mardi 30 avril 2024

Sans grands frissons

Observer une situation. Ne rien y comprendre. En avoir des frissons. C'est un peu ainsi que je présenterai mon attitude face aux thrillers. Posséder un coup d'avance sur les personnages ne m'intéresse guère. Quand la peur s'immisce au cinéma, j'aime autant qu'elle soit radicale et m'emporte avec elle. Mon espoir lié avec les deux films de ce jour !

Old
Film américain de M. Night Shyamalan (2021)

Je sais bien le réalisateur lui-même ne fait pas (ou plus) l'unanimité. Avant même de commencer, je me disais que je risquais d'être déçu. Qu'importe: tirée d'un roman graphique, cette histoire d'une famille coincée sur une plage où, soudain, tout le monde vieillit en accéléré m'avait semblé digne d'intérêt. Las ! Le résultat s'avère peu probant. Comme il le fait trop souvent, Shyamalan s'égare dans une emphase visuelle indigne de son réel talent et de ses sources d'inspiration. Dommage: sans même parler de la résolution de l'énigme, je suis sûr qu'il y avait franchement mieux à faire à partir du matériau originel. Surtout qu'à la base de tout, le casting est bon, Gabriel Garcia Bernal et Vicky Krieps en tête. Revoir Thomasin McKenzie fait aussi plaisir. Problème: je me suis vite désintéressé de leur sort. Certains critiques soutiennent que le film serait une métaphore du métier de cinéaste. Aïe ! Disons-le: cette interprétation m'apparaît tirée par les cheveux !

Bonus: vous pouvez lire un avis en (léger) contrepoint chez Benjamin.

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Visions
Film français de Yann Gozlan (2023)

On revient sous nos latitudes avec, déjà, le cinquième long-métrage d'un réalisateur de 47 ans, jugé prometteur. Gozlan tisse une intrigue tordue que d'autres cinéastes comme Alfred Hitchcock, Brian DePalma ou David Lynch n'auraient pas reniée. J'ai même lu des comparaisons flatteuses avec les esthétiques de Dario Argento et Paul Verhoeven. L'histoire ? C'est celle de la belle Estelle, une pilote de ligne en mal d'enfant, mais qui vit heureuse avec Guillaume, son mari, chirurgien. Jusqu'au jour où, entre deux vols, elle croise Ana, jeune photographe qui fut autrefois l'objet de sa toute première passion amoureuse. Qu'arrivera-t-il alors ? Le film en appelle résolument à nos perceptions changeantes et construit d'étranges séquences - entre rêve et réalité. C'est parfois stimulant, mais cela peut parfois avoir un côté frustrant. L'érotisme (très sage) de quelques scènes est un peu kitsch, en 2024. Diane Kruger ? Plus à l'aise que le duo Marta Nieto-Mathieu Kassovitz !

Bonus: je vous suggère le point de vue - divergent - de Princécranoir.

lundi 29 avril 2024

Le garçon et le monde

Le garçon, c'est moi ! Et le monde ? Celui que j'arpente en tous sens grâce au cinéma. Rappel: depuis le début de cette année 2024 marquée par les Jeux olympiques, trois pays - la Mongolie, le Yémen et Chypre - ont rejoint les 77 déjà représentés sur ce bon vieux blog. Par franchise, je dois dire que c'est un chiffre dont je suis assez fier !

Si mes souvenirs scolaires sont bons, transformer le globe terrestre en planisphère conduit inévitablement à en déformer les continents. Même bienveillante, la vision que nous avons de notre chère planète est donc nécessairement faussée - et ce d'autant plus que l'Europe reste souvent placée au centre de tout. L'un des mérites du cinéma serait dès lors de nous permettre d'apprécier la réalité "autrement". C'est vrai: ce que je fais mine de vous révéler ici n'a rien d'un scoop. Je dirais juste que certaines évidences... méritent d'être soulignées !

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Dès lors, voici d'autres chiffres...

À ce stade (non-olympique) de l'année, j'ai parlé des quarante films que j'ai déjà découverts lors du premier trimestre. Onze d'entre eux produits en France et sept aux États-Unis. La routine, somme toute...

Mais j'en ai également recensé...
-> quatre britanniques, trois italiens et trois japonais,
-> deux allemands, deux belges (l'un wallon, l'autre flamand),
-> deux chinois et un canadien (du Québec et donc francophone),
-> un chypriote, un hongrois, un mongol, un yéménite,
-> ... et un brésilien, juste avant cette chronique statistique !

