C'est avec plaisir que je reviens aujourd'hui sur Queen of Montreuil. Le film de Sólveig Anspach me permet d'améliorer ma compréhension technique du cinéma. Éric Boisteau, chef opérateur du son, travaille régulièrement avec la réalisatrice islandaise. Il m'a fait la joie d'accepter à son tour le principe d'une interview téléphonique. À vous désormais de faire connaissance avec lui: c'est l'occasion également de mieux comprendre son métier par ses réponses à mes questions. Éric, si vous lisez ces mots, merci encore de vous être prêté au jeu ! Merci aussi pour les photos. Je vous laisse à présent la parole...
Quand je vous ai contacté la première fois, vous m'avez dit d'emblée être déjà en montage d'un nouveau film. C'est toujours aussi frénétique, la vie d'un technicien de cinéma ?
Ceux qui font du cinéma à temps complet, à raison de deux ou trois films par an, connaissent sûrement des temps de pause entre de trépidantes périodes de tournage. Moi, je fais autre chose: du documentaire, du magazine et parfois même du direct. Parfois, c'est vrai que c'est un peu speed de passer d'un truc à l'autre. Tout dépend des moments.
Apparemment, c'est donc pour vous un moment plutôt actif...
Oui, parce que ça fait quelques années maintenant que j'ai décidé de ne pas faire que du long-métrage. Parce que ça ne se passait pas comme ça, d'ailleurs. Il a fallu que je trouve d'autres moyens de travailler plutôt que d'attendre qu'un film me tombe dessus. Ce n'est pas toujours évident, ça m'oblige parfois à faire des choses pas très rigolotes, mais en même temps, c'est un peu ça, la vie d'intermittent.
Pour vous présenter un peu, j'ai vu que vous aviez touché au son dès votre service militaire et que vous aviez fait l’École supérieure de réalisation audiovisuelle. Comment parleriez-vous de votre parcours ?
Je ne sais pas d'où elle vient, mais le son est une vieille passion. Je devais avoir 11 ou 12 ans quand j'ai acheté mon premier magnéto. Partant de là, j'ai démonté des machines et j'ai su que je voulais faire quelque chose dans ce genre-là, sans savoir quoi exactement. Du cinéma, de la radio, de la musique ? Je voulais en tout cas enregistrer du son.
Et vous avez travaillé à plusieurs reprises avec Sólveig Anspach. Quatre fois déjà au cinéma, entre autres...
C'est ça. Je l'ai rencontrée à sa sortie de la Fémis. Elle était alors scripte sur un court-métrage. On s'était plutôt bien entendus et elle m'avait rappelé en 1991 pour Sandrine à Paris, un documentaire. Ensuite, on en avait fait pas mal ensemble. Plus tard, elle a fait Haut les coeurs ! avec ses camarades d'école. L'ingénieur du son avec qui elle bossait alors, Olivier Mauvezin, ne devait pas être dispo pour Stormy weather. J'ai donc fait ses autres films avec elle.
On a l'impression que ça s'enchaîne naturellement...
Euh... ça prend vingt ans, quand même ! Ce n'est pas forcément tous les jours, tous les mois ou même tous les six mois. J'ai eu des grosses périodes "ailleurs". Sólveig a continué à travailler avec Olivier sur d'autres trucs. C'est comme ça. C'est vrai que, pour moi, la dernière fois, c'était juste en octobre/novembre pour Lulu femme nue. J'espère que ça va continuer.
Votre CV classe vos travaux en fictions, documentaires et autres. Faut-il en conclure qu'il existe une différence dans la prise de son dans ces différentes facettes de votre métier ?
Oui. En fiction, le matériel est plus lourd. Et on travaille toujours avec un assistant.
Quand le preneur de son est-il associé au travail préparatoire d'un film ? On vous montre le scénario ?
Oui, entre quinze jours et trois mois avant le début du film. Je donne alors mon avis et il est en général enthousiaste: c'est mieux ! Depuis quelques années, je travaille sur des films où il n'y a pas forcément beaucoup d'argent. Parfois, j'ai l'occasion d'aller faire un tour sur les décors. Cela m'est arrivé il y a dix ans de partir en repérages avec toute l'équipe technique, le chef opérateur, le premier assistant et les autres. À l'heure actuelle, il faut plutôt faire avec ce qu'on trouve. Sur d'autres films, je sais que c'est différent. Sur Amour, par exemple, l'ingénieur du son était là à la construction du décor. Si le réalisateur trouve que c'est important, il peut discuter de ses idées avec lui.
