mardi 31 mai 2022

Shakespeare réinventé

Serait-ce inéluctable ? Souvent, dès lors qu'un film prend des libertés importantes avec la réalité historique, il s'attire aussitôt les foudres d'une partie de la critique pour cette raison. J'ai regardé Anonymous comme un divertissement - sans me préoccuper donc de la véracité de ce qu'il raconte sur Shakespeare. Et tant pis pour la controverse...

Le héros du film a pour nom Edward de Vere, 17ème comte d'Oxford sous le règne de la reine Elizabeth première d'Angleterre (1558-1603). Dévoué à la souveraine, il se méfie de son ministre, William Cecil, réputé être favorable à James VI Stuart, roi d'Écosse et prétendant possible à la succession de la dernière des Tudor. Son âme poétique l'incite à écrire des pièces qui puissent exprimer ses inquiétudes politiques... sous un faux nom, car un noble qui s'adonne à la plume adopte un comportement qui ne correspond pas à son rang social. Vous l'aurez deviné: c'est là que Shakespeare entre en jeu. Le film n'est pas tendre avec lui, qui le présente d'abord comme un comédien de bas étage, bien vite doublé d'un maître-chanteur. Un profil décisif pour étayer un scénario dont je n'avais pas imaginé la complexité. Anonymous raconte sans doute des fariboles, mais il le fait bien. Seule la grandiloquence du film peut parfois jouer en sa défaveur. Grâce à la qualité du jeu des acteurs, ces aventures m'ont fasciné ! Libre à vous, bien sûr, de confronter ensuite la fiction aux faits réels.

Anonymous
Film britannique de Roland Emmerich (2011)

En général, le réalisateur - allemand - est plutôt cité pour ses talents d'artificier que pour sa capacité à mettre en scène des histoires compliquées. L'exception confirme-t-elle la règle ? J'ai un petit faible pour un autre de ses films: Stargate - La porte des étoiles (1995). Mais demeurons au 16ème siècle anglais: Elizabeth reste un must ! Sa suite (Elizabeth - L'âge d'or) un peu moins: c'est à vous de voir...

lundi 30 mai 2022

Numéro une

Vous avez vu ? Après la retraite de Pierre Lescure, le futur président du Festival de Cannes sera... une présidente, Iris Knobloch, 59 ans. De nationalité allemande, cette juriste connaît le monde du cinéma pour avoir dirigé le groupe Warner en France, puis dans une partie plus importante du territoire européen, jusqu'à l'été dernier. Pas mal !

Dernièrement, elle occupait la tête d'I2PO, une structure financière créée par la famille Pinault et le banquier d'affaires Matthieu Pigasse pour investir dans le secteur du divertissement et des loisirs. D'aucuns s'inquiètent de possibles conflits d'intérêt entre ces fonctions et le mandat qu'elle exercera sur la Croisette en 2023, 2024 et 2025. D'autres déplorent un manque de transparence du Festival, le conseil d'administration votant à bulletins secrets (selon la règle statutaire). Pour ma part, j'attends de la voir à l'oeuvre pour juger des qualités réelles de l'heureuse élue, qui a parlé de la sauvegarde de la vie culturelle comme d'une "impérieuse nécessité" - ce qui fait consensus. Pour l'anecdote, on pourra noter que seuls deux de ses compatriotes ont reçu la Palme d'or: Volker Schlöndorff (en 1979, pour Le tambour) et Wim Wenders (en 1984, avec Paris, Texas). Le podium des pays "dorés" réunit le trio États-Unis (13 Palmes), France (9) et Italie (5)...

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Et 2022, dans tout ça ?

Ce samedi soir, la récompense suprême a été remise à un réalisateur suédois, Ruben Östlund. Son nouveau film, Sans filtre, lui permet d'ajouter son nom à la liste des doubles lauréats (cf. mon index). J'avoue cependant qu'il m'attire moins que d'autres longs-métrages comme Les bonnes étoiles du réalisateur japonais Hirokazu Kore-eda ou Decision to leave du Coréen Park Chan-wook. Je dois dire aussi que je n'ai pas encore creusé le palmarès jusqu'aux perles françaises. Ce qui ne veut évidemment pas dire que je les négligerai. À suivre...

samedi 28 mai 2022

Fraulein

Je n'ai pas fini de mesurer l'ampleur de ce que les Européens exilés pour échapper au nazisme ont apporté aux États-Unis. J'y repensais l'autre soir devant un film de Billy Wilder: La scandaleuse de Berlin. Notre machine à remonter le temps s'arrête en 1948 dans les ruines de l'ex-capitale du Reich. Un drôle de cadre pour une comédie légère !

La magie Wilder opère presque aussitôt: un an à peine après la mort de son maître Ernst Lubitsch, le cinéaste nous rappelle que la finesse comique peut être un formidable carburant pour des films marquants. L'histoire retient qu'il était revenu en Europe à la recherche des siens pour découvrir que sa famille avait péri dans les camps. Son voyage et son travail sur place l'auront incité à faire passer des messages dans un film le plus souvent amusant. Il imagine une parlementaire américaine débarquée en Allemagne quelques années après la guerre pour enquêter sur le moral supposé bas des G.I. encore mobilisés. L'occasion pour elle de constater qu'au contraire, les soldats rescapés mènent la grande vie... et d'enquêter sur un officier qui fricoterait avec une chanteuse de cabaret, l'ancienne muse d'un proche de Hitler.

Marlene Dietrich fait des merveilles dans ce pur rôle de composition et, dans le costume étriqué de Miss Puritanisme USA, Jean Arthur s'avère joliment convaincante, elle aussi. Entre les deux, le capitaine ambigu qu'incarne John Lund est attachant de duplicité. Je sais bien que cela peut paraître paradoxal: c'est la nature même du scénario. Ce bon vieux Billy considérait lui-même La scandaleuse de Berlin comme l'un de ses films les plus réussis. Il n'a pas pris une ride. Parfois, quand le ton est sérieux, il prend presque l'allure d'un opus néoréaliste italien et, malgré tout, ce mélange des genres fonctionne parfaitement - d'où le terme de "magie" que j'ai employé plus haut. Hollywood a eu de la chance de pouvoir compter sur ces artistes audacieux et habiles à détourner les codes. Je ne m'en suis pas lassé !

