lundi 10 octobre 2016

Wajeman et ses chemins

Je ne vous ai pas tout dit, samedi: si j'ai eu l'occasion de découvrir enfin Les anarchistes, c'est aussi et surtout la perspective d'échanger avec Elie Wajeman qui m'a motivé à suivre cette séance-rattrapage. Oui, le jeune réalisateur était là, ce jour-là, et c'était un vrai plaisir d'écouter ce qu'il avait à dire autour de son film. Il a pris son temps...

Les anarchistes est un film bavard, ce qu'Elie Wajeman assume bien. Parmi ses références, il aime à citer "de jeunes réalisateurs d'origine étrangère et qui, appuyés sur un casting contemporain, ont renoué avec la tradition de la grande fresque". Bon connaisseur du cinéma américain, le metteur en scène évoque à titre d'exemples des oeuvres majeures venues du Nouvel Hollywood, comme Le parrain (Coppola), Bertha Boxcar (Scorsese) ou encore La porte du paradis (Cimino). Motivé, il a voulu lui aussi s'emparer d'un pan de l'histoire, sans faire cependant un vrai film historique à proprement parler. "C'est un film d'infiltration et, avant tout, c'est l'histoire d'un type coupé en deux"...

Elie Wajeman dit s'être intéressé à la manière dont "ce personnage peut rejoindre une cause politique pour une raison bizarre" et trouver ainsi une voie pour aller de l'avant, se construire. Avoir filmé caméra à l'épaule l'a visiblement rapproché de ses acteurs et protagonistes. Initialement, il ne pensait pas donner une telle importance au groupe. Il dit aussi avoir inventé ses images du Paris de 1899 en observant quelques tableaux d'époque ou de vieilles photos. "Les gens prennent leur vie, leur famille, leur appartement... que peut-il se passer derrière leurs rideaux ? C'est aussi ce que j'ai essayé de toucher". Autre réussite: le travail sur le son dans une incroyable scène d'usine !

Comme je l'ai souligné, la photo du film rend les choses assez douces. Elie Wajeman l'a construite dès le tournage, grâce à... un bas posé sur l'objectif de sa caméra ! Pour répondre à une remarque, il note toutefois que cette prétendue douceur est très discutable, du sang étant versé - même s'il est plus suggéré que réellement montré. D'ailleurs, s'il s'est intéressé à un groupe de jeunes anars, c'est aussi en raison du paradoxe idéologique qui existe entre leur exaltation révolutionnaire et la dimension quasi-romantique de leur espérance. Habilement, il parvient à démontrer qu'il n'est pas facile de passer vraiment à l'action. Cette "confrontation avec le réel" l'a ému, dit-il. Le cinéaste indique qu'il n'aurait pas fait un tel film sur les marxistes. Tout en affirmant son respect pour l'idéologie des uns et des autres...

C'est en toute conscience qu'Elie Wajeman a fait de son personnage principal un type ambigu. "Certains le détestent", juge-t-il, sur la foi des réactions que suscite son film. Ledit film est-il réaliste ? Assez. Le réalisateur explique qu'il s'est beaucoup documenté, mais ajoute également: "Les flics infiltrés de cette époque ne l'étaient pas autant. Ils rentraient chez eux à 19 heures". Le cinéaste sourit et explique que la connaissance que l'on peut avoir aujourd'hui des milieux anarchistes dans leur intimité vient d'abord... des rapports de police ! "Les historiens sont obligés de se taper ces sources !". Et d'imaginer combien cela pourra heurter les convictions de certains chercheurs...

Les anarchistes est un titre un peu réducteur. "Je me suis intéressé aux anarchistes individualistes, c'est-à-dire à ceux qui voulaient d'abord faire la révolution en eux-mêmes", souligne Elie Wajeman. Conforme avec sa ligne, le réalisateur ne montre guère la violence concrète et ne la cautionne jamais. Il filme aussi une histoire d'amour et d'amitié, les protagonistes voyant leurs propres sentiments évoluer. Volontairement, et exceptée Adèle Exarchopoulos, il a choisi des acteurs trentenaires: "J'interroge aussi la fin de la jeunesse". Revenir à la toute fin du 19ème siècle a aussi permis au cinéaste d'utiliser une langue relativement soutenue. "J'en avais besoin", dit-il.

Pas d'intention polémique pour Elie Wajeman: "Oui, le film peut poser quelques questions sur la politique actuelle, mais je ne l'ai pas écrit pour ça". En revanche, le jeune homme s'est intéressé aux questions de l'hérédité et de la transmission. Les anarchistes qu'il met en scène pourraient être les enfants d'activistes révolutionnaires. Sont-ils prêts à reprendre le flambeau ? C'est possible, mais il existe d'autres voies qui méritent peut-être d'être explorées. Le cinéaste ne tranche pas. "Mon film n'est ni militant, ni manichéen, ce qui peut le rendre difficile à celui qui le reçoit". Elie Wajeman parle aussi de frontières et dresse ce constat: "C'est difficile d'être des deux côtés à la fois". Une évidence que son scénario rappelle à chacun des protagonistes. Finalement, il se peut que ce soit même ce que le film a de plus cruel.

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Une petite conclusion personnelle...

J'en suis convaincu: Elie Wajeman a des choses intéressantes à dire et à montrer au cinéma français. Pour info, il cite aussi La sentinelle d'Arnaud Desplechin et Donnie Brasco (Mike Newell) comme sources d'inspiration. Encore en cours d'écriture, son prochain long-métrage devrait être un film noir inspiré de Platonov, une pièce de Tchekhov. Un incontournable ? À ce stade, je dirai plutôt un objet de curiosité...

4 commentaires:

Véronique Hottat a dit…

Bon, je n'en sais pas plus sur l'initiative cinéphile inattendue d'un collectif de psychologues, mais ce n'est pas grave ;-) J'apprécie beaucoup ce qu'en dit le réalisateur de son film, cela donne d'autant plus envie de le voir. Seul bémol, j'apprends que Les anarchistes est un film bavard, or j'ai beaucoup de mal avec les films bavards. Enfin, ma curiosité sera la plus forte !

Martin a dit…

Ah ah ! On dirait que je ne tiens pas toutes mes promesses !

Blague à part, je dois t'avouer que le versant psy du débat post-projection était un peu trop pointu pour mes modestes connaissances ! D'où le fait que je ne me suis pas tellement étendu sur le sujet, mes notes imprécises ne me permettant guère de reconstituer un discours à peu près cohérent. Désolé...

Finalement, j'ai eu le sentiment d'une discussion hybride entre plusieurs approches dignes d'intérêt. Mais, pour moi modeste ciné-amateur, ce n'était pas forcément facile à suivre, sachant qu'il y avait plusieurs personnes sur scène pour échanger avec Elie Wajeman, chacune avec un regard assez spécifique sur le film. Et je ne parle même pas des quelques interventions de la salle !

J'espère en tout cas que tu pourras voir le film et serais, le cas échéant, ravi d'en rediscuter.

Véronique Hottat a dit…

Merci pour toutes ces explications Martin ;-)

Quand je le verrai, je reviendrai t'en parler ici, promis.

Martin a dit…

C'est gentil. J'espère bien que nous aurons l'occasion d'en débattre "chez toi" !