Vous êtes encore là ? C'est très bien...
J'en profite pour vous préciser (ou redire) que Le garçon et le monde est également le titre d'un film d'animation, venu lui aussi du Brésil. Une petite perle que je vous invite à découvrir. Si ce n'est déjà fait...

samedi 27 avril 2024

Un été

Ils se tiennent par la main et ont le sourire: face à ces photos prises dans la forêt amazonienne, des internautes ont cru bon d'affirmer qu'Emmanuel Macron et le président brésilien Lula s'étaient mariés ! Dans son démenti officiel, notre très cher Manu a parlé d'un amour réciproque entre les deux nations. Ce qui m'aura éloigné du cinéma...

J'y reviens pour vous parler du premier long-métrage d'un duo originaire de Recife, la capitale du Pernambouc, un État du nord-est du Brésil. J'ai eu la joie de découvrir Sans Coeur avec quelques jours d'avance sur sa sortie française, en festival. Ses jeunes personnages s'amusent en bande au cours de ce qui est le dernier été de Tamara, l'une des filles, avant les débuts de ses études à Brasilia, la capitale. Parmi ces adolescents, il y a aussi Duda. Le groupe se moque d'elle tout en la tenant à l'écart, sans raison autre qu'une vague réputation liée à la cicatrice qui traverse sa poitrine. Dans un environnement paradisiaque, cette méchanceté gratuite paraît tout à fait déplacée. C'est néanmoins le point de départ réaliste d'un récit que les cinéastes ancrent dans le proche passé de leur pays: les faits, d'inspiration autobiographique, sont censés se dérouler au cours de l'année 1996. Pas besoin de connaître l'histoire du Brésil pour bien suivre, cela dit...

Le mieux est je crois de se laisser emporter par les images et le son. Quelques scènes oniriques avec une baleine et d'autres animaux marins nous invitent à ressentir les choses avant de les comprendre. Finalement, entre le rêve à la réalité, il n'y a qu'un pas que le film propose de franchir collectivement, quitte à s'écarter du groupe initial. Hum... suis-je clair ? Ce n'est pas certain ! Je vous conseille de retenir une idée simple: Sans Coeur s'appuie sur des symboles pour développer son propos, mais demeure par ailleurs très proche d'une certaine vérité de la vie au Brésil - celle des inégalités sociales et des clivages raciaux. On se retrouve à l'opposé de la carte postale habituellement promue autour du foot, des longues plages de sable fin et du Christ de Corcovado. C'est dur, certes, mais jamais plombant. Sachez-le: sans nous ménager, le scénario parvient à un joli point d'équilibre entre drame et message d'espoir adressé aux générations actuelles. Et les derniers plans, eux, nous laissent face à la possibilité de bâtir une fin heureuse. Car les temps peuvent changer, toujours...

Sans Coeur
Film brésilien de Nara Normande et Tião (2023)

Je n'avais jamais entendu parler de cette femme et de cet homme avant d'apprécier cet opus qui est donc aussi leur tout premier long. Parmi leurs producteurs, j'ai retrouvé Kleber Mendonça Filho - l'auteur de bonnes références (Les bruits de Recife, Aquarius et Bacurau). Autant le dire: j'ai encore beaucoup à apprendre du cinéma brésilien. Je n'ai vu que dix films originaires de ce pays. Affaire à suivre, donc !

jeudi 25 avril 2024

Pour elle, pour eux

Il est arrivé quelque chose à Charlie - leur amie à tous les trois. Finalement, c'est donc ensemble que Boris, Élie et Max font le voyage qu'ils auraient dû faire avec elle. De la complicité, de la mélancolie. Une route qui ressemble à ce que peut être cette chienne de vie. Douce. Dure. Contradictoire. Courte. Belle. Et oui, digne d'être vécue.

Comme des frères
est sorti au cinéma il y aura bientôt douze ans. J'étais moi-même ailleurs, dans une autre ville, dans une autre vie. J'y ai encore quelques attaches et je me suis soudain souvenu du film comme d'un de ceux que je voulais voir. C'est fait et je l'ai aimé ! Hugo Gélin, petit-fils de Daniel, nous offre un joli portrait multiple dans un road movie affectif et assez inattendu. Il a l'intelligence narrative de relier le temps présent à de nombreux flashbacks explicatifs de ce qui réunit (ou pas) Charlie et ses amis. Les acteurs ont été bien choisis: François-Xavier Demaison, Nicolas Duvauchelle et Pierre Niney forment un trio attachant et tout à fait crédible. Moins présente à l'image, mais jouant - bien entendu - un rôle-clé dans toute cette histoire, Mélanie Thierry est bien aussi lumineuse que je l'espérais pour assumer un récit bâti sur des émotions mêlées. Le résultat ? 333.636 entrées au box-office français. C'est trop peu...

