mercredi 7 octobre 2015

Extérieur nuit

L'art a-t-il une utilité ? Une fonction ? De l'importance ? Je suppose que vous connaissez la chanson, à présent, mais ce n'est pas du tout pour me détendre que je suis allé voir Much loved. C'était d'abord pour soutenir un film censuré dans son pays, le Maroc, parce que jugé comme "un outrage grave aux valeurs morales et à la femme marocaine, une atteinte flagrante à l'image du royaume". C'est dire...

Ce film n'a pas d'héroïne: il a quatre personnages féminins principaux. Quatre jeunes femmes au caractère bien trempé, qui font commerce de leur corps, puisque, comme elles le disent très souvent elles-mêmes, elles sont putes. Dans la nuit de Marrakech, Noha, Randa, Soukaina et Himla grimpent fréquemment dans le taxi de Saïd pour rejoindre le lieu de leurs passes. Noha, un peu plus "volontaire" et plus exubérante que les autres, les invite à se considérer au-dessus de la mêlée, digne des clients saoudiens ou européens, dont le mérite consiste simplement à payer plus cher que les Marocains ordinaires. Avoir osé regarder cette réalité en face et la raconter: cela vaut aujourd'hui au réalisateur Nabil Ayouch et à ses quatre comédiennes d'être menacés de mort. Le cinéaste se défend, parle d'hystérie collective, explique à qui veut l'entendre qu'il a simplement voulu donner la parole à des femmes qui souffrent - et il y en a d'autres dans Much loved, qui ne sont pas des prostituées. Je suis mal placé pour juger des réalités de ce pays que je ne connais pas, mais bon...

De mon point de vue, ce long-métrage n'a absolument rien d'obscène. Explicite, il l'est, mais pudique à la fois, et c'est assez remarquable, d'ailleurs. Pour dire les choses concrètement, jamais vous ne verrez un sexe ou un sein à l'écran. Ces images n'ont rien d'érotique. L'amour est le grand absent: quand on croit qu'il pourrait exister, on se rend compte rapidement qu'il reste conditionnel, puisque toujours tarifé. Évidemment, ça fait mal, puisqu'on nous explique sans ambages comment la prostitution noie les âmes, celles des adultes, bien sûr, mais aussi celles des enfants. Même unies par leur vague solidarité de trottoir, les filles sont perdues et ne se font aucun réel cadeau. Existe-t-il aussi, quand même, des femmes qui se prostituent volontairement, ainsi qu'on a pu le suggérer en France, lors de débats parlementaires ? Much loved ne le dit pas et n'en montre rien. Sombre jusqu'au bout, le long-métrage illustre un engrenage inéluctable, dont on ne peut plus sortir dès lors qu'on y est tombé. C'est un constat violent, pour un film démonstratif... mais important.

Much loved
Film marocain de Nabil Ayouch (2015)

Le film est dur, très dur. Si certaines répliques peuvent permettre quelques sourires, c'est très souvent de sourires crispés qu'il s'agit. Moi, en tout cas, je continue d'aimer le courage de ce cinéma du réel. Si vous souhaitez vous remonter le moral quant à la condition féminine, je ne peux que vous encourager à (re)voir Wadjda. Du côté du Maghreb, Le Challat de Tunis pose, lui, un autre regard inquiet.

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19h40... un petit complément...

Je n'avais pas vu, mais Pascale a aussi parlé du film. Différemment.  

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