Sans forcer sur les doses, je continue à découvrir le cinéma - social - des frères Dardenne. Trois semaines après la fin du 68ème Festival de Cannes, je remonte le temps jusqu'à 1999 et leur première Palme d'or: Rosetta. Soit quelques jours de la vie d'une très jeune femme miséreuse. Le film commence quand elle perd son travail, au terme de la période d'essai. Des cris et coups: le sentiment d'une injustice...
Rosetta part en coup de poing et file à 200 à l'heure: la caméra virevoltante ne lâchera plus la jeune "héroïne" d'une semelle. Constat d'évidence: plutôt qu'une révolte, il s'agit de saisir un combat, celui d'une personne décidée à quitter l'extrême précarité par le travail. Honnêtement, on en vient à se demander si c'est seulement possible. En cause, les conditions de vie de la candidate, dont le pseudo-foyer est une caravane qu'elle partage avec sa seule mère, une alcoolique récidiviste, dépourvue de la plus infime des volontés de s'en sortir. Une question se pose alors: celle des moyens employés pour parvenir à un résultat. C'est là que ça gratte: les plus immoraux fonctionnent ! D'une certaine façon, il y a de la gêne à contempler un tel spectacle dans le confort bourgeois d'un appartement provincial. Les Dardenne se déclaraient à l'époque adeptes "du cinéma qui pose des questions". Ce film en propose quelques-unes... sans nécessairement y répondre.
Rosetta, c'est aussi, bien sûr, le film d'Émilie Dequenne. Le premier. L'actrice n'avait pas encore dix-huit ans quand elle est venue chercher son Prix d'interprétation sur la Croisette. Elle avait obtenu le rôle après une annonce parue dans un journal, pour laquelle les Dardenne affirment avoir reçu 2.000 lettres-retours - 300 filles étant retenues ensuite d'après leur photographie ! J'ignore si sa (petite) expérience du théâtre l'aura aidée à convaincre, mais elle est vraiment juste. C'est d'autant plus remarquable que les réalisateurs soulignent aussi n'avoir jamais aucun élément biographique à donner à leurs acteurs. Eux baignent dans une ambiance familiale, avec ici des techniciens déjà embauchés sur des tournages antérieurs, à la photo, au cadre, aux costumes, aux décors, au montage et au mixage - une tribu ! Débutant lui aussi, le talentueux Fabrizio Rongione s'en sort parfaitement: lui qui venait du Conservatoire apporte à cette histoire une petite touche d'humanité, belle et fragile. Je ne rejoins pas ceux qui parlent de misérabilisme, mais oui: toute flamme peut vaciller...
Rosetta
Film belge de Jean-Pierre et Luc Dardenne (1999)
Je ne connais pas franchement de films - et d'artistes de cinéma ! - qui puissent être comparés à l'oeuvre que j'ai évoquée aujourd'hui. Sans doute serait-il intéressant de revoir Louise Wimmer, qui mène vers (un peu) plus de lumière. On peut aussi citer d'autres Dardenne. Difficile alors de ne pas voir une parenté avec Deux jours, une nuit. D'un mot, donc: je préfère de beaucoup le film présenté ce dimanche.
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Pour ceux qui souhaiteraient lire d'autres avis...
Au choix: "L'oeil sur l'écran" et/ou "Mon cinéma, jour après jour".
Rosetta part en coup de poing et file à 200 à l'heure: la caméra virevoltante ne lâchera plus la jeune "héroïne" d'une semelle. Constat d'évidence: plutôt qu'une révolte, il s'agit de saisir un combat, celui d'une personne décidée à quitter l'extrême précarité par le travail. Honnêtement, on en vient à se demander si c'est seulement possible. En cause, les conditions de vie de la candidate, dont le pseudo-foyer est une caravane qu'elle partage avec sa seule mère, une alcoolique récidiviste, dépourvue de la plus infime des volontés de s'en sortir. Une question se pose alors: celle des moyens employés pour parvenir à un résultat. C'est là que ça gratte: les plus immoraux fonctionnent ! D'une certaine façon, il y a de la gêne à contempler un tel spectacle dans le confort bourgeois d'un appartement provincial. Les Dardenne se déclaraient à l'époque adeptes "du cinéma qui pose des questions". Ce film en propose quelques-unes... sans nécessairement y répondre.
Rosetta, c'est aussi, bien sûr, le film d'Émilie Dequenne. Le premier. L'actrice n'avait pas encore dix-huit ans quand elle est venue chercher son Prix d'interprétation sur la Croisette. Elle avait obtenu le rôle après une annonce parue dans un journal, pour laquelle les Dardenne affirment avoir reçu 2.000 lettres-retours - 300 filles étant retenues ensuite d'après leur photographie ! J'ignore si sa (petite) expérience du théâtre l'aura aidée à convaincre, mais elle est vraiment juste. C'est d'autant plus remarquable que les réalisateurs soulignent aussi n'avoir jamais aucun élément biographique à donner à leurs acteurs. Eux baignent dans une ambiance familiale, avec ici des techniciens déjà embauchés sur des tournages antérieurs, à la photo, au cadre, aux costumes, aux décors, au montage et au mixage - une tribu ! Débutant lui aussi, le talentueux Fabrizio Rongione s'en sort parfaitement: lui qui venait du Conservatoire apporte à cette histoire une petite touche d'humanité, belle et fragile. Je ne rejoins pas ceux qui parlent de misérabilisme, mais oui: toute flamme peut vaciller...