La scandaleuse de Berlin
Film américain de Billy Wilder (1948)

Ouais... je redouterais presque le moment où j'aurai vu tous les films du réalisateur. Heureusement, ce n'est pas pour tout de suite ! Idéalement, je vous conseillerai de voir celui-là avec un plus ancien dont Billy Wilder avait coécrit le scénario: l'excellent Ninotchka. Berlin vous attire ? Sur un tout autre ton, Les ailes du désir s'impose comme un classique, avec Cabaret en plan B. Liste non-exhaustive...

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En attendant d'autres découvertes...

Je voudrais vous encourager à aller lire la (belle) chronique de Strum.

vendredi 27 mai 2022

Un feu d'artifices ?

Je la sais tout à la fois artiste de cirque et comédienne de théâtre. Sans renoncer à ses autres talents, Vimala Pons trace son joli sillon dans le cinéma - d'où 24 longs-métrages tournés, à 39 ans seulement. La fille du 14 juillet de Peretjatko ? C'était elle, mal cachée et nue derrière une statue grecque. Oui, je vais essayer de vous expliquer...

Je dis "essayer" car le film ne se prête pas vraiment à un résumé facile. L'auteur, dont c'était le premier, y a mis beaucoup de choses. Nous croisons une fille brune à proximité des Champs-Élysées. Un jour de Fête nationale, elle essaye de vendre des objets sans lien véritable avec la circonstance. Cette même fille plaît à un gardien de musée timide. Ce dernier a un ami qui pratique illégalement la médecine. Bientôt, un quatuor de jeunes gens désoeuvrés croit intelligent d'embarquer ensemble dans une voiture à destination des vacances d'été. Truquette tombera-t-elle, elle aussi, amoureuse du garçon discret qui n'ose lui avouer son béguin ? Cet argument de comédie légère donne lieu à une avalanche de gags farfelus. Il faut comprendre que tout ici soit décalé, jusqu'à la vitesse de défilement des images et du son, légèrement supérieure à celle qui prévaut habituellement. La fille du 14 juillet ose une forme nouvelle, proche selon certains de celle de Godard. "Il fait partie de ces films où la séquence suivante n’est pas forcément induite par la précédente", justifie le réalisateur.

La fille du 14 juillet
Film français d'Antonin Peretjatko (2013)

Surprenant, intriguant, mais pas forcément emballant. Je regretterais presque que mes étoiles soient si peu nombreuses, mais cette forme d'humour m'attire moins, c'est vrai, que les jeux de mots (subtils). J'en salue toutefois l'originalité, que l'on retrouve d'ailleurs aussi nette dans La loi de la jungle... avec Vimala Pons, toujours. Si c'est elle qui vous séduit, Vincent n'a pas d'écailles est très intéressant aussi.

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Vous avez le droit de juger que j'ai tort...

Les opinions de Pascale et Vincent méritent bien votre considération.

mercredi 25 mai 2022

Papy en résistance

Ils sont forts, ces Anglais. Capables de planter l'Union européenne après d'interminables tractations, mais aussi de produire des films sociaux, engagés et engageants, très sympathiques. Je suis tombé sous le charme de The Duke sitôt après avoir vu la bande-annonce. Encore une histoire vraie, oui, mais intéressante ! Et bien racontée...

À l'heure où la France se divise sur la question des retraites, le film nous replonge dans le Newcastle (modeste) du début des années 1960. Kempton Bunton a atteint un certain âge et exerce la profession honorable de chauffeur de taxi. Son problème: il est très bavard ! Résultat: il déplaît aux clients et perd ce petit boulot pourtant utile. Au grand désarroi de Madame Bunton, notre ami Kempton relativise et reprend son combat... pour affranchir de la redevance télévisuelle les personnes âgées et les anciens combattants. Si vous ignorez jusqu'où il va aller pour se faire entendre, je préfère ne rien révéler. Vous serez de toute façon fixés dès le début de The Duke. C'est fou...

J'avais déjà croisé la route de Jim Broadbent, l'acteur qui tient le film sur ses épaules. Le personnage qu'il incarne est à la fois excentrique et tout à fait attachant. À 70 ans passés, une belle performance. Avec lui, d'autres comédiens britanniques dont j'ignorais tout jusqu'alors composent une troupe convaincante, où une Helen Mirren d'une belle justesse dans la drôlerie trône en majesté. Ajoutons à cela que le long-métrage, sans être très novateur, a deux ou trois idées originales dans la mise en scène et une jolie B.O. jazzy: je dis bingo. Je ne me suis pas ennuyé une seule seconde et suis ressorti de la salle avec la banane (ou le smile, si vous tenez à un mot "couleur locale"). The Duke est un véritable bonbon, avec juste ce qu'il faut de sucre. Ah ! Rien ne vous interdira ensuite de réfléchir à la notion de justice !

The Duke
Film britannique de Roger Michell (2021)

Un coup de coeur instantané, qui m'a vraiment fait beaucoup de bien après une semaine assez intense. À voir en VO, si vous le pouvez. D'autres cinéastes britanniques montrent qu'on peut faire des films sociaux sans misérabilisme aucun: Ken Loach avec La part des anges et Matthew Warchus pour Pride me viennent rapidement à  l'esprit comme exemples. Je suis sûr qu'il y en a plein d'autres. Que j'oublie...

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En attendant que ma lumière sa rallume...

Je peux toujours vous conseiller d'aller faire un p'tit tour chez Pascale.

lundi 23 mai 2022

Sa prison dorée

Du soleil tout le temps. La mer à quelques pas. Des invités heureux de passer quelques jours en sa compagnie. Le quotidien de Julija ressemble à des vacances de rêve, mais n'est en fait qu'une existence oppressante. On rencontre l'adolescente dans Murina, la Caméra d'or du Festival de Cannes l'an passé. J'ai pensé que c'était un bon choix...