Ce qui veut dire que vous pouvez faire part de votre expérience pour conseiller le réalisateur...
Oui. Il y a des décors où le son n'est pas bon, où il y a des bruits parasites tout le temps. On essaye donc de le dire, mais parfois, il n'y a pas d'autre choix. On travaille désormais avec le micro HF depuis une bonne dizaine d'années: ça aide pour assurer la continuité de la voix, c'est sûr. Cela ne veut pas dire qu'on entend plus les bruits pour autant. Amener une voix propre, c'est un peu ça, notre boulot !
Vous devez parfois ouvrir des options au metteur en scène, non ?
Si. À Sólveig, notamment, je fais part de mes sensations. Elles ne sont pas forcément justes, mais c'est un élément dont elle peut tenir compte, qu'elle peut intégrer pour faire une séquence sur un autre ton. Bon, après, ce n'est pas tous les jours comme ça. Pour moi, c'est plutôt une collaboration instinctive, sur le vif. L'idée, c'est quand même aussi d'aller vite et de ne pas retarder le tournage.
En radio, on dit parfois qu'on donne une certaine couleur au son. C'est la même chose pour vous, dans votre métier ?
Je ne sais pas. Disons qu'on peut parfois prendre l'habitude de travailler avec certains micros qu'on aime bien utiliser. Est-ce que, pour autant, les films français ont une couleur particulière ? Oui, peut-être un peu, quand même. On fait assez attention au son direct, c'est vrai. Peut-être également qu'on arrive à créer le son qu'on aime, mais dans la moitié des cas, le tout est de faire vite et bien. Peut-être avec une petite touche personnelle, mais pas forcément un truc reconnaissable entre tous. C'est plutôt réservé aux gens qui aiment le son. Sans diminuer la qualité de notre travail, ce n'est pas forcément ça, le détail qui fera qu'un film est mieux ou moins bien.
La discussion cinéma est quand même particulière, je suppose...
C'est vrai. Les comédiens ne parlent pas comme dans la vie, avec le niveau qu'on peut y mettre. Depuis que je fais du cinéma, c'est plutôt en-dessous du niveau normal. Quand on tourne sur le bord de mer et que les acteurs parlent comme s'ils étaient dans un salon, ça devient compliqué... mais c'est un peu comme ça que les choses se passent. Il n'y a pas forcément d'adaptation de la conversation au milieu ambiant. On est dans la sensation d'une réalité par rapport aux sentiments, mais on ne s'adapte pas forcément à la réalité du décor. C'est là que réside la difficulté !
J'imagine aussi que, parfois, les acteurs doivent jouer avec un son qu'ils n'entendent pas et qui s'ajoute en post-production...
C'est certain. L'idée est d'avoir le minimum de bruit autour de la voix pour mieux choisir ce qu'on mettra derrière par la suite. Sauf bien sûr si on a une volonté un peu documentariste, auquel cas le comédien est alors intégré au décor.
Parlons maintenant de Queen of Montreuil. Ce film présente-t-il des spécificités comparé à d'autres que vous auriez pu faire ?
Pas spécialement. Il y a tout de même l'histoire de l'otarie ! Un aspect un peu compliqué, notamment dans la scène de la salle de bains. Les comédiens étaient équipés en HF, mais je tenais aussi à mettre un micro dans la pièce. On ne pouvait pas le déplacer, sinon, l'otarie le suivait ou s'effrayait d'un mouvement un peu brusque ! On ne savait jamais trop comment l'animal allait réagir ! C'était le même tout au long du tournage. J'ai finalement fait assez peu de sons avec lui. Le résultat n'était pas extraordinaire et ça nous a donc demandé beaucoup de travail en post-production. C'est Jean Mallet qui s'en est occupé.
Autre point: dans le film, on entend parfois les personnages parler islandais. Est-ce que vous connaissez cette langue ?
Non. Au début, c'est un peu spécial, mais on finit par sentir le ton après deux ou trois répétitions. Parfois, on redemande les derniers mots, pour pouvoir ensuite mixer ou pour que le perchman puisse se déplacer d'un personnage à un autre. Sur des dialogues assez courts, ce n'est pas forcément obligatoire de comprendre exactement ce qui se dit. Pas sûr que j'y parviendrais avec un film entièrement tourné en chinois ou en arabe, mais au bout d'un certain temps, on finit quand même par comprendre l'intention ou saisir un déplacement.
