lundi 16 octobre 2017

L'impossibilité d'une île

Les biopics consacrés aux artistes semblent avoir le vent en poupe. Honnêtement, je n'ai pas hésité avant d'aller voir Gauguin - Voyage de Tahiti. J'apprécie le peintre, mais, surtout, j'ai trouvé bonne l'idée de le ressusciter au coeur des îles polynésiennes qui l'ont tant inspiré. Même si, ainsi, on ne montre là qu'une toute petite partie de sa vie...

Vous voulez le contexte ? En 1891, après avoir exercé divers métiers comme docker ou agent de change, Gauguin n'a plus un sou vaillant. La peinture, à laquelle il se consacre désormais entièrement, peine franchement à subvenir à ses besoins matériels, d'autant plus élevés qu'il a une femme et déjà cinq enfants ! Plutôt tourmenté, l'artiste voudrait mieux faire et, surtout, retrouver enfin une vraie flamme créatrice. Finalement, sans attendre le groupe des quelques amis censés l'accompagner, il s'embarque à destination de Tahiti, persuadé qu'il pourra vivre là-bas sous la protection d'une nature bienveillante. En ce sens, Gauguin... est bel et bien le récit d'une utopie. Sincère dans sa démarche, même si critiquable sans doute, l'homme découvre une terre neuve pour lui, sauvage, mais d'abord assez accueillante. C'est l'intelligence et le mérite du film de ne jamais la montrer vraiment comme nous pourrions l'imaginer en mode "carte postale"...

En réalité, c'est même presque tout le film qui s'avère anti-glamour. Même la grande beauté de la femme que Gauguin trouve rapidement dans la communauté tahitienne n'y change rien: j'ai eu le sentiment qu'à quelques rares scènes près, liées justement à ce contact intime avec la population locale, tout était terne et sans vie véritable. D'ailleurs, sauf parfois à l'arrière-plan, on ne voit que peu de tableaux du maître, bien que ce dernier soit presque toujours au travail. Conséquence: plutôt qu'un témoignage de son génie, c'est le souvenir de l'échec de son projet de vie que le scénario apporte, fatalement. Malgré tout soigné sur la forme, Gauguin... peut alors être discuté quant au fond: les choix narratifs qui ont été opérés incitent à voir l'artiste comme un brave type un peu paumé, plombé par la maladie et des rêves trop grands. La réalité était assurément plus complexe et moins reluisante, l'homme n'hésitant pas à évoquer ses relations sexuelles répétées avec une fille de 13 ans et d'autres adolescentes. On peut regretter que ce film très digne néglige cette part d'ombre...

Gauguin - Voyage de Tahiti
Film français d'Édouard Deluc (2017)

Je n'ai encore rien dit de Vincent Cassel, fièvreux comme d'habitude et très impliqué dans son interprétation: je l'ai trouvé très bon. Pourtant, pour l'avoir entendu avant de voir le film, j'ai appris alors qu'il ne se reconnaissait pas dans l'enfant et le sauvage que Gauguin disait être. Bref... cela n'enlève rien à cette réussite, au contraire. Pour retrouver la Polynésie au cinéma, je vous suggère aussi Tabou

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Et si cela vous tente de remettre les voiles...

Vous pouvez tranquillement voguer jusqu'au blog de l'amie Pascale.

10 commentaires:

eeguab a dit…

Amusant comme l'actualité réunit une fois de plus Van Gogh et Gauguin. Je viens de voir l'animation La passion Van Gogh et j'ai apprécié le spectacle, beaucoup moins le texte. Anthony Quinn et Donald Sutherland ont précédé Cassel dans le rôle. Belle référence que le Tabou de Murnau et Flaherty. A bientôt Martin.

Strum a dit…

Je ne l'ai pas vu, mais faire un film sur Gauguin en mentant sur le très jeune âge de ses femmes et concubines tahitiennes, c'est pour le moins hagiographique et problématique, je trouve.

Pascale a dit…

Avant ce film je ne savais pas que Gauguin aimait les petites filles, alors que le film n'en parle même pas... Il est évident que l"actrice est beaucoup plus âgée. Il semblerait que ce soit la coutume dans les îles à l'époque d'offrir ses filles aux visiteurs qui de toute façon devaient être mariées et mère à 15 ans...
Pour le reste on a l'impression d'un grand ratage et d'une grande injustice puisqu'il n'a jamais pu vivre de son art.
Quant à Vincent Cassel je l'ai trouvé prodigieux et parfois bouleversant.

Je n'irai pas voir le Van Gogh qui me semble être visuellement exécrable... Et les critiques ont fini de m'achever. J'ai eu le bonheur d'aller à Amsterdam en juin au Musée Van Gogh. Voir ses oeuvres en vrai, quelle expérience!

Martin a dit…

@Eeguab:

Je n'avais pas fait ce rapprochement, mais tu as raison. Comme toujours !
C'est vrai aussi que Vincent Cassel a eu d'illustres prédécesseurs dans le rôle.

"Tabou" a été pour moi un éblouissement. Le film qui m'a ramené vers le muet.

Martin a dit…

@Strum:

Je comprends ta réaction. Elle est largement partagée, du reste.
Pour ma défense, j'ignorais tout de ce part d'ombre du peintre au moment de voir le film.

Je voudrais te convaincre, sinon de le voir, au moins de ne pas le considérer comme hagiographique.
Il montre que Gauguin abandonne sa famille et n'est pas tendre avec sa très jeune nouvelle épouse.

Martin a dit…

@Pascale:

Je suis d'accord avec toi sur tout ce que tu dis du film.
Bémol: j'ignore tout des coutumes tahitiennes, mais le comportement de Gauguin là-bas lui aurait valu la prison s'il avait eu la même attitude en France métropolitaine.

Ah oui, j'imagine que voir les vraies oeuvres d'artistes de cette trempe, ce soit être quelque chose !

Pascale a dit…

Ne crois pas que j'excuse voire que je comprends... c'est toujours pour moi un mystère une aberration voire un écoeurement que des hommes mûrs (bien bien mûrs) soient attirés par des petites filles.
Rares sont les femmes je crois qui se tournent vers des petits garçons (même si hier j'ai revu l'étonnant The reader:-) )
Je ne connais rien des coutumes locales. Dans le film la famille lui offre cette fille tout naturellement comme un cadeau de bienvenue. Du coup malgré la surprise voire pire (et en voyant le film j'etais loin de me douter de l"âge de la beauté) j'ai tenté de me placer dans le contexte... sinon je serais sortie de dégoût.
Le fait qu'il ait fréquenté de très jeunes filles ne semble pas lui avoir pose le moindre problème.

Martin a dit…

Je n'ai pas cru une seule seconde que tu puisses cautionner ce genre d'actes.

Effectivement, le vrai Gauguin n'a pas été inquiété pour son comportement polynésien.
Je suppose qu'à Paris, les Tahitiens devaient alors être considérés comme "de bons sauvages".

Pascale a dit…

Ouf j'ai eu peur.

Oui le mépris colonialiste devait trouver ça bien naturel.

Martin a dit…

Je n'ai pas réellement creusé le sujet, pour être honnête.
L'idée, en tout cas, c'est de ne pas en rester sur ce point pour juger de la qualité du film.