dimanche 25 avril 2010

Des enfants ingrats

Le cinéma, c'est très souvent l'occasion d'une escapade dans l'espace et le temps. Je vous emmène à présent dans le Japon des années 50. Il y a peu, ce Voyage à Tokyo, je l'ai aussi fait pour la première fois. Quelques mots sur l'intrigue: Shukishi Hirayama et sa femme Tomi sont deux sexagénaires nippons. Ils habitent une petite ville côtière avec leur fille cadette, Kyoko. Un jour, ils prennent le train, direction la capitale, pour rendre visite à leurs enfants, Shige et Koichi, ainsi qu'à leurs petits-enfants. Un autre de leurs fils, Shoji, n'est plus. Mort à la guerre, il laisse derrière lui une belle-fille, Noriko, chaleureuse avec le vieux couple. D'abord accueillante avec les aînés, la famille se trouve gênée aux entournures quand il faut les héberger quelques jours. Peu perceptible d'abord, un malaise s'instaure pourtant petit à petit, à mesure que l'hypocrisie des plus jeunes bascule et disparaît sous les coups de boutoir de leur égoïsme forcené. Lentement mais sûrement, M. et Mme Hirayama passent pour des gêneurs. La discrétion de leur mode de vie n'empêche pas qu'ils ne soient plus vraiment les bienvenus chez leurs enfants. Comme si elle cohabitait avec deux inconnus, la jeune génération s'essouffle vite et en vient à chasser l'ancienne. Ce qui ne sera pas sans conséquences, notamment sur la santé de la grand-mère...

Voyage à Tokyo est sans doute le plus vieux film japonais qu'il m'ait été donné de voir - au moins pour le moment. De fait, j'ignorais tout de Yasujiro Ozu, le cinéaste qui le réalisa en 1953. Il n'est pas évident d'entrer dans cette histoire, aux enjeux finalement simples par rapport à ceux du cinéma d'aujourd'hui et d'une culture objectivement bien différente de la nôtre. Même si elle ajoute beaucoup à l'authenticité, la version originale japonaise achève également de faire du long métrage une oeuvre exigeante, difficile d'accès et, parfois, un peu hermétique dans son formalisme classique. Toutefois, je ne regrette pas les presque deux heures devant mon téléviseur. Le plus difficile consiste peut-être à trouver le bon créneau horaire pour visionner ce type de productions. Il est bien évident que les adeptes du cinéma d'action risquent de passer leurs chemins car, s'il réalise quelques plans d'une grande beauté, l'homme derrière la caméra n'est sûrement pas un adepte des effets spectaculaires. En un mot comme en cent, nous avons ici du cinéma à l'ancienne. Cela étant clarifié, je souligne que ce n'est pas étonnant compte tenu de l'ancienneté du film et j'insiste pour dire qu'il est vraiment intéressant de dépasser les petites "contraintes" techniques pour remettre au jour des monuments de la longue et belle histoire du septième art. Car c'est bien de cela dont il s'agit ici.

Le film est considéré comme l'un des chefs d'oeuvre de son auteur. Certains critiques professionnels en font même l'une des pièces majeures du cinéma dans son ensemble. Magazine spécialisé fondé en Angleterre en 1952, Sight and Sound propose tous les dix ans (!) son palmarès des cent meilleures productions internationales: Voyage à Tokyo était classé 3ème en 1992 et encore 5ème en 2002 ! Je ne suis pas sûr à 100% que ce soit également le cas outre-Manche, mais c'est en 1978 qu'il est arrivé en France, faisant du même coup connaître Yasujiro Ozu... décédé quinze ans plus tôt. Si ce n'est évidemment d'avoir pu honorer le maître de son vivant, il n'y a pas grand-chose à regretter. Même si, comme je l'ai suggéré, son travail apparaît aujourd'hui un peu daté, il est aussi enthousiasmant d'avoir l'occasion de le découvrir maintenant. Mieux vaut tard que jamais ! Mine de rien, dans cette histoire de conflits plus ou moins larvés entre les générations, il y a aussi un peu d'universalité. Les réactions des uns et des autres peuvent tout à fait nous parler aujourd'hui encore, et ce bien que nous soyons jeunes et occidentaux. La palette des caractères qui sont ici dépeints est large: un autre gage d'identification possible avec l'un ou l'autre des personnages. Conclusion: cette découverte était pour moi vraiment positive. Plaisir à venir, il reste une bonne demi-douzaine de vieux films japonais dans ma collection de DVDs: je me réjouis déjà d'avoir ainsi la possibilité de mieux appréhender cette culture et d'approfondir encore ma connaissance "globale" des films et de leurs auteurs.

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