Il arrive que des chefs opérateurs jugent certaines images impossibles à créer. Peut-on alors dire que le champ des possibles est plus vaste du point de vue du son ?
Il y a quand même des situations particulières. Une limite à la prise de son en direct. Sur Lulu femme nue par exemple, nous avons connu quelques séquences un peu difficiles. Nous étions aux Sables d'Olonne. J'y étais déjà parti en vacances, mais je ne m'étais pas rendu compte que la mer y faisait autant de bruit que l'autoroute A86. Je suis un peu ennuyé dans ces cas-là. Autre cas: dans une fête foraine, ça peut être difficile de contrôler le bruit, la musique, les mouvements. Après, ceux qui font du montage son ont souvent plein d'idées. Je ne sais pas s'il existe vraiment une limite.
Pour la fabrication d'un son, peut-être ?
En matière de nettoyage sonore, on peut aller très loin aujourd'hui grâce à l'informatique. On va jusqu'à récupèrer des bouts de mots qu'on replace ailleurs. Depuis environ une quinzaine d'années, la post-production sur ordinateur a quand même contribué à une amélioration du son. J'aime bien ces trucs-là. Ce qui peut être compliqué, c'est d'avoir placé des micros sur les comédiens un peu partout et d'avoir à gérer le bruit d'un vêtement trop neuf, cartonné ou de qualité trop moyenne... mais ça se travaille également.
Au cinéma, il faut également gérer le paramètre "musique". C'est un travail mené en collaboration ?
Non. C'est vrai que, sur la plupart des films, le musicien est contacté avant. Après certaines scènes musicales, on enchaîne direct avec du texte et il faut alors bidouiller. Pour que la musique ne nous gêne pas quand on travaille, on peut par exemple la balancer directement dans les oreilles des comédiens grâce à de petits récepteurs. La collaboration ne s'opère donc pas sur le plateau, sauf dans un cas particulier comme un enregistrement de musique en direct.
La musique est-elle alors un son comme un autre ?
Oui. Il faut juste prévoir un système d'enregistrement différent ou complémentaire. D'autres micros, une autre console... et c'est bien alors d'avoir une autre personne pour s'en occuper. Sinon, oui, ça reste de la prise de son live: il ne faut pas voir les micros, éviter la trop grande proximité. Au final, il faut que le son soit intéressant, que tout soit bien intégré au décor, qu'on ait fait un peu d'acoustique... des choses comme ça. Personnellement, je n'ai pas eu de relations directes avec les musiciens.
Devant un film, vous arrivez à éviter de ne penser qu'au son ?
Parfois oui, parfois non. Dans une séquence où on n'aimera pas trop le son, soit parce qu'on n'a pas su quoi faire, soit parce que le son direct n'est pas très bon... oui, effectivement, on pense au son. Après, quand le son est joli, on l'oublie, en fait.
Un film peut-il vous séduire par le son ?
Oui. Effectivement, je peux être séduit par une belle prise de son de voix. Si les voix sont belles, j'écoute le film. J'y prends du plaisir. C'est ce que j'aime dans mon métier, d'ailleurs: quand je fais une prise de son et que la voix me chatouille l'oreille, j'adore !
Y a-t-il donc des voix de comédiens qui vous plaisent particulièrement ?
Il y a les belles voix graves, les voix bien timbrées, les voix qui n'ont pas besoin de porter pour être entendues: pour l'ingénieur du son, c'est un peu ça, le top du comédien. On en retrouve peut-être davantage chez les acteurs d'un certain âge. Certains ont naturellement une belle voix, d'autres une voix plus difficile ou plus faible, une articulation plus ou moins bonne... et ça change aussi avec le temps. Depuis quelques années, on est dans le chuchotement et dans un jeu différent. Après, on a les Marielle, les Trintignant qui ont une voix sublime. Une prise de son avec des gens comme ça, c'est comme du velours dans les oreilles ! C'est vrai que Claude Gensac, par exemple, dans le dernier film de Sólveig, elle a une voix incroyable ! C'est vrai aussi que c'est une actrice d'une autre époque, mais elle a une voix de vieille dame, fumeuse, avec un coffre important... c'est impressionnant. Une autre façon de jouer, en fait !
