samedi 21 février 2015

La gloire modeste de Sissako

Il y avait sans doute différentes façons d'évoquer la 40ème cérémonie des César, organisée hier au Théâtre parisien du Châtelet. J'ai fini par choisir l'une des plus exhaustives. Ma petite touche d'originalité consistera cette année à mettre d'abord les films en avant. Vous allez comprendre en lisant: hormis deux longs-métrages qu'on peut sortir du lot, les récompenses ont été très "dispersées". Revue de détail...

Une chose est sûre: Abderrahmane Sissako et sa femme Kessen Tall sont les grands gagnants de la soirée. Bredouille au dernier Festival de Cannes, le cinéaste mauritanien a pourtant évoqué en termes chaleureux son passage sur la Croisette, toute première occasion d'après lui d'attirer la lumière sur Timbuktu. Je dois encore découvrir cette oeuvre en partie française, qui évoque l'arrivée des islamistes radicaux au Mali, à partir d'une histoire vraie survenue en 2012. J'attends encore quelque temps et sa projection par mon association cinéphile, à l'occasion d'un partenariat avec Amnesty International. Sans délai, toutefois, je note que le film a reçu sept compressions dorées, à la fois artistiques et techniques: meilleurs film, réalisateur et scénario original, photographie, musique, montage et son. Bravo !

L'autre film multi-récompensé, c'est Les combattants. J'en suis ravi. D'après moi, la reconnaissance de l'Académie est un joli message adressé à la jeunesse de France, un signe discret de compréhension, de respect et d'encouragement. J'avais moi aussi cité le long-métrage dans mon top 2014, touché par le souffle de jeunesse qu'il a apporté au cinéma d'auteur français. Je suis absolument enchanté de revoir Adèle Haenel au sommet de son art, reconnue par ses pairs: à 26 ans seulement, elle est pour moi l'une des artistes les plus stimulantes "rencontrées" ces dernières années. Chose amusante: elle est l'aînée de son partenaire à l'écran, Kévin Azaïs, légitime meilleur espoir masculin. Thomas Cailley, lui, approche des 35 ans: le cinéaste décroche le César du meilleur premier film - et je n'ai rien à y redire.

Pierre Niney, 25 ans, est un autre des jeunes lauréats de ce cru 2015 des César. L'Académie devait hier arbitrer entre deux regards portés sur l'un des génies de la haute-couture française: je tiens à souligner que l'acteur d'Yves Saint Laurent (version Jalil Lespert) a eu un mot d'admiration pour son "rival", Gaspard Ulliel, vu chez Bertrand Bonello.

Saint Laurent, la deuxième version, n'a pas rencontré le succès escompté. Ulliel, Bonello et les autres repartent toutefois avec un lot de consolation: le César des meilleurs costumes - le second trophée d'Anaïs Romand, déjà récompensée en 2012. C'est d'autant notable que les archives des collections Saint Laurent sont restées fermées...

Remarquable aussi, et déjà maintes fois évoquée, la prestation produite par Kristen Stewart dans Sils Maria. Hein ? Oui, une jeune ! Jamais encore une Américaine n'avait reçu de César: l'ex-Bella Swan comble la faille à seulement 24 ans, jugée comme la meilleure actrice dans un second rôle. Dommage pour Claude Gensac, 87 printemps...

Un prix qui me fait très plaisir également: celui du meilleur acteur dans un second rôle, attribué à Reda Kateb pour Hippocrate. J'ai raté ce long-métrage de fiction tourné en milieu hospitalier, mais j'aime ce que je connais du comédien honoré. Sa gueule incroyable s'impose doucement sur les écrans internationaux: j'ai déjà hâte de l'y revoir.

Louane Emera est certainement la benjamine de ces César 2015. Avec la réussite de ses 18 ans, l'adolescente fait entrer la comédie dans le palmarès, sa très jolie prestation jouée, chantée et signée pour La famille Bélier lui valant le César du meilleur espoir féminin. Navré qu'on n'ait pas mieux su écouter les sourds à cette occasion...