Murina
n'a pas volé cette récompense remise aux premières oeuvres. De manière plus anecdotique, c'est aussi le tout premier film croate que j'ai l'occasion de voir - et de chroniquer, donc, sur ce cher blog. Autant le dire: ce n'est pas un divertissement. Est-ce le cadre enchanteur ? Ou serait-ce plutôt la prestation habitée des acteurs principaux en général et de la jeune Gracija Filipovic en particulier ? J'ai eu l'impression de me frotter à un récit de nature mythologique. Julija, l'héroïne du film, y affronte un père tyrannique, aux faux airs de Dieu punisseur, incapable de lui laisser la moindre petite liberté dans ce monde (presque) coupé du tout. Faudrait-il une intervention extérieure pour qu'elle s'affranchisse ? Possible: le scénario le suggère brièvement, mais dresse avant tout le portrait d'une jeune femme déterminée à ne pas se laisser faire et portée par une colère muette semblant aller crescendo. Cela pourrait-il s'arranger ? À vous de juger.

Pour compléter mon propos, je dirais que j'ai vu un très beau film. Non content de nous embarquer vers une terre peu vue dans les salles françaises, le long-métrage tire le meilleur parti de ce littoral croate sur lequel, à vrai dire, je n'avais aucune connaissance pré-établie. Point important: Murina montre également les incursions du monde extérieur dans ce supposé paradis et révèle qu'elles n'apportent guère de solution à qui voudrait s'en échapper. Je n'oserai pas me risquer aux conclusions ethnologiques, mais ce serait une piste à creuser après votre propre séance de cinéma. Le fait que le personnage principal soit une fille et le grand chef derrière la caméra une femme m'apparaît également tout sauf anodin: on tient peut-être l'opus féministe le plus inattendu de l'année - ou de son premier semestre. La fin, elle, m'a semblé laisser une porte ouverte à nos imaginations. Et le tout dernier plan avant le générique pourrait... vous hypnotiser !

Murina
Film croate d'Antoneta Alamat Kusijanovic (2021)

Soutenu par Martin Scorsese et des fonds slovènes, ce long-métrage festivalier probablement peu diffusé s'avère singulier à plus d'un titre. Je ne regrette pas d'être allé le voir: les terrae incognitae du cinéma titillent toujours ma curiosité et, ensuite, savent affûter mon regard. Chacun à leur manière, Les géants et Adoration - frappent fort aussi pour parler des ados. Je reste à l'écoute de vos éventuels bons plans !

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Vous n'êtes pas inspirés ?

Le serez-vous davantage après avoir lu le texte de Dasola ? Peut-être.

dimanche 22 mai 2022

Après l'amour

Waouh ! Le 14 avril 1980, Kramer contre Kramer obtient cinq Oscars des plus nobles ! Ceux du meilleur film et de la meilleure adaptation s'inscrivent dans l'histoire aux côtés de ceux de meilleur réalisateur, de meilleur acteur et de meilleure actrice - dans un second rôle ! Comment voir cela quatre décennies plus tard ? Je vais vous le dire...

Joanna et Ted Kramer vivent à New York, mariés d'assez longue date. Ensemble, ils ont eu un petit garçon, Billy, sept ans. Ted travaille beaucoup et Joanna, qui a mis sa carrière en veilleuse, en souffre. Résultat: elle prend l'initiative de la rupture et quitte le domicile conjugal. Tout s'écroule. Ce qui pourrait sembler relativement banal dans le monde d'aujourd'hui ne l'était assurément pas à l'époque. Kramer contre Kramer est sûrement sorti du lot parce qu'il aborde l'épineuse question du rôle du père dans l'éducation du jeune enfant. D'abord dépassé par les événements, celui du récit apprend son boulot sur le tas et, à l'évidence, a d'abord bien du mal à s'en sortir en solo. Dès lors, qu'advient-il ? Je ne vous le dirai pas. Même si sa modernité semble avoir pris un coup de vieux, l'histoire mérite encore le détour. Un aspect m'a amusé: je suis à peine plus jeune que le gosse du film. Et, surtout, le duo Meryl Streep / Dustin Hoffman est incontournable !

Kramer contre Kramer
Film américain de Robert Benton (1979)

J'insiste ici pour dire que la qualité d'interprétation des acteurs principaux justifie à elle seule que l'on découvre ce film avec intérêt. Le reste n'est pas mal, même si loin de ce que le cinéma américain produit aujourd'hui. Est-ce un problème ? Je vous pose la question. Après tout, la crise du couple est un sujet assez peu traité au cinéma. Voyez (ou revoyez) Divorce à l'italienne, Le passé, Faute d'amour...

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Et pour le film du jour, un autre bon plan...

Il consiste à aller voir la galerie d'images mise en ligne par Ideyvonne.

samedi 21 mai 2022

... et le truand ?

Est-ce vraiment le grand John Ford qui a parlé des westerns italiens comme de films "spaghetti" pour les dénigrer ? Mes quelques sources sont contradictoires: c'est pourquoi je préfère ne pas vous l'affirmer. Reste ce constat: quand l'Italie s'est emparée du genre américain absolu, elle ne l'a pas fait sans le transformer. Et ma foi, tant mieux !

Derrière ce titre franchement improbable, Et viva la révolution ! dissimule à peine son origine hybride, italienne, mais aussi espagnole et allemande. Je me suis en fait essayé à ce film dans la perspective d'un plaisir coupable, après avoir repéré Franco Nero et Eli Wallach dans la distribution. Les deux larrons, censés ici n'être qu'un prince russe et un bandit mexicain de petite envergure, sont bientôt rejoints par Lynn Redgrave, une journaliste irlandaise à l'âme révolutionnaire. Aucun doute: les habitués du genre seront bien en terrain connu. Quelque chose de très familier est à l'oeuvre, même si je reconnais que, par le passé, j'ai déjà vu de meilleurs westerns made in Europe. Avant d'y revenir en conclusion, je prendrai la défense de cet opus certes mal fagoté, mais assez court pour ne pas devenir pesant. D'aucuns notent d'ailleurs qu'après une heure bouffonne, son scénario s'infléchit vers quelque chose de plus profond (et de plus poignant). Tout est relatif, hein ? Et la fin renoue avec un humour d'une finesse discutable, car un brin machiste ! Allez, tout cela n'est pas méchant...