Vous devez avoir un rapport particulier aux versions originales...
Ah ça oui ! J'essaye de ne pas regarder les versions françaises.
Même pour les langues que vous ne connaissez pas ?
Oui. Je n'arrive pas à regarder un film doublé: ça me gêne ! Cela peut m'arriver sur des séries ou des choses comme ça. Ce n'est pas tellement le problème que ce soit bien fait. C'est juste que j'aime bien entendre le son d'origine.
Est-ce qu'on retravaille le son autre que la voix, quand celle-ci est doublée ?
Pas tellement, je crois. Je n'ai pas l'impression qu'on retravaille beaucoup ce qui arrive avec le film. Cela dit, je n'en mettrais pas ma main à couper. Je n'assiste pas à ce type de mixages. En tout cas, la plupart des films sont bruités. Il en existe une version internationale, avec une ambiance sonore donnée et sur laquelle on peut venir poser des voix françaises.
Je vous ai demandé quand commençait votre travail sur un film. Pouvez-vous me dire quand il s'achève ?
Après le dernier jour, quand le tournage est terminé, il arrive qu'il reste encore quelques sons à faire. On vérifie que tout se passe bien au montage. On passe un ou deux coups de fil. On voit s'il manque des ambiances. Pour ma part, tous les trois ou quatre films, j'essaye de faire le montage de mes sons directs. C'est aussi une manière de finir le boulot. Il y a des ingénieurs du son que ça n'intéresse pas du tout d'aller tripatouiller leurs sons une fois qu'ils sont enregistrés. Moi, j'aime ça ! Après, je vais un peu au mixage et voilà, c'est fini. Sur certains tournages, ça se passe autrement: les gens récupèrent les sons que vous avez faits, ils vous appellent juste s'il y a un truc qu'ils ne comprennent pas et c'est tout...
La légende du cinéma dit que la dernière réplique de Casablanca a été ajoutée quelques jours après la fin du tournage. Avez-vous déjà été confronté à ce genre de situation ?
Oui, ça peut arriver, bien sûr ! Si on se rend compte au moment du montage que quelque chose ne va pas, on va refaire quelques voix. Sur un film, il y a souvent un moment où, quand le son et l'image sont un peu mis en place, on fait de la détection. On vérifie alors ce qui va ou ce qui ne va pas dans le son direct. S'il y a des choses à reprendre, il reste toujours une, deux ou trois petites journées pour la post-synchronisation. C'est intégré à la fabrication du film. Bon, quand il n'y a pas beaucoup d'argent, j'essaye de ne pas en faire...
Pour finir, y a-t-il des sons que vous n'aimez pas ? Ou bien est-ce qu'on parvient à tous les aimer, quand on est ingénieur du son ?
Les sons de papier, de sacs plastique... c'est un peu l'enfer. Ça prend un peu beaucoup de place et les micros n'aiment pas trop ça. Les bagnoles, ce n'est pas forcément toujours terrible. Les gamins qui crient. La mer, c'est un peu compliqué: c'est beau tout seul, mais pas forcément facile si c'est mélangé à la voix. Après, bon, j'aime le son !
Et peut-être même des sons que les autres n'aiment pas...
Possible. Je ne me suis pas vraiment posé la question. Il y a aussi des choses un peu étranges. Des sons qu'on n'entend pas tous de la même manière, qu'on apprécie sans trop savoir pourquoi. C'est personnel aussi. Moi, par exemple, j'aime bien les petits accidents de bouche.
Quels sont vos projets pour l'avenir ?
Dans l'immédiat, je n'ai pas de long-métrage prévu. Je vais peut-être continuer avec un documentaire que j'ai commencé il n'y a pas longtemps. C'est sur une femme écrivain, un peu artiste, qui s'appelle Annie Le Brun. Quelqu'un de vraiment bien. À part ça, pas de choses programmées...
En tant que technicien de cinéma, un peu dans l'ombre des acteurs et réalisateurs, ce serait quoi, la reconnaissance, pour vous ?
D'abord, c'est quelqu'un qui vous rappelle pour travailler avec vous ! C'est ce qui est super agréable. Le public ? À vrai dire, pour le son...
