vendredi 21 décembre 2018

Mieux qu'une vengeance

Question: le nom de Wyatt Earp vous dit-il quelque chose ? Ex-truand devenu shérif, cet homme est l'une des grandes légendes de l'Ouest américain. Rien qu'au cinéma, sa vie a inspiré une quinzaine de films. Aujourd'hui, je vais vous parler de l'un des plus anciens: La poursuite infernale. Je le dis sans délai: ce western classique m'a beaucoup plu.

Son tout premier atout ? Le grand Henry Fonda dans le rôle principal. L'acteur, dont la carrière avait démarré onze ans plus tôt, effectuait son retour sur les écrans (après quelques années sous les drapeaux). En cette année 1946, il jouait ici l'un de ces personnages archétypaux qu'il affectionnait tant: un simple éleveur de chevaux, à la recherche d'une bonne terre où installer ses bêtes, et dont le jeune frère est tué lors du vol du troupeau, de nuit, par une bande de mauvais garçons. Rien de follement original, dites-vous ? C'est vrai: vous avez raison. Je persiste et signe donc: la banalité apparente de cet argument dramatique n'empêche pas La poursuite infernale d'être un bon film !

Mine de rien, le scénario est d'une densité tout à fait remarquable. On peut croire avoir affaire à une énième histoire de cow-boy assoiffé de vengeance, mais il est alors notable que le long-métrage prend le temps d'installer de beaux personnages secondaires, masculins évidemment, mais aussi - et c'est un bonheur ! - féminins. Loin d'être reléguées au rang de potiches, les femmes ont ici la part belle. Certes, elles ne sont peut-être pas encore tout à fait les égales de ces messieurs, mais c'est bel et bien grâce à elles que l'intrigue rebondit plusieurs fois. La poursuite infernale leur doit beaucoup ! Linda Darnell et Cathy Downs jouent, en outre, admirablement bien...

Une surprise: le film tel qu'on le découvre aujourd'hui n'est pas celui que son génial réalisateur, John Ford, avait tourné de prime abord. D'après ce que j'ai lu, il lui manque en effet une vingtaine de minutes au moins, du fait des coupes au montage imposées par la production. Malgré cela, le long-métrage témoigne d'une impeccable maîtrise formelle et offre dès lors au regard quelques plans de toute beauté. Jamais le noir et blanc ne m'a dérangé: c'est même tout le contraire. La poursuite infernale brille de ce classicisme et, sans difficulté aucune, va donc inscrire son nom dans mon panthéon des westerns. Peu importe les grosses libertés qu'il prend avec les faits historiques !

Je ne m'autorise évidemment pas à vous parler de la fin ! J'espère que cette modeste chronique vous aura donné envie de la découvrir par vous-mêmes. Un détail amusant: John Ford, qui reste le cinéaste américain le plus oscarisé, aujourd'hui encore, ne fut récompensé pour ce film "que" du Ruban d'argent, une distinction honorifique remise (jusqu'en 2006) par un syndicat de journalistes... italiens. Derrière un titre français à la gomme se cache un petit chef d'oeuvre. Je trouve logique qu'il soit précieusement conservé à la bibliothèque du Congrès américain: c'est avec noblesse que La poursuite infernale nous dit quelque chose de l'Amérique éternelle. Je n'en suis pas lassé !

La poursuite infernale
Film américain de John Ford (1946)

Après L'homme qui tua Liberty Valance à la toute fin de novembre et La prisonnière du désert l'année dernière, j'ai presque "enchaîné" trois John Ford majeurs. Ma préférence ira sans doute à celui d'aujourd'hui, que je qualifierais bien volontiers de modèle du genre. Quant à Henry Fonda, vous pourrez aussi l'aimer en Abraham Lincoln dans Vers sa destinée. Il reste lui aussi une incontournable référence.

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Une petite précision...
En VO, ce beau western a un joli titre: My darling Clementine. Maintenant, vous expliquer pourquoi serait un peu trahir son secret...