Le souffle de jeunesse des César 2015 a même traversé l'Atlantique ! Bien qu'absent de la soirée, Xavier Dolan, 25 ans, reçoit pour Mommy la compression réservée au meilleur film étranger. Déjà récompensé d'un Prix du jury à Cannes en mai dernier, le cinéaste québécois s'offre donc un doublé. Sur Twitter, il a réagi d'un "Yeaaaaah baby !".

Mais que diable reste-t-il aux anciens ? Je n'ai pas vu les films concernés, mais note que Diplomatie vaut au tandem franco-allemand Cédric Gély / Volker Schlöndorff le César du meilleur scénario adapté. Nommé pour La belle et la bête (Christophe Gans) après deux échecs en 1999 et 2008, Thierry Flamand, lui, reçoit celui du meilleur décor.

Le César du meilleur film documentaire a été décerné à un duo germano-brésilien, Wim Wenders et Juliano Ribeiro Salgado. Le sel de la Terre présente le travail du père du second réalisateur, Sebastiao Salgado. Ce photographe est célèbre pour ses clichés argentiques en noir et blanc. Je connais encore mal sa signature...

Je n'ai guère plus d'infos précises à donner sur Minuscule, César 2015 du meilleur film d'animation. Je sais juste qu'il contient des images réelles du massif du Mercantour, à quelques dizaines de kilomètres donc de chez moi. Est-ce que je veux voir ça de plus près ? Oui ! Quand pourrai-je le faire ? Avant la suite déjà annoncée, j'espère...

J'ai moins de chances de tomber sur La femme de Rio, je pense. Emmanuelle Luchini - fille de Fabrice - et Nicolas Rey sont crédités comme coauteurs de ce film avec Céline Sallette, auréolé d'un César du meilleur court-métrage. Le César du meilleur court-métrage d'animation a été attribué à Chloé Mazlo, pour Les petits cailloux.

Avant les Oscars dimanche soir et mon compte-rendu prévu mardi prochain, je salue Sean Penn, récompensé hier d'un César d'honneur. J'ai aimé le voir saluer la salle sans tout de suite monter sur scène. Luc Besson, lui, est resté sagement assis. Il a reçu jeudi la médaille d'or de l'Académie des arts et techniques du cinéma. Admettons...

Solennelle, un peu longuette mais traversée par quelques pointes d'humour, cette 40ème cérémonie des César n'aura rien révolutionné. Maître de cérémonie, Édouard Baer a fait le job, sans fausse note. Danny Boon, président d'un soir, s'en est lui aussi plutôt bien tiré. L'heure est à présent venue de tourner le projecteur vers Hollywood...

20 commentaires:

cc rider a dit…

4heures pour remettre 21 récompenses,des recipiendaires aux discours convenus et d'une banalité déconcertante , des séquences sans grand relief. Seul Edouard égal à lui meme a tenu la distance. Mais que font les auteurs ,avec un tel casting ,pour faire de cette céremonie un moment festif, et pétillant ?

Martin a dit…

C'est vrai qu'il y aurait sans doute mieux à faire avec tous ces comédiens rassemblés... et vrai aussi que ça traîne en longueur. Je dois dire toutefois que le sérieux de l'ensemble m'a paru assez indiqué compte tenu du film consacré.

Je retiendrai toutefois quelques jolis moments: l'émotion de Sabine Azéma, le duo Mathieu Chedid / Ibrahim Maalouf et la chanson de "Timbuktu" par Fatoumata Diawara.

Véronique Hottat a dit…

Et bien, je n'ai pas regardé cette cérémonie (que je trouve souvent assez ennuyeuse) mais il me suffit de lire ton billet pour en avoir un excellent compte-rendu ;-)

Je suis en tout cas ravie de la plupart des prix décernés.