Et venant de vos pairs ? Il existe bien des récompenses réservées aux preneurs de son...
Oui, tout à fait. C'est vrai que ça doit être excitant, un peu une sorte de montée d'adrénaline ! Ce n'est pas ce qui peut changer le cours d'une existence, mais ça offre toujours cinq minutes de gloire... on passe à la télé ! Après, avoir régulièrement du travail et que les gens aiment être avec vous... voilà, c'est ça, le truc qui remplit une vie.
Quand je vous ai contacté la première fois, vous m'avez dit d'emblée être déjà en montage d'un nouveau film. C'est toujours aussi frénétique, la vie d'un technicien de cinéma ?
Ceux qui font du cinéma à temps complet, à raison de deux ou trois films par an, connaissent sûrement des temps de pause entre de trépidantes périodes de tournage. Moi, je fais autre chose: du documentaire, du magazine et parfois même du direct. Parfois, c'est vrai que c'est un peu speed de passer d'un truc à l'autre. Tout dépend des moments.
Apparemment, c'est donc pour vous un moment plutôt actif...
Oui, parce que ça fait quelques années maintenant que j'ai décidé de ne pas faire que du long-métrage. Parce que ça ne se passait pas comme ça, d'ailleurs. Il a fallu que je trouve d'autres moyens de travailler plutôt que d'attendre qu'un film me tombe dessus. Ce n'est pas toujours évident, ça m'oblige parfois à faire des choses pas très rigolotes, mais en même temps, c'est un peu ça, la vie d'intermittent.
Pour vous présenter un peu, j'ai vu que vous aviez touché au son dès votre service militaire et que vous aviez fait l’École supérieure de réalisation audiovisuelle. Comment parleriez-vous de votre parcours ?
Je ne sais pas d'où elle vient, mais le son est une vieille passion. Je devais avoir 11 ou 12 ans quand j'ai acheté mon premier magnéto. Partant de là, j'ai démonté des machines et j'ai su que je voulais faire quelque chose dans ce genre-là, sans savoir quoi exactement. Du cinéma, de la radio, de la musique ? Je voulais en tout cas enregistrer du son.
C'est ça. Je l'ai rencontrée à sa sortie de la Fémis. Elle était alors scripte sur un court-métrage. On s'était plutôt bien entendus et elle m'avait rappelé en 1991 pour Sandrine à Paris, un documentaire. Ensuite, on en avait fait pas mal ensemble. Plus tard, elle a fait Haut les coeurs ! avec ses camarades d'école. L'ingénieur du son avec qui elle bossait alors, Olivier Mauvezin, ne devait pas être dispo pour Stormy weather. J'ai donc fait ses autres films avec elle.
On a l'impression que ça s'enchaîne naturellement...
Euh... ça prend vingt ans, quand même ! Ce n'est pas forcément tous les jours, tous les mois ou même tous les six mois. J'ai eu des grosses périodes "ailleurs". Sólveig a continué à travailler avec Olivier sur d'autres trucs. C'est comme ça. C'est vrai que, pour moi, la dernière fois, c'était juste en octobre/novembre pour Lulu femme nue. J'espère que ça va continuer.
Votre CV classe vos travaux en fictions, documentaires et autres. Faut-il en conclure qu'il existe une différence dans la prise de son dans ces différentes facettes de votre métier ?
Oui. En fiction, le matériel est plus lourd. Et on travaille toujours avec un assistant.
Quand le preneur de son est-il associé au travail préparatoire d'un film ? On vous montre le scénario ?
Oui, entre quinze jours et trois mois avant le début du film. Je donne alors mon avis et il est en général enthousiaste: c'est mieux ! Depuis quelques années, je travaille sur des films où il n'y a pas forcément beaucoup d'argent. Parfois, j'ai l'occasion d'aller faire un tour sur les décors. Cela m'est arrivé il y a dix ans de partir en repérages avec toute l'équipe technique, le chef opérateur, le premier assistant et les autres. À l'heure actuelle, il faut plutôt faire avec ce qu'on trouve. Sur d'autres films, je sais que c'est différent. Sur Amour, par exemple, l'ingénieur du son était là à la construction du décor. Si le réalisateur trouve que c'est important, il peut discuter de ses idées avec lui.