Et viva la révolution !
Film italien de Duccio Tessari (1971)

Je n'ai pas encore référencé l'ensemble des réalisateurs transalpins qui ont démantibulé le western. Duccio Tessari n'est pas le meilleur d'entre eux, mais il a le mérite de ne pas se prendre trop au sérieux. On est proche du registre d'Un génie, deux associés, une cloche. Inutile d'aller chercher Sergio Leone en maître absolu: Sergio Corbucci pourrait vous plaire avec Compañeros ! Et il m'en reste à découvrir...

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Juste pour le plaisir, les autres titres du film...

- en Italie: Viva la muerte... tua ! (Vive... ta mort !),
- en portugais: Uma dupla de mestres (Un duo de maîtres),
- en anglais: Don't turn the other cheek (Ne tends pas l'autre joue),
- en allemand: Zwei wilde Companeros (Deux companeros sauvages),
- et dans sa version française "bis": Pour quelques pépites de plus.

vendredi 20 mai 2022

Petit poisson

C'est fou ! La pandémie de coronavirus n'avait pas encore démarré quand Chad Hartigan, cinéaste irlando-américain, tourna un film demeuré inédit dans les salles françaises: Si je t'oublie... je t'aime. Vous aimez les mélodrames ? En voilà un qui pourrait vous plaire ! Info: c'est l'adaptation d'un roman de science-fiction, signé Aja Gabel.

Emma et Jude se rencontrent par hasard et tombent vite amoureux. Leur bonheur simple et sincère se trouve menacé par une maladie d'envergure internationale, dont les victimes perdent toute mémoire de ce qu'ils ont vécu avec leurs proches. C'est un effondrement soudain pour quelques-un(e)s et une lente décrépitude pour d'autres. Dans le cas de Jude, il semblerait que ce soit bel et bien progressif. Assez en tout cas pour qu'Emma garde l'espoir d'éviter l'inéluctable. Voilà... sur la base de ce pitch, je pense que vous avez déjà un début d'idée sur la conformité de Si je t'oublie... je t'aime avec vos goûts. Quant à moi, je dois vous dire que j'ai apprécié ce long-métrage mélancolique et le fait qu'il ne charge pas trop lourdement la mule émotionnelle. C'est une histoire triste, oui, mais jamais larmoyante. Les acteurs ont su trouver un joli équilibre: mention toute particulière au duo principal, Olivia Cook et Jack O'Connell, que j'ai découverts. Surprise: la présence de Soko, actrice et musicienne made in France. Le hasard qui m'a amené vers ce film aura plutôt bien fait les choses !

Si je t'oublie... je t'aime
Film américain de Chad Hartigan (2021)

Pourquoi ce titre à ma chronique ? Parce que c'est aussi celui du film traduit de la version originale. Vous comprendrez tout... en le voyant. Cette belle histoire d'amour menacée d'oubli m'en a rappelé une autre que j'aime beaucoup: celle d'Eternal sunshine of the spotless mind. J'ai envisagé aussi d'autres parallèles possibles avec Les revenants et/ou L'angle mort. Avec la petite touche fantastique qui fait plaisir !

jeudi 19 mai 2022

Au-delà du record

Vous avez remarqué ? Aujourd'hui, cela fait pile un an que les cinémas ont rouvert. J'ai atteint (et même dépassé) la barre des 78 films vus en salles depuis le 19 mai 2021. L'année flottante battrait le record que j'ai fixé sur une année civile - 78 séances, donc, établi en 2017. C'est peut-être un détail pour vous. Pour moi, ça veut dire beaucoup !

Le paradoxe amusant est que, tous supports confondus, mon rythme actuel pour 2022 est légèrement plus faible que celui de l'année dernière. Il faut dire aussi que j'ai d'autres obligations par ailleurs. Rassurez-vous: j'ai toujours quelques sorties récentes "sous le coude" pour nourrir mon appétit de cinéma quand il se réveille brutalement. Je dois même dire qu'il ne dort jamais vraiment, mais vous le savez aussi bien que moi, pas vrai ? Ces jours-ci, il est d'ailleurs probable que je jette un oeil à ce qui se passe à Cannes, où le 75ème Festival a commencé depuis mardi (avec un jury présidé par Vincent Lindon). Et demain, promis, je reviens évoquer un film inédit sur nos écrans...

mardi 17 mai 2022

Une enfance irlandaise

La guerre en Ukraine ? Médiatiquement, elle fut d'abord une "crise". Celle qui opposa la France à sa colonie ? On parla des "événements" d'Algérie. Au rayon des euphémismes, nos chers amis anglo-saxons appellent "troubles" la rivalité sanglante entre unionistes protestants et républicains catholiques nord-irlandais, dans les années 70-80-90...

Aujourd'hui âgé de 61 ans, le réalisateur britannique Kenneth Branagh passa une partie de son enfance en Ulster. Il s'est aujourd'hui inspiré de ses souvenirs pour construire un film - Belfast - sur ces décennies terribles, qui virent périr 3.500 personnes (dont la moitié de civils). Audacieux, le cinéaste choisit de raconter cette histoire à hauteur d'enfant: il en résulte un long-métrage aigre-doux, qui ne dit rien d'absolument exhaustif sur les causes et les conséquences du conflit. L'idée est plutôt d'expliquer comment une famille résolument attachée à son cadre de vie a finalement été contrainte de tout abandonner derrière elle pour avoir une chance de s'en sortir sans dommage. Pareil scénario peut certes faire écho à beaucoup de situations vécues dans d'autres pays, en d'autres temps ! Pas sûr que ce soit l'objectif...