À tout seigneur tout honneur...
Le film fait l'objet d'une chronique enthousiaste de "L'oeil sur l'écran". Je note qu'il est aussi cité chez Ideyvonne, Strum, Eeguab et Vincent !

10 commentaires:

cc rider a dit…

Au de là du célébre "gun fight" qui fut porté 11 fois à l'écran, My darling clémentine reste une oeuvre majeure dans la carriére de Ford, par sa réalisation inspirée, son approche du sujet et le travail sur l'image . Henri Fonda dont l'interprétation de Earp est trés certainement aux antipodes de la vraie personnalité du célébre Marshall, reste fidéle à son image de droiture pétrie de valeurs américaines ( voir Young Mister lincoln, 12 hommes en colére,...). Il faudra attendre la fin des années 60 pour que Henri nous prouve qu'il était tout aussi génial dans des roles de salaud , voir "le reptile " et bien sur "le franck" d'"Il était une fois dans l'ouest".....

Pascale a dit…

Oui tu donnes envie de le (re)voir.
Quel était le titre original ?

Doc Holliday vole souvent la vedette à Wyatt. Ici je crois reconnaître Victor Mature et son physique à la Mitchum.

Martin a dit…

@CC Rider:

Merci pour ce joli commentaire !

Je dois dire que c'est grâce à ces personnages d'homme intègre que j'ai appris à aimer Henry Fonda. Même si, paradoxalement, il est probable que ce soit dans "Il était une fois dans l'Ouest" que je l'ai découvert. Ou peut-être en légende de l'Ouest dans "Mon nom est personne"...

Martin a dit…

@Pascale:

Très heureux de te donner envie de le (re)voir ! C'est très bon, tu (re)verras !
Le titre original ? J'en fais mention en fin de chronique: "My darling Clementine".

C'est effectivement Victor Mature qui, ici, joue (très bien) Doc Holliday.
Pour le coup, je dirais que Wyatt Earp et lui sont très complémentaires dans ce film.

Pascale a dit…

Mais oui My darling Clémentine :-)
Le pire c'est que je suis retournée en haut de note pour le trouver.
Du coup j'ai la chanson en tête.
Ils sont toujours complémentaires j'ai l'impression, tellement complices. J'ai toujours aimé ce personnage d'alcoolique malade.

Martin a dit…

Complices ? Oui, voilà, c'est le mot juste. Les personnages le sont, envers et contre tout.
Mais, et c'est là le petit miracle du film, les acteurs semblent parfaitement l'être aussi.

Strum a dit…

Le chef-d'oeuvre absolu du western classique, le plus équilibré, le plus pur, le plus fluide. J'aime énormément My Darling Clementine de Ford, qui fait partie de mes 100 films préférés. Je suis très content que tu aies aimé Martin. Sinon, en fait si, on peut voir My Darling Clementine tel que Ford le voulait. Il suffit d'acquérir l'édition DVD double qui le propose et le film est encore plus sublime, encore plus fordien. Seule la version "courte" en revanche figure dans l'édition simple. Cela dit, il n'y a pas tant de différences que cela entre les deux versions. Je chroniquerai le film un jour c'est sûr. Oh my darling...

eeguab a dit…

Je viens de le revoir la semaine dernière. Je suis en plein western comme tu sais. J'ai revu aussi Rio Grande, Le massacre de Fort-Apache, La chevauchée fantastique, tous de Ford. Et j'ai enfin vu Soldat bleu (1970) et La piste des géants (1930). Il y a des centaines de westerns intéressants. Bon Noël.

Martin a dit…

@Strum:

Hé hé ! J'ai vu qu'entretemps, tu l'avais chroniqué également. Je repasse chez toi bientôt.
Merci pour l'info sur le DVD contenant les deux versions. Même coupé, ce film est très beau. L'un de mes coups de coeur de l'année, indubitablement, et... je le redirai bientôt.

Martin a dit…

@Eeguab:

Qu'il est bon de parler "westerns" avec un connaisseur appréciateur comme toi !
Merci de me mettre toujours sur de nouvelles pistes... et à très bientôt, cher ami !