Oui. Il y a des décors où le son n'est pas bon, où il y a des bruits parasites tout le temps. On essaye donc de le dire, mais parfois, il n'y a pas d'autre choix. On travaille désormais avec le micro HF depuis une bonne dizaine d'années: ça aide pour assurer la continuité de la voix, c'est sûr. Cela ne veut pas dire qu'on entend plus les bruits pour autant. Amener une voix propre, c'est un peu ça, notre boulot !
Vous devez parfois ouvrir des options au metteur en scène, non ?
Si. À Sólveig, notamment, je fais part de mes sensations. Elles ne sont pas forcément justes, mais c'est un élément dont elle peut tenir compte, qu'elle peut intégrer pour faire une séquence sur un autre ton. Bon, après, ce n'est pas tous les jours comme ça. Pour moi, c'est plutôt une collaboration instinctive, sur le vif. L'idée, c'est quand même aussi d'aller vite et de ne pas retarder le tournage.
En radio, on dit parfois qu'on donne une certaine couleur au son. C'est la même chose pour vous, dans votre métier ?
Je ne sais pas. Disons qu'on peut parfois prendre l'habitude de travailler avec certains micros qu'on aime bien utiliser. Est-ce que, pour autant, les films français ont une couleur particulière ? Oui, peut-être un peu, quand même. On fait assez attention au son direct, c'est vrai. Peut-être également qu'on arrive à créer le son qu'on aime, mais dans la moitié des cas, le tout est de faire vite et bien. Peut-être avec une petite touche personnelle, mais pas forcément un truc reconnaissable entre tous. C'est plutôt réservé aux gens qui aiment le son. Sans diminuer la qualité de notre travail, ce n'est pas forcément ça, le détail qui fera qu'un film est mieux ou moins bien.
La discussion cinéma est quand même particulière, je suppose...
C'est vrai. Les comédiens ne parlent pas comme dans la vie, avec le niveau qu'on peut y mettre. Depuis que je fais du cinéma, c'est plutôt en-dessous du niveau normal. Quand on tourne sur le bord de mer et que les acteurs parlent comme s'ils étaient dans un salon, ça devient compliqué... mais c'est un peu comme ça que les choses se passent. Il n'y a pas forcément d'adaptation de la conversation au milieu ambiant. On est dans la sensation d'une réalité par rapport aux sentiments, mais on ne s'adapte pas forcément à la réalité du décor. C'est là que réside la difficulté !
J'imagine aussi que, parfois, les acteurs doivent jouer avec un son qu'ils n'entendent pas et qui s'ajoute en post-production...
C'est certain. L'idée est d'avoir le minimum de bruit autour de la voix pour mieux choisir ce qu'on mettra derrière par la suite. Sauf bien sûr si on a une volonté un peu documentariste, auquel cas le comédien est alors intégré au décor.
Pas spécialement. Il y a tout de même l'histoire de l'otarie ! Un aspect un peu compliqué, notamment dans la scène de la salle de bains. Les comédiens étaient équipés en HF, mais je tenais aussi à mettre un micro dans la pièce. On ne pouvait pas le déplacer, sinon, l'otarie le suivait ou s'effrayait d'un mouvement un peu brusque ! On ne savait jamais trop comment l'animal allait réagir ! C'était le même tout au long du tournage. J'ai finalement fait assez peu de sons avec lui. Le résultat n'était pas extraordinaire et ça nous a donc demandé beaucoup de travail en post-production. C'est Jean Mallet qui s'en est occupé.
Autre point: dans le film, on entend parfois les personnages parler islandais. Est-ce que vous connaissez cette langue ?
Non. Au début, c'est un peu spécial, mais on finit par sentir le ton après deux ou trois répétitions. Parfois, on redemande les derniers mots, pour pouvoir ensuite mixer ou pour que le perchman puisse se déplacer d'un personnage à un autre. Sur des dialogues assez courts, ce n'est pas forcément obligatoire de comprendre exactement ce qui se dit. Pas sûr que j'y parviendrais avec un film entièrement tourné en chinois ou en arabe, mais au bout d'un certain temps, on finit quand même par comprendre l'intention ou saisir un déplacement.
Il arrive que des chefs opérateurs jugent certaines images impossibles à créer. Peut-on alors dire que le champ des possibles est plus vaste du point de vue du son ?