Pour tout dire, Belfast ne se départit jamais d'une certaine légèreté. Les drames que traverse le petit Buddy, héros du film, n'apparaissent qu'au second plan (ou presque). Le choix d'une image en noir et blanc apporte aussi une distanciation que l'on peut de fait juger salutaire. La quasi-totalité de la troupe des comédiens ressemble à un groupe d'hommes et de femmes heureux et solidaires, que la misère sociale touche sans accabler - parce qu'ils se protègent les uns les autres. L'idéalisme du propos est encore renforcé par une photographie soignée et une bande originale de bon aloi, qui enchaîne les tubes autour du très pop Everlasting love des Anglais de Love Affair (1968). Tout ce sucre peut déplaire aux spectateurs exigeants, mais je dirais qu'un peu de douceur ne fait pas de mal. Une affaire de dosage, oui...

Belfast
Film britannique de Kenneth Branagh (2022)

Compte tenu du sujet, je ne m'attendais pas à un film aussi tendre ! Et c'est ma foi une assez bonne surprise, d'où mes quatre étoiles enthousiastes et sincères ! Toutefois, la comparaison avec Billy Elliot qu'ont pu faire certains critiques me paraît plutôt à côté de la plaque. Pour rester lié avec le conflit irlandais, Ken Loach (Le vent se lève) ou James Marsh (Shadow Dancer) peuvent convenir. Un autre style...

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Envie de prolonger la discussion ?

Vous pourrez également le faire en rendant visite à Pascale et Dasola.

lundi 16 mai 2022

La nuit, les motos

Les liens de sa famille avec l'industrie du cinéma sont incontestables. Léa Seydoux est-elle pour autant une banale fille à papa, sans mérite artistique particulier ? Pour mieux en juger, j'ai regardé Belle Épine. Elle avait 24 ans quand le film a été présenté au Festival de Cannes. C'était - déjà - sa treizième apparition sur grand écran. Un joli score !

Fin des seventies. Prudence a 16-17 ans et vit seule dans un appart' de la banlieue parisienne. Sa mère est morte, son père parti. L'ado sèche les cours et croise une autre fille, Maryline, voleuse à la tire. C'est ainsi qu'elle découvre l'existence d'un point de rassemblement nocturne pour les jeunes de la marge: le récent marché d'intérêt national de Rungis, théâtre alors de courses de motos clandestines. Prudence en oublierait presque son prénom ! Ce cinéma de la réalité reconstituée peut déplaire: les enjeux de Belle Épine sont modestes. Néanmoins, ce premier film d'une réalisatrice tout juste trentenaire reçut plutôt, à l'époque, un bon accueil. La jeune garde du cinéma français y est bien représentée avec notamment, outre Léa Seydoux, Anaïs Demoustier, Nicolas Maury, Swann Arlaud et Guillaume Gouix. Sombre, j'ai trouvé que le film rendait bien compte d'un mal-être fréquent - et à vrai dire insaisissable - chez les adultes en devenir. Coupée du glamour qu'elle peut incarner désormais, l'actrice principale montre d'assez belles qualités ! Il faudrait ne jamais juger trop vite...

Belle Épine
Film français de Rebecca Zlotowski (2010)

Anecdote: cet opus reçut un prix Louis-Delluc et valut à Léa Seydoux une nomination au César du meilleur espoir féminin. Il n'y a pas lieu d'en faire un incontournable, mais j'insiste: je l'ai plutôt apprécié. L'adolescence solitaire est aussi centrale dans Rosetta, un film social autrement plus intense (avec une impressionnante Émilie Dequenne) ! Mais, à la lisière de ce thème, je crois que ma préférence va à Ava...

samedi 14 mai 2022

Opposition

J'aime bien le duo Benoît Delépine / Gustave Kervern. Je suis content d'avoir vu leurs dix films - quatre grâce au DVD et six en salles. J'avoue que le dernier m'a déçu: la bande-annonce d'En même temps est assez rythmée, mais le long-métrage, lui, m'a paru mollasson. Comme si l'alchimie ne fonctionnait pas entre les deux têtes d'affiche.

Il faut sans doute dire aussi que Vincent Macaigne et Jonathan Cohen n'étaient encore jamais entrés dans l'univers particulièrement déjanté des ex-trublions du Groland (à l'inverse d'autres visages "récurrents"). Macaigne, en fait, reste relativement proche de son registre comique habituel et, malgré une légère transformation physique, fait le job dans le costume d'un maire écolo trop radical pour être sympathique. Cohen, lui, semble moins exubérant que d'habitude et un peu bridé. Souhait des réalisateurs ou évolution de son jeu ? Je n'en sais rien. L'ennui, c'est qu'il ne me convainc pas vraiment avec ce ton nouveau. Son personnage - un autre maire, de droite et donc un peu escroc - aurait pu mériter d'y aller plus à fond dans le grand n'importe quoi ! En même temps imagine les deux élus antagonistes bien incapables de se séparer depuis qu'un groupuscule de féministes anti-patriarcat les a littéralement collés l'un à l'autre. Et c'est drôle ? Oui, vraiment. Seulement, le film se réduit parfois à un défilé des ami(e)s des gars qui rigolent derrière la caméra. Meilleure chance une prochaine fois...

En même temps
Film français de Benoît Delépine et Gustave Kervern (2022)

Aïe ! Je suis sévère, aujourd'hui, avec ce film finalement inoffensif. C'est vraiment facile à résumer: malgré ses deux élus de personnages et son titre macroniste, je ne l'ai jamais vu comme le pamphlet ironique auquel j'avais pensé avoir affaire. Et c'est bien dommage ! Ben et Gus sont des gentils, OK, mais je les ai trouvés mieux inspirés avec Louise-Michel ou Le grand soir. Allez, les mecs, sans rancune...

jeudi 12 mai 2022

Méchants, mais pas trop

Autant en rire: vers la fin de l'année, je pourrai dire que mon corps héberge quatre enfants de douze ans. L'autre jour, je crois plutôt qu'ils étaient... douze de quatre ans pour aller voir Les bad guys. Aucun regret: ma schizophrénie cinémaniaque s'entretient gentiment. Quant au film, ma foi, il était bien adapté pour un samedi à la cool...

