lundi 8 avril 2019

Nouvelle jeunesse

Il arrive que le hasard mette inopinément des films sur notre route. Ainsi, sans la visite de mes parents il y a quelque temps, l'opportunité de voir Faust, une légende allemande me serait passée sous le nez. C'est ainsi en cherchant un spectacle que j'ai appris qu'il était projeté lors d'un ciné-concert. Et je vais donc à présent tout vous expliquer...

Le Diable fait un pari avec l'archange Gabriel: il entend lui démontrer que tout être est corruptible. L'enjeu de la négociation ? Le contrôle absolu de l'ensemble de la Création ! Méphisto descend donc sur Terre pour y rencontrer un vieil humaniste, qui n'a trouvé aucune solution véritable aux maux de son temps (maladies, famines et guerres). Lorsque, grâce au Malin, la situation s'améliore, le docteur est chassé de chez lui, accusé - non sans raison - d'une sulfureuse complicité. N'ayant plus rien à perdre, il signe alors un autre pacte pour recouvrer sa jeunesse perdue, en échange de son âme. Cela relève d'un mythe germanique ancien, appuyé sur un personnage réel du 16ème siècle...

Quand il s'empare de cette histoire, Friedrich Wilhelm Murnau marche dans les pas d'autres artistes avant lui. Le cinéaste allemand travaille une dernière fois dans son pays, avant son départ aux États-Unis. Ancien historien de l'art, il n'a pas encore 40 ans, mais sa maîtrise formelle est incontestable: il nous a laissé ici une oeuvre muette d'une incroyable puissance émotionnelle, pour qui veut bien s'y laisser prendre. Sa restauration récente m'a presque fait oublier que Faust... est un film nonagénaire et donc l'un des plus vieux que j'ai pu voir ! Un statut "patrimonial" qui ne le hisse pourtant pas à des hauteurs inaccessibles. En fait, je dirais qu'il fait d'abord appel à notre coeur...

Je laisserai à d'autres le soin de revenir en détail sur les techniques employées pour réaliser un tel film. Ma connaissance du cinéma muet n'est encore que très légère: mon émotion est liée à mon impression qu'à cette époque, on faisait beaucoup avec relativement peu d'outils. Cela étant, certaines scènes de Faust... font aussi appel à des effets spéciaux - désignation moderne ? - et il paraît que la UFA, la société de production du long-métrage, n'avait encore soutenu aucun projet aussi complexe et coûteux. Oui, elle y aurait même perdu de l'argent ! Cela n'enlève rien à la qualité du travail de Murnau, mais je me dis que nous avons de la chance de pouvoir encore l'apprécier aujourd'hui.

Je vous ai déjà dit que j'ai vu le film en ciné-concert: une musique était donc jouée en live pendant la projection. Si je ne parle pas ici de bande originale, c'est parce que j'ai trouvé diverses sources contradictoires au sujet du compositeur de la partition de l'époque. Personnellement, c'est un accompagnement improvisé par le pianiste français Jean-François Zygel que j'ai entendu - une belle découverte. Pour info, c'était d'autant plus spectaculaire que j'étais alors perché au cinquième étage d'un majestueux théâtre à l'italienne, avec vue plongeante sur la scène et dans un confort vraiment... relatif, disons. Une autre des raisons qui font que je garderai un souvenir marquant !

Faust, une légende allemande
Film allemand de Friedrich Wilhelm Murnau (1926)

Quatre étoiles bien méritées pour cette perle ! Elle me rappelle aussi combien j'avais apprécié les autres longs-métrages du même cinéaste découverts auparavant - à savoir L'aurore (1927) et Tabou (1931). Voilà qui va également attiser ma curiosité envers le cinéma muet ! Bon... je ne parlerai pas aujourd'hui des versions parlantes du mythe de Faust au cinéma. Mais possible que ce ne soit que partie remise...

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Si cette longue chronique ne vous a pas contentés...

Vous pourrez toujours en lire une autre du côté de "L'oeil sur l'écran".

10 commentaires:

eeguab a dit…

Magnifique. Et le cinéma dit muet a su dire beaucoup de choses. Je regarde sur Arte replay assez souvet et je viens de voir Les mains d'Orlac, de Robert "Caligari" Wiene. Et avec Zygiel ça devait être saisissant. En ciné-concert ainsi j'ai vu il y a longtemps Potemkine, Nosferatu et La passion de Jeanne d'Arc.A bientôt.

Pascale a dit…

J'adore les cinés concerts et Jean François Zyegel est un merveilleux artiste. Ça devait être un beau moment.

Martin a dit…

@Eeguab:

Merci à toi de me faire penser à Arte replay qui, c'est vrai, est un bon filon pour le cinéma muet.
Je suis encore ravi de cette opportunité de ciné-concert attrapée au vol... et j'espère en avoir d'autres.

Martin a dit…

@Pascale:

C'était effectivement une belle découverte, même si j'aurais apprécié un fauteuil plus confortable.
Je me suis rendu compte après coup que c'était mon tout premier Murnau de sa période allemande.

Zygel est vraiment bon pour rendre tout cela très accessible et sympathique. Il est épatant !
Seul bémol: je l'ai trouvé un peu bavard au début, comme si c'était lui - et pas le film - la véritable star de la soirée.

Strum a dit…

Très grand film qui ne fait pas son âge comme beaucoup de classiques du muet. Murneau était très fort. J'ajouterais à ta chronique que la pièce de Goethe (dont est tiré le film) est exceptionnelle.

Strum a dit…

Murnau, qui ne comptait pas pour des prune(aux)...

Martin a dit…

@Strum 1:

Je n'ai jamais lu de livre de Goethe, à vrai dire.
En tout cas, ça donne envie de s'y frotter de plus près. Merci pour le conseil !

Martin a dit…

@Strum 2:

Oui, sans E, c'est mieux !

Princécranoir a dit…

Serait-ce Méphistophélès qui t'aurait entraîné tel Faust vers cette projection. J'espère que tu n'y as signé aucun pacte, sinon celui qui t'autorise à profiter de cette œuvre majeure, servie sur un piano de renom !
Comme je t'envie ce moment, qui me ramène au souvenir de "l'aurore" que j'ai pu voir se lever sur grand écran dans des conditions similaires (mais pas au temps de sa sortie, je te rassures sur mon âge anté-canonique).

Martin a dit…

Je n'ai signé que le pacte du plaisir, sur ce coup-là !
Le cinéma de Murnau me touche beaucoup. "L'aurore" dans ce contexte, ça devait être extra !