Il y a quand même des situations particulières. Une limite à la prise de son en direct. Sur Lulu femme nue par exemple, nous avons connu quelques séquences un peu difficiles. Nous étions aux Sables d'Olonne. J'y étais déjà parti en vacances, mais je ne m'étais pas rendu compte que la mer y faisait autant de bruit que l'autoroute A86. Je suis un peu ennuyé dans ces cas-là. Autre cas: dans une fête foraine, ça peut être difficile de contrôler le bruit, la musique, les mouvements. Après, ceux qui font du montage son ont souvent plein d'idées. Je ne sais pas s'il existe vraiment une limite.
Pour la fabrication d'un son, peut-être ?
En matière de nettoyage sonore, on peut aller très loin aujourd'hui grâce à l'informatique. On va jusqu'à récupèrer des bouts de mots qu'on replace ailleurs. Depuis environ une quinzaine d'années, la post-production sur ordinateur a quand même contribué à une amélioration du son. J'aime bien ces trucs-là. Ce qui peut être compliqué, c'est d'avoir placé des micros sur les comédiens un peu partout et d'avoir à gérer le bruit d'un vêtement trop neuf, cartonné ou de qualité trop moyenne... mais ça se travaille également.
Non. C'est vrai que, sur la plupart des films, le musicien est contacté avant. Après certaines scènes musicales, on enchaîne direct avec du texte et il faut alors bidouiller. Pour que la musique ne nous gêne pas quand on travaille, on peut par exemple la balancer directement dans les oreilles des comédiens grâce à de petits récepteurs. La collaboration ne s'opère donc pas sur le plateau, sauf dans un cas particulier comme un enregistrement de musique en direct.
La musique est-elle alors un son comme un autre ?
Oui. Il faut juste prévoir un système d'enregistrement différent ou complémentaire. D'autres micros, une autre console... et c'est bien alors d'avoir une autre personne pour s'en occuper. Sinon, oui, ça reste de la prise de son live: il ne faut pas voir les micros, éviter la trop grande proximité. Au final, il faut que le son soit intéressant, que tout soit bien intégré au décor, qu'on ait fait un peu d'acoustique... des choses comme ça. Personnellement, je n'ai pas eu de relations directes avec les musiciens.
Devant un film, vous arrivez à éviter de ne penser qu'au son ?
Parfois oui, parfois non. Dans une séquence où on n'aimera pas trop le son, soit parce qu'on n'a pas su quoi faire, soit parce que le son direct n'est pas très bon... oui, effectivement, on pense au son. Après, quand le son est joli, on l'oublie, en fait.
Un film peut-il vous séduire par le son ?
Oui. Effectivement, je peux être séduit par une belle prise de son de voix. Si les voix sont belles, j'écoute le film. J'y prends du plaisir. C'est ce que j'aime dans mon métier, d'ailleurs: quand je fais une prise de son et que la voix me chatouille l'oreille, j'adore !
Y a-t-il donc des voix de comédiens qui vous plaisent particulièrement ?
Il y a les belles voix graves, les voix bien timbrées, les voix qui n'ont pas besoin de porter pour être entendues: pour l'ingénieur du son, c'est un peu ça, le top du comédien. On en retrouve peut-être davantage chez les acteurs d'un certain âge. Certains ont naturellement une belle voix, d'autres une voix plus difficile ou plus faible, une articulation plus ou moins bonne... et ça change aussi avec le temps. Depuis quelques années, on est dans le chuchotement et dans un jeu différent. Après, on a les Marielle, les Trintignant qui ont une voix sublime. Une prise de son avec des gens comme ça, c'est comme du velours dans les oreilles ! C'est vrai que Claude Gensac, par exemple, dans le dernier film de Sólveig, elle a une voix incroyable ! C'est vrai aussi que c'est une actrice d'une autre époque, mais elle a une voix de vieille dame, fumeuse, avec un coffre important... c'est impressionnant. Une autre façon de jouer, en fait !
Vous devez avoir un rapport particulier aux versions originales...
Ah ça oui ! J'essaye de ne pas regarder les versions françaises.
Même pour les langues que vous ne connaissez pas ?
Oui. Je n'arrive pas à regarder un film doublé: ça me gêne ! Cela peut m'arriver sur des séries ou des choses comme ça. Ce n'est pas tellement le problème que ce soit bien fait. C'est juste que j'aime bien entendre le son d'origine.
Est-ce qu'on retravaille le son autre que la voix, quand celle-ci est doublée ?