Le pitch ? Monsieur Loup dirige une équipe chic et choc de brigands assumés: ses vieux potes Piranha, Requin, Serpent et Tarentule. Spécialité: le vol, sous toutes ses formes, d'objets très hétéroclites. Plus encore que priver les honnêtes citoyens de leurs possessions légitimes, le chef de bande aime narguer la police et, de facto, passer pour le plus filou d'entre les filous auprès des braves gens apeurés. L'ennui, c'est que l'arrivée d'un nouveau gouverneur - une renarde - pourrait contrarier les plans de Loup, prêt à tout tenter pour dérober un trophée destiné à un bienfaiteur public, incarné en cochon d'Inde. Derniers nés du studio Dreamworks, Les bad guys n'inventent rien d'extraordinaire, mais assurent côté fun: pile ce que j'attendais d'eux. Certes, pour un grand (?) garçon comme moi, c'est un brin régressif...

Cocorico ! Ce film américain a été réalisé par un Français de 41 ans ! L'intéressé est le tout premier de nos compatriotes qu'une société made in USA honore d'une telle responsabilité. Force est de constater qu'il est parvenu à imposer sa patte: j'y vois une très bonne nouvelle pour l'image de la France auprès des milieux artistiques étrangers. Aujourd'hui, l'une de ses anciennes écoles - Émile-Cohl, à Lyon - témoigne de son parcours et salue son succès: c'est significatif, non ? Avant cela, Pierre Perifel aura passé quatorze ans sur des projets moins personnels: c'est ce qui me fait dire qu'il mérite sa réussite. Les bad guys auront par ailleurs fait le dos rond et résisté à la crise sanitaire, même si cela n'a pas toujours été aussi facile pour le film. N'hésitez pas à aller le voir sur grand écran si vous en avez la chance !

Les bad guys
Film américain de Pierre Perifel (2022)

Un délire entre Reservoir dogs et les Ocean's, sauce "dessin animé" ! Ai-je encore besoin de répéter que j'ai passé un moment très sympa avec ce programme 100% garanti sans prise de tête ? J'ose supposer que non. Je veux donc en profiter pour vous conseiller d'autres opus d'animation jugés efficaces: Zootopie, Fantastic Mr. Fox et Arrietty. Dans le désordre ! Et parce qu'on y parle aussi de flics ou de voleurs...

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Et pour finir sur une note encore meilleure...

Je vous signale l'existence d'une (mini-)chronique du film chez Dasola.

mercredi 11 mai 2022

Jacques...

Je l'ai déjà dit ici: je n'aime pas les nécrologies. Je conçois très bien qu'on puisse vouloir rendre hommage à un(e) défunt(e), mais le côté sirupeux et/ou systématique de la démarche peut me gêner, parfois. N'empêche: lorsque j'ai revu - et d'abord entendu - Jacques Perrin dans le film que j'ai présenté hier, ça m'a "fait quelque chose". Oui...

Décédé le 21 avril dernier, le grand acteur-réalisateur-producteur avait dit du cinéma qu'il "précise le regard qu'on a sur les choses". C'est ce qu'il avait soutenu lors d'une rencontre à la Cinémathèque française, tout en ajoutant: "Il est une arme qui a beaucoup de force. Il frappe directement le coeur (...) et laisse une trace indélébile". C'est un propos dans lequel je me retrouve bien: "J'aime cette arme faite de sincérité, de talent - et pas forcément de discours magistral". Jacques Perrin me manquera, probablement. L'adolescent que j'étais se souvient du phénomène Microcosmos, le documentaire qu'il avait produit, consacré aux petites, toutes petites bêtes. 1996...

D'autres vous parleront sans doute mieux de lui que je ne le fais aujourd'hui. Je ne le connais à vrai dire que comme un bel homme aux cheveux blancs et pour une toute petite partie de sa carrière. Ainsi, L'étrangleur, L'honneur d'un capitaine et Le crabe-tambour remontent à la surface. L'écume des jours, aussi, dont les images me reviennent, un peu floues, quand je consulte la page Wikipédia. Cinema Paradiso, enfin, et les baisers de sa magnifique scène de fin. Je n'oublie pas La 317ème section, Les demoiselles de Rochefort, La fille à la valise ou Le désert des Tartares, que je cite en sources supposées de plaisirs futurs. Jacques Perrin est bien vivant, en fait. J'imagine qu'il n'a même pas besoin de moi pour faire sa promotion. C'est pourquoi j'arrête là ! Et demain, je vous parlerai d'autre chose...

lundi 9 mai 2022

Des vies à défendre

Les noms de Dewayne Johnson ou d'Edwin Hardeman vous disent-ils quelque chose ? Ils font partie des rares citoyens américains parvenus à s'attaquer au groupe Monsanto, géant de l'industrie chimique accusé de produire un désherbant cancérogène. Une histoire assez similaire est racontée dans Goliath, un film français - sorti le 9 mars dernier...

Frédéric Tellier, coscénariste et réalisateur, est talentueux et malin. D'emblée, il indique que les situations et personnages qu'il va décrire sont fictifs, mais en ajoutant aussi que leur ressemblance avec le réel n'est "ni fortuite, ni involontaire". Je peux sûrement parler de cinéma militant face à ce long-métrage ambitieux. Il dit tout de l'importance que les lobbies peuvent avoir (ou ont ?) quand le pouvoir politique réfléchit à réglementer une activité quelconque. Vous aurez compris qu'il s'agit ici, très précisément, de l'usage de substances dangereuses dans le monde agricole, à seule fin d'obtenir des rendements élevés. Goliath multiplie les personnages et parvient à les faire interagir avec force. Quand ils se croisent, cela fait toujours des étincelles. Notez que le scénario, lui, s'avère parfaitement limpide tout du long !
 
À défaut de vous le montrer, je peux bien vous révéler que c'est l'idée de voir Pierre Niney dans le rôle du "méchant" qui m'a d'abord attiré. Aussi bon que d'habitude, le comédien livre une redoutable bataille cinématographique au "gentil" qu'incarne son pote Gilles Lellouche. Emmanuelle Bercot, prise entre les deux, se montre convaincante dans un rôle de femme révoltée qui sied bien à son tempérament d'actrice. Du point de vue du casting encore, le plaisir est indéniable grâce notamment à Marie Gillain, Laurent Stocker et Jacques Perrin. Attention: je ne prétends pas que Goliath soit dépourvu de défauts. L'esprit frondeur qui l'anime évolue sur une ligne de crête: sans céder à la caricature, il ne parvient pas totalement à se détacher des partis pris. Autre bémol: quelques scènes jouent un peu trop sur nos cordes sensibles. Fort heureusement, rien de tout cela n'est rédhibitoire. Même un rebondissement très improbable n'a pas gâché mon plaisir...

