lundi 23 mars 2020

Derrière le masque

Les historiens nous disent que, dans le théâtre grec, les comédiens portaient des masques. Que sait-on finalement de la véritable nature des femmes et des hommes que nous voyons jouer ? Cette question est centrale dans Ève, un classique après lequel j'ai couru longtemps ! Autant le dire ici: je suis ravi de pouvoir vous en parler aujourd'hui...

Eve Harrington, une jeune comédienne, reçoit un prix prestigieux. D'emblée, la caméra nous offre un certain contraste entre son visage rayonnant et la mine de certains de ceux qui assistent à la cérémonie. Autour de l'héroïne, il y a là notamment une actrice (un peu) plus âgée et la femme d'un auteur à succès. Une voix off donne quelques détails sur les un(e)s et les autres, avant que ne démarre un long flashback explicatif sur les relations croisées qui unissent cette petite troupe. L'on découvre alors que la star du jour n'était encore qu'une "groupie" quelques mois plus tôt, devenue toutefois, à grand renfort d'humilité affichée, l'amie et l'assistante ultra-zélée d'une vedette des planches. Dense et remarquablement écrit, adossé en outre à des dialogues mitonnés aux petits oignons, le scénario va alors renverser la table pour nous ramener au point de départ... et nous raconter la suite. Admettons-le sans sourciller: Ève est un film exigeant, mais au sens noble du terme. De fait, l'attention qu'il réclame est payée en retour par la découverte d'un trésor de l'âge d'or hollywoodien. Bonheur XXL !

À l'époque, six Oscars - dont celui du meilleur film - ont récompensé cette belle réussite. Je la mets d'abord au crédit des comédiennes choisies: à Anne Baxter dans le rôle titre, vous serez sans doute ravis d'ajouter le remarquable duo Bette Davis / Celeste Holm, sans oublier d'apprécier les rôles secondaires (Thelma Ritter et Marilyn Monroe). Cette grande comédie humaine s'intéresse d'abord aux personnages féminins, mais les hommes, bien qu'en léger retrait, ont une place importante dans le déroulé de l'intrigue - non, je n'en dirai pas plus. Je tiens donc à saluer les prestations de quelques-uns de ces acteurs que j'ai en réalité découverts à l'occasion: Gary Merrill, Hugh Marlowe et Gregory Ratoff, par exemple. Et pour le coup, je réserve ma Palme d'honneur à George Sanders, comme souvent impeccable d'ambiguïté. Ève, assez féroce avec le monde du théâtre, doit-il également être vu comme le miroir de celui du cinéma ? C'est une clé d'interprétation possible, mais gardons-nous toutefois des généralisations abusives ! Je ne retiendrai, au final, que le simple plaisir pris à regarder ce film.

Ève
Film américain de Joseph L. Mankiewicz (1950)

Traverser les décennies: c'est aussi cela, la magie du grand cinéma. Juste deux ans plus tôt, Les chaussons rouges nous avaient entraîné dans les coulisses d'un ballet... et c'était vraiment très bien aussi ! Pour retourner au théâtre, on peut opter pour le radicalisme absolu d'un chef d'oeuvre comme Persona ou préférer la belle expression contemporaine de Sils Maria. Avant d'en revenir à Jeux dangereux...

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D'autres amateurs dans la salle ?

Ils semblent nombreux: je cite donc Strum, Eeguab, Vincent et Lui. Attention: des spoilers peuvent encore traîner, à droite ou à gauche !

8 commentaires:

eeguab a dit…

Film magnifique sur le métier des planches, le miroir aux alouettes, les ambitions, les trahisons, bref sur l'humain. Merci du rappel pour un article presque aussi ancien que le film. Mank est immense (Comtesse..., Jules..., On mumure..., Le limier, La maison..., L'aventure de...); A bientôt Martin.

Martin a dit…

Hello l'ami Eeguab ! Content de te lire sous cette chronique: je me disais que j'avais des bonnes chances de te voir réagir à propos d'un Mankiewicz. Merci au passage de me rappeler que j'en ai encore d'autres à découvrir. Je vais tâcher de ne pas laisser passer les occasions. Et je te dis à bientôt pour d'autres inspirations plus ou moins communes !

Pascale a dit…

Ah oui quel grand film. Anne Baxter l'innocence personnifiée et Bette Davis la maturité blessée. Quels duos ! Quels duels ! On ne sait à qui se fier.

Martin a dit…

J'ai trouvé Bette Davis extraordinaire et Anne Baxter nickel, mais en très léger retrait.
N'oublions pas Celeste Holm: j'ai aimé l'évolution de son personnage et sa façon de le jouer.

cc rider a dit…

J'aime beaucoup Georges Sanders , qui reçu d'ailleurs un oscar pour sa prestation dans « Eve » et a promené sa distinction très British dans de nombreux chefs d’œuvres. On se souvient de sa suavité dans « Moonfleet « , ou de sa diction parfaite dans « une aventure de Mme Muir » un autre Mankiewicz...Bien avant Roger Moore il prêtera son élégance toute britannique au personnage de Simon Templar dans une série de films tournée à la fin des années 30, un peu oubliée aujourd'hui....

Martin a dit…

George Sanders est très bon dans ce film. Cauteleux et sournois. Mais chut !
Je crois que c'est dans "L'aventure de Mme Muir" qu'il m'a épaté la première fois.

Merci d'apporter cette précision sur Simon Templar. Un autre trésor à dénicher...
Personnellement, je l'ai également apprécié dans "Le village des damnés", dans un autre genre.

Strum a dit…

Chef-d'oeuvre de l'âge d'or d'Hollywood qui bénéficie d'un des meilleurs scénarios jamais écrits. Bette Davis est extraordinaire, comme tu dis, et Sanders égal à lui-même.

Martin a dit…

Ah oui, le scénario de ce film, c'est quelque chose ! Quelle qualité d'écriture !
Le tout est effectivement porté par une distribution de haut vol. Je n'ai relevé aucune fausse note.