Martin a dit…

Merci, m'dame ! C'est vrai que c'était très compassé par moments. Je dois dire que j'ai pensé à toi quand Edouard Baer s'est gentiment moqué de François Damiens sur le thème: "Tu aimerais bien gagner, hein ?". Juste après, il lui a dit un truc dans le genre: "Est-ce qu'on vient prendre des prix en Belgique, nous ?"... ça m'a fait rire !

De fait, les artistes belges étaient assez nombreux, hier soir - avec notamment un chouette moment de Cécile de France avec Cédric Klapisch. Marc Zinga aurait fait un (autre) joli meilleur espoir masculin, à mes yeux.

Véronique Hottat a dit…

Les belges étaient effectivement bien représentés, même s'ils sont tous revenus bredouilles ! J'avais un petit espoir pour Émilie Dequenne. Et bien figure-toi que nous avons les Magritte du cinéma depuis quelques années, et que celui qui a reçu un Magritte d'honneur n'est autre qu'un acteur français, Pierre Richard pour ne pas le nommer. Je me demande d'ailleurs si cet acteur a déjà été récompensé par un César ? Pas certaine...

Véronique Hottat a dit…

Ah, après verification, je vois qu'il a bien reçu un César d'honneur en 2006 :-)

Martin a dit…

@Sentinelle (une fois):

Je dois dire que je suis assez fan de bon nombre d'acteurs belges. Il est vrai qu'Emilie Dequenne m'a fait forte impression ces derniers temps. J'espère la revoir bientôt dans un autre rôle fort.

Martin a dit…

@Sentinelle (deux fois):

Pour ce qui est de Pierre Richard, c'est à vrai dire un vieux monsieur pour qui j'ai beaucoup d'affection. J'avais complètement oublié qu'il avait reçu ce César d'honneur. J'aimerais vraiment avoir la chance de le voir sur scène, puisqu'il continue de faire quelques spectacles.

Anonyme a dit…

J'avais adoré Les Combattants et je suis hyper contente qu'il ait remporté ses 3 Césars.
J'ai également adoré Mommy (number one de mon top) donc le César du meilleur film étranger me paraît juste.
En revanche, je n'ai pas vu beaucoup de films donc difficile de juger le reste. J'ai juste peur que tous ces prix à Timbuktu soient liés à l'actualité - même si je ne doute pas de la qualité du film.
Après, la cérémonie était quand même longue mais honnêtement je l'ai trouvée moins pire que l'an dernier, je trouve que Baer s'en est plutôt bien sorti.

dasola a dit…

Bonjour Martin, je suis assez vieille pour avoir vu les premiers césar à la télé, en 1975 avec Gabin qui fait la bise à Morgan et Romy Schneider qui recevait sa récompense (et à l'époque, c'était au Palais des Congrès): j'avais aimé, c'était moins long, c'était glamour. Cela fait plusieurs années que je ne regarde plus les César: faute d'intérêt pour les films en compétition et surtout c'est interminable, pas drôle. On critique les Oscars, c'est quand même autre chose, j'en ai vu beaucoup. A part ça, que le film Timbuktu soit récompensé, c'est plutôt une bonne nouvelle mais "Charlie" est passé par là. Sans cela, je ne suis pas sûre qu'il aurait eu autant de statuettes. Et Heureusement que la Famille Bélier n'ait reçu qu'un prix. Minuscule est un film très très réussi. L'adaptation ciné de Dimplomatie est bien (mieux que la pièce). Bon dimanche.

Martin a dit…

@Tina:

Oui, nous sommes bien d'accord au sujet de "Mommy" et "Les combattants". J'espère que tu auras une prochaine occasion de découvrir une partie des films que tu as manqués.

Moi aussi, j'ai eu l'impression que la cérémonie était un peu meilleure que celle de l'année dernière. J'imagine que ça ne doit pas être facile d'animer une soirée de ce genre. On échappe aux coupures pub, heureusement !