Goliath
Film français de Frédéric Tellier (2022)

Un long-métrage partisan, certes, mais intelligent: deux heures utilisées à bon escient et sans temps mort véritable. Je crois avoir lu que certains parlaient d'une structure de scénario "à l'américaine". Bon... admettons. Sur le sujet écolo, vous pourrez certes comparer avec Promised land - ou revenir à Silent running, jugé précurseur. Dans un autre genre, voyez aussi le premier de Tellier: L'affaire SK1 !

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Et pour prolonger le débat...

Je vous invite également à lire les chroniques de Pascale et Dasola.

samedi 7 mai 2022

I comme...

Certain(e)s d'entre vous auront peut-être déjà complété le titre lacunaire de ma chronique d'aujourd'hui et s'attendent à lire un texte consacré à un film d'Henri Verneuil, avec Yves Montand dans le rôle principal. Désolé: mon Icare de ce week-end n'est autre que le héros crétois aux ailes brûlées par le Soleil. En version... luxembourgeoise !

Carlo Vogele, ancien de l'École des Gobelins passé comme animateur chez Pixar, est donc revenu sur le sol européen pour son premier film personnel. Ici, le personnage mythologique auquel il redonne vie apparaît d'abord comme un enfant insouciant. Il est fasciné par l'art ésotérique qu'invente son père, Dédale, afin de satisfaire le roi Minos et son épouse, la reine Pasiphaé. Vous connaissez la légende qui veut qu'un labyrinthe fut ainsi construit pour y enfermer une créature féroce et dangereuse, à laquelle on offrit alors régulièrement des fils et filles de Grèce en sacrifice, afin d'apaiser son courroux supposé. Cette histoire, Icare - mon film du jour - la reprend et la transforme pour faire du Minotaure le seul ami du jeune héros (et inversement). Après tout, on croit volontiers qu'ils aient sensiblement le même âge. Le mieux que j'ai à faire est de taire la raison de cette complicité instinctive, laissant Carlo Vogele vous la révéler et raconter la suite...

Il est temps que je vous parle de la technique, vous ne pensez pas ? Sur le plan visuel, Icare est une belle réussite, mais je dois préciser que l'animation n'est pas des plus fluides - ce qui n'a rien de gênant. C'est bien simple: tout au long de la projection, j'ai apprécié un style particulier, éloigné de ceux qui font la notoriété des grands studios. Cette absence de rendus réalistes répond à une envie du réalisateur d'inventer une oeuvre porteuse d'une identité propre. Et c'est réussi ! Tant mieux: un peu d'originalité ne fait pas de mal. J'ai noté ensuite que Carlo Vogele semblait prendre du plaisir avec ce type de projets. Au petit jeu de la comparaison, le jeune auteur - il est né en 1981 - explique qu'aux États-Unis, ce qu'il appelle "la culture du blockbuster" entretient des processus de validation "à rendre fous les animateurs qui doivent recommencer... encore et encore". Rien de tel ici, donc. "J'ai fait le film que j'aurais aimé voir quand j'étais petit", assure-t-il.

Icare
Film (franco-belgo-)luxembourgeois de Carlo Vogele (2022)

L'animation n'échappant pas aux suites, je vous conseille vivement d'accorder un peu de votre temps (ou attention) à cet opus original. Avec mes rares connaissances en mythologie, il m'a surpris et séduit. C'est peut-être parce que les vieilles légendes ne trouvent que peu d'échos sur le blog (même si j'ai un bon souvenir d'un "vieil" Ulysse). Avez-vous d'autres suggestions ? Je reste bien évidemment à l'écoute.

jeudi 5 mai 2022

Un pas de côté

Ce constat d'évidence pour commencer: film après film, je suis fidèle au cinéma de Cédric Klapisch. Que je veuille voir En corps en salle ressemblait dès lors à la perpétuation d'une - bonne - vieille habitude. Même si je m'y sens moins réceptif qu'à mon adolescence, je continue d'apprécier les longs-métrages de celui qui aura 61 ans cette année...

Une fois encore, le fondateur de la société Ce qui me meut nous parle d'une jeunesse en construction. Non ! Pour être juste, je dirais plutôt qu'il est question d'une reconstruction: celle d'Élise, 26 ans, danseuse classique grièvement blessée à la cheville après un grand saut raté. Habituée à tirer sur la corde, la jeune femme est toutefois obligée d'admettre qu'elle a des limites physiques et que toute précipitation dans son parcours de rééducation pourrait la priver de sa passion artistique... pour toujours ! Alors Élise, inquiète mais persuadée qu'elle est loin d'avoir dansé son dernier pas, s'accroche à son rêve. Inutile de tergiverser: En corps est un film porté par l'optimisme. Typiquement le genre d'histoire qui me fait dire "C'est du cinéma !" aux fâcheux qui s'amusent à pointer les facilités et invraisemblances.

En corps
a bien des défauts, évidemment, mais me laisse convaincu comme à chaque fois que Cédric Klapisch aime ses personnages. Certains sont un peu fragiles, à l'image ici d'un père (Denis Podalydès) assez caricatural ou d'une marraine de contes de fées (Muriel Robin) au comportement parfois discutable. Ce n'est peut-être pas un hasard s'il s'agit des "vieux", incarnés par des comédiens au statut confirmé et jusqu'alors éloignés de la galaxie Klapisch: je ne suis pas persuadé qu'en plus d'être un bon révélateur de talents, l'ami Cédric soit doué pour diriger avec la même efficacité des acteurs très expérimentés. Notons toutefois une chose: quelques interprètes passent toujours d'un film à l'autre, à l'image ici de Pio Marmaï, jubilatoire en cuistot déjanté, et François Civil, touchant en kiné intimidé par sa patiente. Logique: Marion Barbeau, connue comme première danseuse à l'Opéra de Paris, est très mignonne et naturelle. C'est avec un juste mélange d'engagement et de retenue qu'elle passe le cap de son premier rôle au cinéma. Autant le dire tout net: j'espère dès lors l'y revoir bientôt !