Rosetta
Film belge de Jean-Pierre et Luc Dardenne (1999)
Je ne connais pas franchement de films - et d'artistes de cinéma ! - qui puissent être comparés à l'oeuvre que j'ai évoquée aujourd'hui. Sans doute serait-il intéressant de revoir Louise Wimmer, qui mène vers (un peu) plus de lumière. On peut aussi citer d'autres Dardenne. Difficile alors de ne pas voir une parenté avec Deux jours, une nuit. D'un mot, donc: je préfère de beaucoup le film présenté ce dimanche.
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Pour ceux qui souhaiteraient lire d'autres avis...
Au choix: "L'oeil sur l'écran" et/ou "Mon cinéma, jour après jour".
8 commentaires:
Les escrocs Dardennes & leur cinéma social, j’exècre .......
Bonne journée Martin.
Merci, Ronnie. Après, je peux comprendre qu'on soit réfractaire au style des Dardenne (ou qu'on l'exècre, si tu veux) et je peux trouver des raisons de dire que d'autres films que "Rosetta" auraient mérité la Palme d'or. De là à les traiter d'escrocs...
Hélas, je n'ai pas vraiment aimé ce film, pourtant j'aime le cinéma social. De ce que j'ai vu (j'en ai vu tout de même une bonne trentaine), c'est une des Palmes d'or qui m'a le plus déçue. Je me suis franchement ennuyée devant ce film sans réelle histoire (sauf un peu au milieu - la meilleure partie), j'aime également le réalisme mais là y a des moments où ça devient un peu gerbant, surtout je trouve la vision des Dardenne vraiment trop sombre, dans le sens où j'ai parfois l'impression que le scénario est surécrit (alors que le but est de rendre l'histoire crédible, proche de la réalité comme si on y était), on est même dans du misérabilisme par moments. Après heureusement qu'il y a Emilie Dequenne !
Merci, Tina, pour ce contrepoint argumenté. Il est certain que ce n'est pas la Palme la plus flamboyante ! Je peux tout à fait comprendre que tu te sois ennuyée. Cela dit, pour moi, il y a bien une histoire, sombre, peu dynamique, assez répétitive, mais une histoire quand même. Je ne suis pas sûr que ce soit "surécrit": je n'en ai aucune certitude, mais je me dis que des situations comme celle-là existent. La misère, dans certains cas, va au-delà du manque de richesse financière. Ainsi que je l'ai suggéré, j'ai même trouvé "Rosetta" plus réaliste - et plus intéressant - que "Deux jours, une nuit". Et je crois que les Dardenne, contrairement à ce qu'on dit souvent, laisse leur spectateur libre de combler certains trous du scénario.
Bon, nous sommes au moins d'accord sur la prestation d’Émilie Dequenne. Je m'en réjouis.
Oui, encore une fois, je ne dis pas que ce type de situation n'existe pas, mais c'est une vision vraiment extrême des choses, tout est noir, même les paysages. Je ne vis pas dans le nord mais je me demande ce que pensent vraiment les gens du Nord. Je ne suis pas plus fan que ça de Deux jours une nuit, trop répétitif et avec sa fin un peu trop optimiste (en tout cas mal amenée selon moi) mais je trouve, avec Le Gamin au vélo, qu'il avait le mérite de ne pas montrer une misère totalement sombre, de ne pas tomber non plus dans quelque chose d'extrême. Voilà, disons que ce Rosetta manque pour moi de nuances, même le personnage, pourtant encore une fois bien incarné, est brutale, on n'a pas forcément de sympathie pour elle.
Qu'en pensent les gens du Nord en général et les Belges en particulier ? Bonne question. Je dois reconnaître que je ne sais pas si "Rosetta" a vraiment marché dans son pays d'origine. Ta comparaison avec "Le gamin au vélo" est intéressante, Tina. J'ai également apprécié cet autre film des Dardenne et c'est vrai qu'il était (un peu) plus lumineux. Note que certains lui ont justement reproché ce côté positif, trop artificiel ou trop plaqué selon eux...
"Rosetta" est très sombre: je te donne entièrement raison là-dessus. Ce n'est pas un film plaisant et la jeune femme est elle-même très négative par bien des aspects. C'est précisément ce que j'ai trouvé intéressant ! Je ne sais pas si les Dardenne souhaitent nous inciter à l'empathie vis-à-vis de ce personnage. Je crois qu'ils veulent surtout souligner le fait que les situations sociales sont complexes et que les gens à l'écart de la société ne sont pas forcément tous prêts à accepter ses règles.
Après, si besoin, sois rassurée: je n'ai pas envie de me frotter à ce type de films trop souvent et je n'en fais en aucun cas le modèle du cinéma social.
J'avoue ne pas être fan du cinéma des frères Dardenne, et je ne crois pas qu'ils déplacent les foules en Belgique non plus. J'ai l'impression de me punir en allant voir leur film, les trouvant effectivement trop sombres à mon goût. Disons que j'aime le cinéma social quand il est mâtiné de nuances, allant du rire aux larmes, tant les éclats de rire peuvent aussi surgir aux moments les plus sombres de l'existence. Bref, je ne m'y retrouve pas trop dans leur cinéma, même s'ils ont toute ma sympathie, tant je pense qu'ils sont honnêtes dans leur démarche. Mais je préfère de loin les films de Ken Loach par exemple.
Merci pour cet avis et cet éclairage sur l'accueil réservé aux films des Dardenne en Belgique, Sentinelle. Je défends leur cinéma, mais je pense comme Tina et toi: ce n'est pas non plus ce que je préfère dans le cinéma dit social. Je suis content toutefois de lire qu'elle et toi reconnaissez l'honnêteté de leur démarche.
Ce qui m'intéresse aussi, c'est que les deux derniers longs-métrages des frangins (enfin, surtout "Le gamin au vélo") semblent laisser poindre un peu plus d'optimisme que les précédents. Je me demande ce que ça va donner la prochaine fois...
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