lundi 14 octobre 2019

Pendant la guerre

Il existe des films dont le seul titre résonne comme une invitation. Les contes de la lune vague après la pluie est peut-être le plus beau que je connaisse. Malgré cet a priori favorable, j'ai longtemps tourné autour du long-métrage (et alors même qu'on m'avait prêté le DVD !). Finalement, je l'ai vu en séance du samedi matin, à la bibliothèque...

La caméra nous emmène au Japon, au cours de l'une des guerres civiles de l'époque féodale. Le potier Genjuro voit le conflit armé comme une menace, mais aussi comme une opportunité: il s'imagine qu'il lui sera possible de vendre ses créations à un meilleur prix. Tobei, paysan désoeuvré, pense quant à lui qu'il deviendra samouraï. Les deux villageois laisseront-ils leur femme de côté pour tenter l'aventure ? C'est ce qui semble se produire, avant que la rude réalité des temps ne les rattrape finalement. Il n'est dès lors pas incohérent d'envisager le film comme un manifeste féministe avant l'heure ! Encore faudra-t-il souligner, à mon avis, qu'il est bien plus que cela...

Les contes de la lune vague après la pluie peut aussi être perçu comme une fresque historique. Le scénario ne donne aucun détail véritable sur la période abordée, mais je suppose que les Japonais n'ont pas nécessairement besoin qu'on leur fasse la leçon sur ce point. Pour le public occidental, il en va autrement, mais je vous rassure quand même: si vous partez du principe que la société est clivée entre classes dominantes et pauvres gens, vous saurez l'essentiel. C'est ensuite une oeuvre poétique, à la lisière même du fantastique, que vous serez amenés à découvrir. Quelques notions de culture nippone peuvent être utiles. Elles ne sauraient être indispensables...

Les images sont bien assez explicites ! D'aucuns ont comparé ce style avec celui des expressionnistes allemands: cela me paraît pertinent. J'ajoute donc que le noir et blanc apporte beaucoup à l'aspect onirique de certaines scènes cruciales pour le développement de l'intrigue. Constat d'évidence: ce sont les deux principaux personnages féminins qui permettent au film d'avancer. Je suis fasciné par le talent pictural qui s'exprime ici et vient encore magnifier le jeu des comédien(ne)s. Bon... je ne me suis pas penché sur l'étendue des moyens techniques mis à la disposition du réalisateur, mais c'est du très beau travail ! Sachez qu'il fut récompensé d'un Lion d'argent à la Mostra de Venise...

La manière dont le film s'achève est sans doute largement prévisible. Pourtant, jusqu'au bout, Les contes de la lune vague après la pluie permet d'admirer quelques-uns des plus beaux plans du cinéma japonais classique (voire du cinéma "tout court"). Je peux admettre qu'il m'a fallu quelques instants pour me réhabituer à ces thématiques et à ce rythme asiatiques, mais quel bonheur, au final ! Il est clair que ce genre de productions n'a rien à envier à celles des maîtres français ou hollywoodiens. Surprise: l'histoire qui nous est racontée ici s'inspire - entre autres - de deux nouvelles de Guy de Maupassant. Avis aux curieux: en mars 2015, elle est devenue... un livret d'opéra !

Les contes de la lune vague après la pluie
Film japonais de Kenji Mizoguchi (1953)

Une oeuvre de cinéma comme un poème (tragique). Je suis convaincu que le film a déjà des admirateurs/trices parmi mes lecteurs/trices. J'espère motiver les autres à apprécier le cinéma de Kenji Mizoguchi pour sa beauté (voir, en couleurs, L'impératrice Yang Kwei Fei). J'ai encore tant à découvrir moi-même ! Mon index "cinéma du monde" vous placera sur la piste d'autres maîtres: Ozu, Kurosawa, Naruse... 

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Si vous souhaitez lire d'autres avis...

Vous trouverez votre bonheur chez Strum ou sur "L'oeil sur l'écran".

6 commentaires:

cc rider a dit…

Je suis bien d'accord , chef d'oeuvre ....A voir du meme réalisateur "les amants crucifiés" , autre coup de maitre

Strum a dit…

Oh là, là, un des plus beaux films du monde celui-là. Comme le dit cc rider, Les Amants Crucifiés est magnifique lui aussi, sans compter Miss Oyu, L'Intendant Sancho, La rue de la honte, etc. Sinon, plutôt que de Maupassant, le film est surtout adapté de deux récits de l’Ugetsu-Monogatari, un recueil de contes japonais du XVIIIe siècle (soit La Maison dans les roseaux et L’Impure passion d’un serpent). Le titre original japonais est d'ailleurs précisément Ugetsu-Monogatari. Merci pour le lien Martin.

Martin a dit…

@CC Rider:

Merci ! "Les amants crucifiés" fait partie des nombreux films que je voudrais voir.

Martin a dit…

@Strum:

Merci à toi, l'ami ! Ta belle liste me fait très envie, je dois dire !
C'est vrai que je n'ai pas cité l'Ugetsu Monogatari. Tu as raison d'apporter cette précision.

Je ne sais pas encore quand je verrai mon prochain Mizoguchi, mais l'envie est bien présente.

eeguab a dit…

Hello Martin. L'un des ultra-classiques que je n'ai jamais vu. Comme Strum je dirai que les quatre que j'ai vus, parmi ses plus connus, sont tous fabuleux (Les amants...,L'intendant..., La rue... et L'impératrice Yang Kwei Fei). A bientôt.

Martin a dit…

Je te le recommande vivement, Eeguab ! Je suis sûr qu'il te plairait !
Pour ma part, j'ai encore un Mizoguchi en rayon, mais ce n'est pas pour tout de suite...

À bientôt, l'ami ! Quelques autres références japonais sont à suivre.