Pas tellement, je crois. Je n'ai pas l'impression qu'on retravaille beaucoup ce qui arrive avec le film. Cela dit, je n'en mettrais pas ma main à couper. Je n'assiste pas à ce type de mixages. En tout cas, la plupart des films sont bruités. Il en existe une version internationale, avec une ambiance sonore donnée et sur laquelle on peut venir poser des voix françaises.
Je vous ai demandé quand commençait votre travail sur un film. Pouvez-vous me dire quand il s'achève ?
Après le dernier jour, quand le tournage est terminé, il arrive qu'il reste encore quelques sons à faire. On vérifie que tout se passe bien au montage. On passe un ou deux coups de fil. On voit s'il manque des ambiances. Pour ma part, tous les trois ou quatre films, j'essaye de faire le montage de mes sons directs. C'est aussi une manière de finir le boulot. Il y a des ingénieurs du son que ça n'intéresse pas du tout d'aller tripatouiller leurs sons une fois qu'ils sont enregistrés. Moi, j'aime ça ! Après, je vais un peu au mixage et voilà, c'est fini. Sur certains tournages, ça se passe autrement: les gens récupèrent les sons que vous avez faits, ils vous appellent juste s'il y a un truc qu'ils ne comprennent pas et c'est tout...
La légende du cinéma dit que la dernière réplique de Casablanca a été ajoutée quelques jours après la fin du tournage. Avez-vous déjà été confronté à ce genre de situation ?
Oui, ça peut arriver, bien sûr ! Si on se rend compte au moment du montage que quelque chose ne va pas, on va refaire quelques voix. Sur un film, il y a souvent un moment où, quand le son et l'image sont un peu mis en place, on fait de la détection. On vérifie alors ce qui va ou ce qui ne va pas dans le son direct. S'il y a des choses à reprendre, il reste toujours une, deux ou trois petites journées pour la post-synchronisation. C'est intégré à la fabrication du film. Bon, quand il n'y a pas beaucoup d'argent, j'essaye de ne pas en faire...
Pour finir, y a-t-il des sons que vous n'aimez pas ? Ou bien est-ce qu'on parvient à tous les aimer, quand on est ingénieur du son ?
Les sons de papier, de sacs plastique... c'est un peu l'enfer. Ça prend un peu beaucoup de place et les micros n'aiment pas trop ça. Les bagnoles, ce n'est pas forcément toujours terrible. Les gamins qui crient. La mer, c'est un peu compliqué: c'est beau tout seul, mais pas forcément facile si c'est mélangé à la voix. Après, bon, j'aime le son !
Et peut-être même des sons que les autres n'aiment pas...
Possible. Je ne me suis pas vraiment posé la question. Il y a aussi des choses un peu étranges. Des sons qu'on n'entend pas tous de la même manière, qu'on apprécie sans trop savoir pourquoi. C'est personnel aussi. Moi, par exemple, j'aime bien les petits accidents de bouche.
Quels sont vos projets pour l'avenir ?
Dans l'immédiat, je n'ai pas de long-métrage prévu. Je vais peut-être continuer avec un documentaire que j'ai commencé il n'y a pas longtemps. C'est sur une femme écrivain, un peu artiste, qui s'appelle Annie Le Brun. Quelqu'un de vraiment bien. À part ça, pas de choses programmées...
En tant que technicien de cinéma, un peu dans l'ombre des acteurs et réalisateurs, ce serait quoi, la reconnaissance, pour vous ?
D'abord, c'est quelqu'un qui vous rappelle pour travailler avec vous ! C'est ce qui est super agréable. Le public ? À vrai dire, pour le son...
Et venant de vos pairs ? Il existe bien des récompenses réservées aux preneurs de son...
Oui, tout à fait. C'est vrai que ça doit être excitant, un peu une sorte de montée d'adrénaline ! Ce n'est pas ce qui peut changer le cours d'une existence, mais ça offre toujours cinq minutes de gloire... on passe à la télé ! Après, avoir régulièrement du travail et que les gens aiment être avec vous... voilà, c'est ça, le truc qui remplit une vie.
1 commentaire:
Super intéressant ! Voilà bien un exemple de ce que je te disais : des techniciens qui restent dans l'ombre, et on ne sait pas trop en quoi consiste leur job au juste. Merci !
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