul: tout s'évanouit alors dans nos têtes". Assez secrète, Rita Azevedo Gomes ne tombe pas toujours d'accord avec le public qui croit déceler des symboles dissimulés dans son film. Ici, elle a mis en scène quelques acteurs débutants. C'est in extremis et après un autre choix qu'elle a confié le premier rôle à Rita Duãro...

Joseph Morder est-il plus raisonnable ? Je n'en suis pas convaincu ! Sans fausse modestie, l'homme explique qu'il a réalisé plus d'un millier de films, courts et longs, documentaires et fictions. Une approche "frénétique" de la création, pour reprendre l'adjectif qu'il a utilisé pour qualifier son travail. Il se souvient avoir passé le cap symbolique il y a deux ans environ, en avance sur le cinquantième anniversaire de ses premiers pas derrière une caméra - un souvenir très précieux que ce modèle Super 8 reçu en 1967 à ses 18 ans, cadeau de sa mère.

Cinéaste français d'origine polonaise, Joseph Morder s'est inspiré d'elle pour créer le personnage féminin de La duchesse de Varsovie. Cette rescapée de la Shoah avait déjà fait l'objet d'un film de son fils, un documentaire intitulé La reine de Trinidad. Lors de la rencontre organisée par mon association, le réalisateur nous a parlé longuement de cette oeuvre sortie il y a vingt ans, pour laquelle il avait filmé également plusieurs amies de Maman, devenues des tantes de coeur et comme elle revenues des camps. Un (premier) moment d'émotion !

Ce n'était toutefois pas grand-chose en comparaison d'une anecdote liée, elle, à Alexandra Stewart, la comédienne choisie pour ce rôle chargé sur le plan affectif. Joseph Morder nous a en effet expliqué qu'après avoir dû renoncer à Jeanne Moreau, il avait découvert tardivement que le propre père de son actrice "de substitution" avait participé à la libération du camp de Bergen Belsen ! Il a souligné l'extrême discrétion de son interprète à ce sujet, comme sa modestie absolue. "Elle aurait pourtant pu être la première James Bond girl...".

Joseph Morder, qui est né à Trinité-et-Tobago et a vécu en Équateur jusqu'à l'âge de 12 ans, nous a aussi expliqué qu'il assumait parfaitement l'image naïve et colorée donnée de Paris dans son film. De sa mère et ses autres muses, il a dit: "Elles parlaient des choses les plus tragiques sur un ton badin... c'est ce qui les faisait tenir". Lui, comme Claude Lanzmann, dit-il, juge certaines choses indicibles. Et d'ajouter, quant à sa vision: "La tragédie me paraît plus forte quand elle reste dans l'imaginaire". Le hors-champ, un outil résilient ?

Bien plus bavard sur les aspects formels de son travail, le cinéaste jubilait, à l'évidence, quand il s'est agi d'évoquer les diverses astuces employées pour crédibiliser ses décors de pacotille. Il a cité Jean Vigo pour rappeler que "le cinéma est un point de vue", assumant les siens. "Au tournage, je cherche le meilleur angle possible, sans me couvrir avec une deuxième caméra, et je prends donc des risques. Je peux me tromper ! Je suis obsessionnel, oui, mais je ne refais pas cinquante fois la même prise". Affaire de pragmatisme budgétaire...

Joseph Morder a eu l'occasion d'écrire pour Arte un petit film destiné à interpeller Steven Spielberg, un confrère qu'il respecte, visiblement. C'est cependant Jean Renoir qu'il a nommé pour évoquer sa relation avec les acteurs. À son exemple, il organise avec eux des répétitions "à l'italienne, à plat et sans intonation dans la voix". Ses consignes arrivent ensuite: "Je suis pointilleux. À tel point que, quand je dis qu'une séquence est bonne pour moi, les comédiens s'inquiètent". Comme bien d'autres choses, le cinéaste nous a dit ça... en souriant !

Ce plaisir évident était toujours là quand le réalisateur nous a assurés de la complicité entre Alexandra Stewart et son jeune partenaire masculin, Andy Gillet (repéré chez Eric Rohmer, soit dit en passant). Dans l'une des scènes les plus complexes, le comédien tenait la main de son aînée pour l'aider à se fondre dans la peau de son personnage. Quant aux personnages de carton pâte, ils étaient bel et bien doublés par d'autres personnes sur le plateau. "Je voulais que mes acteurs donnent la réplique à des gens réels", a ainsi explicité Joseph Morder.

Adversaire résolu du pathos, l'artiste dit avoir étudié "vingt versions du scénario" de La duchesse de Varsovie avant de trouver le bon ! Son enthousiasme m'a vraiment séduit, surtout quand je l'ai entendu parler de "cadeaux" pour évoquer les trouvailles de ses techniciens. Prolixe et attachant, le réalisateur nous a dit s'attacher véritablement à "procurer des sentiments réels avec de l'illusion". Cette volonté pourrait le relier aux premiers cinéastes, héritiers des magiciens. L'émerveillement et le plaisir comme balises, on a déjà vu pire, non ?

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Voilà, j'en ai terminé, maintenant...

Du coup, je me demande si cette chronique n'est pas trop longue. Chères toutes et chers tous, je suis donc à l'écoute de votre opinion.

2 commentaires:

Pascale a dit…

Ce sont quand même des procédés audacieux et j'imagine que ces deux films "n'ont pas trouvé leur public" comme on dit élégamment...
Je me demande toujours comment les réalisateurs font pour se remettre de ces échecs. Y compris voire surtout financièrement.
Et forcément c'est un peu long. Quand on assiste pas à ces rencontres c'est difficile de s'y intéresser vraiment.
Je dis ça en toute franchise, sans jugement et en connaissance de cause puisque les nombreux articles que je fais lors de mes festivals sur des films que personne ne voit (et pour cause, nombreux n'ont pas de distributeur) j'imagine que peu les lisent et s'y intéressent.

Martin a dit…

Certains aspects du premier film pourraient lui valoir un public élargi.
Le second, en revanche, me paraît trop pointu pour toucher des spectateurs non-cinéphiles.

C'est vrai que ma chronique est un peu longue, sans être pas forcément passionnante.
Je tenais toutefois à rendre compte de ces deux belles rencontres, au moins pour m'en souvenir.