En corps
Film français de Cédric Klapisch (2022)

Introduit par une superbe scène (muette) de ballet, ce film attachant n'a pas toujours la même virtuosité, mais a répondu à mes attentes. Faute de progresser, l'homme derrière la caméra reste plutôt constant et fidèle à lui-même: j'ai envie de dire que ce n'est déjà pas si mal. Maintenant, pour l'art chorégraphique lui-même, La danseuse et Yuli ont sûrement plus d'intensité ! Comme l'étincelle d'Une joie secrète...

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Vous lisiez ? Eh bien, cliquez, maintenant !

Pas d'hésitation: c'est le meilleur moyen de lire aussi l'avis de Pascale.

mercredi 4 mai 2022

Sète, un couple

Agnès Varda, épisode 3: pour clore ma mini-rétrospective, j'ai choisi de regarder La Pointe Courte, le tout premier film de la cinéaste. J'imagine qu'on peut parler d'une oeuvre de jeunesse: la réalisatrice n'avait encore que 27 ans lorsque ce fameux opus est sorti en salles. D'aucuns y voient aujourd'hui le point de départ de la Nouvelle Vague !

Sans nécessairement oser m'aventurer à confirmer, je dis volontiers que j'ai eu l'impression de voir deux films réunis en un. La jonction s'opère avec Philippe Noiret, qui débutait ici au cinéma (à 25 ans). Sans que le scénario lui donne un nom, il est ce jeune homme revenu à Sète, dans le quartier de son enfance, prendre un temps de repos. Là, une jeune femme - qu'incarne Silvia Monfort - vient le rejoindre et lui parler de leur amour qui, s'imagine-t-elle, pourrait finir bientôt. D'où la question: ce vilain pressentiment fondra-t-il au soleil du rivage méditerranéen ? Le film y répond, mais l'enjeu de La Pointe Courte semble aussi de faire le portrait bienveillant d'une petite communauté de pêcheurs. Il faut se souvenir qu'Agnès Varda avait elle-même vécu à Sète au cours des années 40: elle devait donc y avoir des repères suffisants pour ne pas en revenir qu'avec une banale carte postale. Cela n'a pas suffi à me passionner, mais cela ne veut surtout pas dire qu'il n'y a aucune bonne et/ou belle chose à "piocher" dans ce travail. À noter la participation du génial Alain Resnais en qualité de monteur.

La Pointe Courte
Film français d'Agnès Varda (1956)

Je n'ai pas (re)dit qu'avant ses débuts au cinéma, la cinéaste en herbe exerçait ses talents comme photographe professionnelle. Ses plans mobiles y gagnent bien sûr en intensité - et ses plans fixes, aussi. Résultat: même moins séduit que j'avais pu l'espérer, je dis bravo. D'ailleurs, j'ai même du mal à trouver un quelconque film comparable. Truffaut, Godard, Rohmer et Rivette avaient encore attendu un peu !

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Un autre avis chez mes petits camarades ?

Oui, du côté de "L'oeil sur l'écran". Mais il est plutôt proche du mien...

lundi 2 mai 2022

Rien d'un mythe

Une séance imprévue dans une salle de cinéma est venue s'intercaler aux deux tiers de mon mini-cycle Agnès Varda. Il m'a semblé judicieux de participer à une soirée exceptionnelle autour d'un film ukrainien jusqu'à présent inédit: Atlantis, primé à la Mostra de Venise 2019. Rétrospectivement, c'est ma foi une bonne gifle - à voir, si possible !

Valentyn Vasyanovych, le réalisateur, nous présente l'Ukraine de 2025. Dans cette uchronie, le pays tente de se relever d'une longue guerre. Ancien soldat, le personnage principal est traumatisé. Il fréquente d'autres personnes, sous le choc elles aussi, ou d'apparence glacées puisque chargées de telle ou telle tâche administrative oppressante comme peut l'être l'exploration de charniers humains ou le déminage d'un territoire gigantesque. Vous l'aurez compris: Atlantis est un film dur. Très dur. Il l'est d'autant plus qu'il est traité avec une sobriété remarquable, le plus souvent par une suite de plans fixes et étirés. Vous aurez le temps d'en découvrir tous les détails sordides ! Ouais...

J'ai une hypothèse sur le titre: Atlantis étant le nom anglais de l'île mythologique de l'Atlantide, je suppose que l'on a voulu nous montrer quelque chose auquel nous ne croyons pas... et qui pourtant existe ! Évidemment, ce qui se passe aujourd'hui sur le sol ukrainien démultiplie clairement la charge émotionnelle dont le film est porteur. D'où, bien sûr, la gifle dont je parlais en préambule: je comprends que l'on préfère encore se détourner pour ne pas la prendre trop fort. Quelque part, je me dis que j'ai eu de la chance de découvrir cela dans une salle de cinéma, en sachant aussi que la recette du soir serait totalement reversée à des associations engagés dans le combat humanitaire. Et, avec quelques jours de recul, je me dis également que ce que j'ai vu était du très bon cinéma, car constitué d'images fortes, fausses bien sûr, mais étrangement familières. Il se trouve que la ville ici filmée n'est autre que Marioupol ! J'en frémis encore...

Atlantis
Film ukrainien de Valentyn Vasyanovych (2019)

Du cinéma éprouvant, coup-de-poing, difficile... mais essentiel. L'esthétisme des plans n'affaiblit pas le message, bien au contraire. J'avais ressenti à peu près les mêmes choses devant Timbuktu ! Maintenant, pour faire une comparaison avec un autre cinéaste venu de l'Est, j'ai aussi pensé à des réalisateurs russes comme Yuri Bykov et Andreï Zviaguintsev. Par exemple, voir The major ou Léviathan...