jeudi 8 septembre 2011

Penn de coeur

Une chronique de Martin

Le miracle du cinéma, c'est, parfois, de parvenir à émouvoir à partir de l'incongru. J'ai découvert dernièrement un film européen évoquant la Shoah à partir d'un univers quasi-onirique. Un certain réalisme cru ne peut masquer la bizarrerie d'un scénario porté sur la connaissance du génocide par la génération baby boom. Un peu tel le Costa-Gravas de Music box, le cinéaste m'a parlé d'un enfant et de son père méconnu, de ce qui disparaît et de ce qui reste, des grandes illusions et de la triste réalité, de la vie et de la mort. Et c'était très touchant.

L'affiche de This must be the place le dit aussitôt: le nouveau film du réalisateur italien Paolo Sorrentino place Sean Penn dans la peau d'un drôle de personnage. Cheyenne est une ancienne rock star rangée des concerts. On découvrira au cours du film la raison qui l'a poussé à mettre un terme à sa carrière. Désormais, il erre à pas feutrés dans sa vaste demeure de milliardaire, ne s'estime pas digne de l'amour de sa femme et tente d'aider un jeune serveur à séduire enfin la fille de ses rêves. Une âme en peine et tombée dans l'oubli.

Après avoir suivi Cheyenne et découvert autour de lui un Dublin populaire décalé, le spectateur qui verra ce film suivra l'ex-musicien sur les routes des États-Unis. Retrouvant après la mort de son père une famille qu'il avait quittée de peur de ne pas être aimé, le héros de This must be the place apprendra le terrible et double secret conservé par son géniteur: un passé de déporté et sa volonté farouche de retrouver l'officier nazi qui l'avait humilié à Auschwitz. En pleine tourmente affective, il se lancera à son tour à la recherche du criminel de guerre oublié. Le début d'un road movie initiatique comme Hollywood sait si bien les tourner. Chaque étape du parcours sera pour Cheyenne l'occasion de rencontres, qui lui démontreront que les choses ne sont jamais aussi simplistes qu'elles peuvent paraître et qu'il y a parfois, sur la scène de sa vie passée, des gens au moins aussi malheureux que lui. Et bien qu'il prétende à sa femme ne pas être parti pour se trouver, cette quête d'une vengeance encore indéfinie tient aussi du rituel de passage vers l'âge adulte.

Pour porter cette drôle d'aventure, il fallait à coup sûr des acteurs investis. Sean Penn l'est, indubitablement, sous l'improbable tignasse de Cheyenne. La plupart du reste de la distribution m'a paru bien loin de partager son statut de star et, pour la plupart, les acteurs choisis par Paolo Sorrentino sont pour moi des inconnus. Exception qui vient confirmer la règle: une très belle Frances McDormand, dans un rôle d'épouse attentive, moins étrange que son mari et en fait touchante pour cette même raison. Une galerie d'autres personnages parcourt continuellement le long-métrage et lui apporte beaucoup d'humanité, en dépit de quelques redites et d'un rythme étonnamment lent. Finalement, This must be the place est une oeuvre qu'il faut apprivoiser, à laquelle il faut savoir laisser une petite porte ouverte pour mieux apprécier ce qui y est montré. Le tout n'est pas exempt de quelques maladresses et pourra titiller de manière déplaisante l'émotion de ceux qui sont sensibles sur le lourd sujet de l'Holocauste. Moi, je reste séduit par le charme particulier de cette production italo-franco-irlandaise, à nulle autre pareille, portée par une bande originale rythmée et mélancolique à la fois. De quoi donner envie, après la projection, de s'intéresser de plus près à son réalisateur.

This must be the place
Film italien de Paolo Sorrentino (2011)
Revenu bredouille du dernier Festival de Cannes, le long-métrage divise, loin de faire l'unanimité. J'aime son originalité, son côté fantasque, pathétique et amusant à la fois. Il y a là quelque chose auquel je suis sensible, sans que je parvienne à dire quoi. Un peu comme son héros devant l'imprévu, d'ailleurs. J'ai, oui, un intérêt particulier pour les road movies et, bien que très différent, celui-là m'a d'une certaine façon fait penser à Into the wild. Conséquence directe du caractère débonnaire - et un peu dépassé par la société - de son principal protagoniste. Et effet Sean Penn, aussi, sûrement.

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