Martin a dit…

@Dasola:

Merci pour ces compléments d'information. Je ne suis pas un dingue de ce genre de cérémonies, mais c'est l'occasion de repenser aux films qu'on a appréciés l'année d'avant. Il y en a quelques-uns dans le lot qui valent le détour, non ?

Je ne doute pas qu'avant, c'était "autre chose". Les impératifs télé sont passés par là et je ne suis pas un grand fan du prétendu esprit Canal. Il y a surtout quelques films que je voudrais rattraper, désormais...

ideyvonne a dit…

Comme Dasola je ne regarde plus les cérémonies (que ce soit les Césars ou les Oscars) mais j'attends les news pour savoir qui l'a remporté !
Sissako a remis le couvert sur ce que l'Afrique subit (voir "Bamako" de 2006) et là aussi dans "Tumbuktu" on retrouve sa patte dans l'esthétique du visuel sur l'écran (la photographie est trop belle!)
Je dirai juste que le box office est assez étrange sur ce film : bonnes entrées en décembre 2014 et une baisse très nette après le 7 janvier...
La conscience collective se serait-elle réveillée pour comprendre que Sissako a un énorme talent???

Pascale a dit…

Franchement bravo pour ce magnifique compte rendu.
J'en ai JUSQUE LA et même au delà des sempiternelles remarques : c'est trop long, c'est pas drôle... j'adore cette cérémonie où TOUT LE MONDE est là.
Les césarisés techniques avaient des choses à dire cette année.
Je suis en grande partie ravie du palmarès : Les Combattants étant mon chouchou vainqueur français 2014 et Timbuktu un film poulalala pfiou...

Et tu as raison, quel vent de jeunesse a soufflé sur ces César !

Anonyme a dit…

Heureusement qu'il n'y a pas de pub, sinon on ne s'en sortirait plus !
Bon j'ai vu cet aprem' Timbuktu, je ferais une critique sur mon blog plus détaillée, mais pour faire simple, j'ai trouvé le film intéressant, nécessaire mais un peu chiant quand même...

Martin a dit…

@Ideyvonne:

J'hésite souvent à regarder les cérémonies, mais cette fois, je me suis laissé prendre au jeu. En plus, j'étais chez un ami, donc c'est toujours plus agréable de comparer ses impressions en direct.

Pour la chute du box-office de "Timbuktu", il me paraît possible qu'après les attentats contre Charlie, les gens aient eu envie de voir autre chose. Les mystères du box-office...

En tout cas, moi, j'ai encore plus hâte de voir ce film, désormais.

Martin a dit…

@Pascale:

Merci beaucoup pour ce compliment. Venant de toi, ça me touche beaucoup !

Moi aussi, je t'avoue, j'ai trouvé ça un peu long, mais ça n'est pas très grave, au fond. Les impatients n'avaient qu'à zapper ! D'accord avec toi pour dire que ça fait plaisir de voir tout ce beau monde rassemblé. Et pour une fois que les techniciens ont droit à un peu de lumière, ce serait dommage de les en priver simplement parce que c'est "un peu long".

Le souffle de jeunesse m'a vraiment rendu cette édition 2015 sympathique. Au moins, cette fois, les grincheux ne pourront pas dire que ce sont toujours les mêmes qui gagnent !

Martin a dit…

@Tina:

Et hop, une chronique de plus à surveiller sur ton blog ! On verra bien ce qu'il en est pour moi, mais, a priori, je suis prêt à pardonner beaucoup à un film tourné en Afrique par des Africains, a fortiori sur un thème aussi compliqué. Débat à suivre...

Anonyme a dit…

C'est le genre de films que j'ai pas envie de casser en plus. Mais bon ça ne m'a pas emballée, c'est comme ça j'imagine.

Martin a dit…

Ce sont des choses qui arrivent, en effet.