vendredi 24 septembre 2010

La langueur de la lagune

La vision d'un grand réalisateur italien sur le livre d'un auteur allemand: c'est ce que je voulais vous proposer d'appréhender aujourd'hui avec Mort à Venise de Luchino Visconti, une adaptation de la nouvelle éponyme de Thomas Mann et un autre grand classique du septième art, récompensé d'un Prix spécial du Festival de Cannes. Je l'ai découvert un après-midi d'été et j'oserais dire pour commencer que ce n'est pas franchement le genre d'oeuvres à conseiller les jours pluvieux. L'histoire est des plus sinistres: Gustav von Aschenbach, compositeur bourgeois dans la force de l'âge, s'éprend de Tadzio, adolescent polonais qu'il rencontre dans la Cité des doges où il est venu prendre un peu de repos. Le premier regard déclenche irrémédiablement la passion, évidemment, loin d'être partagée. Voisins forcés, le vieil homme et l'enfant se croisent sans se parler.

Mort à Venise est un film d'ambiance. Il ne s'y passe pas grand-chose d'autre que la décrépitude d'un vieillard solitaire et son désarroi total face à la lumineuse insouciance de la jeunesse éclatante. Je parlais de cinéma muet la dernière fois: le long-métrage d'aujourd'hui pourrait presque l'être, tant l'essentiel de son propos se comprend avec un minimum de paroles. Il faut dès lors louer l'incroyable travail des acteurs et notamment de Dirk Bogarde, qui incarne ce "héros" voué à un destin funeste, ce pathétique combattant contre le temps qui passe inéluctablement. Björn Andersen, l'Apollon qui le fascine, est très bien lui aussi, mais a moins de choses à faire... et à dire. Certes, le thème général qui les rassemble - si j'ose écrire - pourra sembler malsain à certains spectateurs. L'opinion du réalisateur quant aux actes et pensées de ses personnages reste mystérieuse. Ce sera donc à chacun de les juger en son âme et conscience.

Pour ma part, j'ai apprécié le résultat et notamment sa beauté formelle. Nimbé dans la musique de Gustav Malher, dont est d'ailleurs librement inspiré Aschenbach, le film est une merveille plastique. Il donne à voir la Venise du début du siècle dernier, quelque temps avant la première guerre mondiale et bien avant qu'elle soit submergée par le tourisme de masse. Il y a évidemment, ainsi que je l'ai suggéré, quelque chose de très bourgeois dans Mort à Venise. Cela ne m'a jamais gêné, bien au contraire: j'ai trouvé ça tout à fait adapté à l'histoire ici racontée. Je signale pour l'anecdote que l'Hôtel des Bains, site de l'essentiel des scènes du long-métrage, vient de fermer pour être transformé en appartements de luxe. Tarif proposé: environ 15.000 euros le mètre carré. Si vous prend l'envie d'un pèlerinage cinématographique vers la Sérénissime, il vaudrait donc peut-être mieux l'entreprendre sur écran. Soyez déjà assurés que, quarante ans plus tard, le voyage ne manque pas d'intérêt.

Mort à Venise
Film franco-italien de Luchino Visconti (1971)
Comme, je suppose, dans l'écrit originel de Thomas Mann, la mort rode donc dans cette oeuvre cinéma. Le scénario se déroule inexorablement vers une fin tragique que je ne dévoilerai pas ici. Film à prendre avec des pincettes, donc, et si possible un jour d'enthousiasme général, pour ne pas en sortir totalement plombé. Pas facile pour moi de vous recommander un autre long-métrage pouvant lui être comparé. Je dirais In the mood for love, du Chinois Wong Kar-wai. Sinon, dans un tout autre style, j'ai pensé à Il était une fois dans l'Ouest. Juste pour l'utilisation du silence au cinéma.

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