mercredi 14 octobre 2020

Un coeur révolté

Avec Eschyle et Euripide, Sophocle est l'un des trois dramaturges grecs antiques dont l'oeuvre est partiellement parvenue jusqu'à nous. Ces écrits datent pourtant... du 5ème siècle avant Jésus-Christ. Dernièrement, je suis allé voir Antigone, qui adapte la tragédie éponyme créée en - 441. Et la transfère dans le Québec d'aujourd'hui !

Antigone vit au Canada avec les siens: ses frères Étéocle et Polynice, sa soeur Ismène et sa grand-mère Ménécée - que l'on appelle Méni. Toute la famille a fui la Kabylie ravagée par la guerre civile au début des années 90, sans renoncer pour autant à la nationalité algérienne. Antigone, bien intégrée, a l'espoir d'être admise dans une université. Son destin bascule pourtant quand Étéocle est victime d'une bavure policière et Polynice incarcéré pour s'en être pris à un représentant des forces de l'ordre. La jeune femme, qui aide son parent à s'évader pour échapper à la sanction, est logiquement emprisonnée à son tour. À partir de là, l'intrigue du film se rapproche du récit originel imaginé par Sophocle: elle nous propose donc le portrait d'une adolescente révoltée par ce qu'elle considère de fait comme une double injustice. Ce portrait, pour ma part, je l'ai trouvé assez réussi. Et il faut dire que Nahéma Ricci, du haut de ses 21 ans, le porte avec un talent fou !

Le film a ceci de remarquable qu'il propose à la fois des images "classiques" et quelques autres qui ressemblent à celles des réseaux sociaux, Instagram, Facebook ou bien TikTok. C'est une bonne idée pour représenter la jeunesse, mais cela peut aussi nous permettre d'interroger notre rapport aux images et leur niveau de crédibilité. Antigone est à ce titre très ancré dans son temps, ce qui me fait dire que l'essentiel de la force du message sophoclien est ici préservé. Cela peut se discuter, bien sûr, mais je trouve que le déplacement géographique de l'action est aussi un atout, a fortiori pour le public français: la parlure québécoise, tout à la fois familière et étrangère, crée un décalage intéressant. Par ailleurs, les origines nord-africaines des principaux personnages fait aussi écho aux liens qui attachent notre pays à ses ex-colonies, en déplaçant le débat sur un autre sol. Ce territoire n'est d'ailleurs pas forcément plus ouvert à la présence durable de non-nationaux, a fortiori s'ils ont un mode de vie différent et/ou un comportement que les locaux jugent inadapté. Vaste sujet...

Antigone
Film canadien de Sophie Deraspe (2019)

Un long-métrage surprenant, au rythme haletant et aux émotions exacerbées, et qui peut sans doute déplaire pour ces mêmes raisons. J'insiste pour souligner l'impeccable prestation de l'actrice principale. Petite précision: William Dieterle (en 1962), Jean-Paul Carrère (1974) et Danièle Huillet / Jean-Marie Straub (1991) ont tous leur Antigone. Adeptes des femmes combattantes, revoyez Aquarius... ou Rosetta !

4 commentaires:

Pascale a dit…

Pas programmé chez moi. Dommage. Tu donnes envie. Et j'aime le parlement québécois.

Martin a dit…

Désolé que tu ne puisses assouvir ton envie de le voir...
Tu m'as fait rire avec ton "parlement". Je me demandais de quels députés tu parlais !

Pascale a dit…

Je préfère à parlation :-)

Martin a dit…

Moi aussi !