jeudi 10 janvier 2019

Regards sur l'Inde

J'ai le vague souvenir d'avoir lu un jour un roman de Satyajit Ray. Sauf erreur de ma part, ce devait être il y a une vingtaine d'années. Ce n'est qu'ensuite que j'ai appris que l'Indien était aussi cinéaste. Finalement, c'est... à la bibliothèque que j'ai vu deux de ses films récemment. Je saisis donc l'occasion d'écrire une chronique-diptyque !

Des jours et des nuits dans la forêt (1970)
Cet opus commence un peu comme le Délivrance de John Boorman. Cela dit, pas de confusion possible: il est arrivé deux ans plus tôt dans la chronologie du cinéma. Quatre hommes d'une classe favorisée partent ensemble en vacances à la campagne. Ils prennent leurs aises dans un hébergement qu'ils n'ont pas réservé, ce que la loi interdit pourtant, mais ils n'hésitent guère à soudoyer le gardien des lieux pour acheter son silence complice. Ce n'est que très moyennement qu'ils s'intéressent à celles et ceux qui forment leur voisinage immédiat. Quelle histoire ! J'ai vu un grand film social (et humaniste) dans ce que d'aucuns présentent plutôt comme un récit initiatique. Mon sentiment est en effet que, confrontés soudain à une misère qu'ils ne soupçonnaient pas, les quatre protagonistes principaux préfèrent encore détourner le regard. Même si quelques nuances peuvent tempérer ce bilan, je trouve le long-métrage assez sombre. Ce n'est pas un problème, au contraire: il n'en est que plus percutant !

Tonnerres lointains (1973)
On passe à la couleur, mais le ton reste le même: conspué en Inde pour l'image qu'il donne du pays, cet autre remarquable film repose pourtant sur une vérité historique, liée au second conflit mondial. Alors que le Japon mène une guerre de conquête, la province indienne du Bengale se retrouve coupée de ses habituels fournisseurs en riz. Conséquence aussi logique qu'effroyable: entre trois et cinq millions de personnes vont mourir de faim. Un sujet que Satyajit Ray aborde par petites touches, en concentrant son propos sur un jeune couple relativement favorisé (en tout cas, au départ). Avec une caméra délicate, il nous montre et démontre toute l'injustice d'une hiérarchie sociale basée sur les castes. Il nous rappelle également que la mort n'épargne personne et qu'à se croire trop pur, on se ment souvent. D'implacables constats que le film pose dans un cadre d'une beauté éblouissante, ce qui, par contraste, leur donne encore plus d'impact. Et la guerre, donc ? Ainsi que le titre le suggère, elle reste invisible...

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Un petit bilan...

J'ai mis la même note aux deux films: elle témoigne de mon plaisir devant ces deux belles découvertes. Il est très souvent agréable d'appréhender l'oeuvre d'un grand cinéaste pour la première fois. Aujourd'hui, j'ai également le sentiment de mieux connaître le cinéma indien, au-delà des inénarrables productions à la sauce Bollywood. Clairement, je suis loin d'avoir tout vu. Satyajit Ray... j'y reviendrai !

Et en attendant...

Je vous encourage à faire aussi un petit tour du côté de chez Strum. Un plan B possible, si vous le souhaitez: consulter "L'oeil sur l'écran".

8 commentaires:

Strum a dit…

Quelle bonne idée Martin de parler de Satyajit Ray ! Je suis un inconditionnel de cet immense cinéaste que je place dans mon panthéon personnel au même niveau que Ford, Renoir, Kurosawa, Hitchcock, etc. J'aime beaucoup les deux films que tu as chroniqués, et en particulier Des Jours et des nuits dans la forêt, film insaisissable et renoirien où chacun a ses raisons et que je trouve génial. Et merci pour le lien ! Je n'ai chroniqué que trois de ses films pour l'instant, mais j'espère en chroniquer d'autres bientôt...

Pascale a dit…

Je me suis tellement ennuyée (Oui je sais, c'est une hérésie) devant Le salon de musique (ou le Maître de musique je ne sais plus) que je ne suis jamais allée plus loin...
Mais ton avis sur ces 2 films donnent bien envie.

Strum a dit…

Pascale, on en a déjà parlé mais je le redis : crois-moi, Le Salon de musique est l'un des films les moins intéressants, les plus ennuyeux de Ray qui ne doit sa notoriété en France que par un hasard de la distribution. Tu es faite pour aimer ce cinéaste très sensible qui a fait de magnifiques portraits de femmes, de couples, heureux ou frappés par le destin. Le Monde d'Apu est l'un des plus beaux films du monde et deviendra l'un de tes films préférés quand tu l'auras vu. Pour en remettre une couche, je vais bientôt chroniquer Charulata, tiens, l'un des plus beaux portraits de femme de l'histoire du cinéma.

Pascale a dit…

Merci Strum pour cet encouragement. Pourtant le Salon de Musique était un film qu'un pote (j'étais jeune !) tenait pour un film sublime et incontournable. Tu me conseilles donc de commencer par le Monde d'Apu ?
Tes conseils me plaisent bien. Je viens de me faire un cycle Douglas Sirk et je me suis régalée.

Strum a dit…

La trilogie d'Apu est en fait une série de trois films racontant la vie d'un homme de l'enfance à l'âge adulte. Le Monde d'Apu est le troisième de la série, donc avant de le voir, il faut que tu vois les deux premiers qui sont La Complainte du sentier et L'Invaincu, et qui sont très beaux aussi. Donc, si tu as du courage, tu peux commencer par les trois films de la trilogie d'Apu. Si tu préfères éviter un tel investissement en temps au début, tu pourrais commencer à la place par Charulata qui raconte l'histoire d'une femme qui s'ennuie et tombe amoureuse du cousin de son mari (très grand film dont je vais parler ce week-end). Ou bien par La Grande ville que j'avais chroniqué et qui parle d'une femme décidant de travailler contre l'avis de sa belle-famille. Ou bien par le renoirien Des nuits et des jours dans la forêt dont vient de parler Martin.
PS : j'avais également vu Le Salon de musique jeune et le film m'avait moi aussi ennuyé. Cela dit, j'aimerais bien le revoir.

Martin a dit…

@Pascale et Strum:

C'est amusant et sympa de vous voir débattre entre vous !

Martin a dit…

@Pascale:

De mon côté, je peux te dire que cette découverte de ce cinéaste a été un très bon moment de mon année cinéma 2019. Les deux films que j'ai vus disent beaucoup avec peu d'effets dramatiques. On sent un vrai respect pour les personnages et les êtres humains qui les inspirent. Une forme d'empathie que je trouve aussi chez Akira Kurosawa, par exemple, dirais-je en fonction de ce que je connais des deux réalisateurs.

Bref, tout ça pour te dire que, comme Strum, je t'inciterais bien à persévérer.
Ou à tout le moins à ne pas rester sur le mauvais feeling à l'égard du "Salon de musique".

Martin a dit…

@Strum:

Merci pour le partage de toutes tes références, l'ami.
C'est la preuve qu'une fois de plus, on n'est pas prêt d'en finir avec le bon cinéma !

Je vais songer à sortir mon DVD de "Charulata" dans la pile où il attend son tour...