Comme des frères
Film français d'Hugo Gélin (2012)

Rien de franchement innovant, mais un (premier) film bien mené jusqu'au bout. Le réalisateur voulait mettre l'accent sur la différence d'âge des trois garçons et y parvient de manière tout à fait subtile. Ajoutez-y la route et vous obtenez un beau film autour d'une amitié comme peuvent l'être Eldorado, Mobile home ou bien En roue libre. Je vous invite cordialement à compléter cette liste, 100% subjective !

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Pas d'inspiration ? Vous préférez lire ?

Vous pourriez le faire chez Pascale, bien sûr, mais aussi chez Laurent.

lundi 22 avril 2024

À crocs ?

Sasha a 68 ans et en paraît quinze. Aucune ride ne barre sa peau d'éternelle adolescente. C'est (para)normal: elle n'est pas humaine ! Elle n'en est pas moins cependant l'héroïne d'un bon petit film arrivé du Québec: Vampire humaniste cherche suicidaire consentant. Typiquement le genre d'histoires farfelues qui, parfois, me plaisent...

Sasha est donc une vampire(tte ?). Avec un sérieux problème vital. Parce qu'elle s'attache aux humains, elle est incapable de les tuer. Pourtant, son alimentation et par conséquent sa vie en dépendent. C'est ce que lui rappelle sa mère, lassée de la voir toujours installée sur le canapé familial à siroter des pochettes de sang sorties de Dieu sait quel hôpital. Sasha est donc envoyée chez une cousine chasseuse censée lui apprendre quelques techniques cynégétiques de base. Dégoûtée, la pas-si-jeune fille se sent à l'inverse étrangement attirée par Paul, un garçon qui ressasse son mal-être et se juge même prêt au sacrifice de sa vie. Surtout si cela peut être utile à quelqu'un. Bon... j'en ai assez dit sur le scénario, non ? J'ajoute ici que le film réussit son pari de tenir une heure et demie sans jamais lasser. Encore faut-il accepter son rythme lent: pas un problème pour moi. Sur la forme, je n'ai rien à lui reprocher. Oui, je me suis bien régalé !

J'ai trouvé que Vampire humaniste cherche suicidaire consentant reposait sur deux jeunes comédiens très convaincants, Sara Monpetit et Félix-Antoine Bénard. Il serait d'ailleurs intéressant de voir le film comme s'il parlait d'une ado ordinaire: le duo fonctionnerait toujours et le scénario nous parlerait avec justesse des tourments de l'âge ingrat. Cela dit, j'ai aimé le casting dans son ensemble, adultes compris, et vous laisserai le découvrir par vous-mêmes au cinéma. Notez une chose: le film est en québécois... et sous-titré en français. Cela m'a surpris, au départ, et demandé un petit temps d'adaptation. Une fois pris le pli, j'ai vraiment apprécié la  photo du film: la lumière vive en est presque exclue, ce qui génère une ambiance fantastique particulièrement efficace pour soutenir le propos du long-métrage. Vous l'aurez compris: j'ai savouré cette comédie à l'air bringuezingue. C'est un vrai coup de coeur qui nous éloigne - un peu - du tout-venant de la production ciné, sans user non plus des références québécoises ultra-connues sous d'autres latitudes francophones. Un vrai bonheur...

Vampire humaniste cherche suicidaire consentant
Film canadien d'Ariane Louis-Seize (2023)

Encore une création qui me fait déplorer que les salles françaises n'accueillent qu'un nombre réduit de films québécois ! Ou pour le dire positivement: je suis vraiment content d'avoir eu accès à celui-là ! Dans un genre assez proche, Morse est presque devenu un classique. Je recommande aussi Only lovers left alive et... Hôtel Transylvanie. Et pour une approche "tradi" ? Le Nosferatu du génial Werner Herzog.

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Qui d'autre a été sensible au charme du film ?

Mon pote Benoît, collègue de travail et photographe de grand talent. Mais aussi Pascale, qui a publié sa chronique dès la toute fin de mars. Dasola, en revanche, témoigne d'un avis (un peu) moins enthousiaste.

dimanche 21 avril 2024

Six salles de moins...

Aujourd'hui, un petit aparté: j'avais l'intention d'écrire quelques lignes sur le cinéma où j'ai vu les trois films chroniqués de cette semaine. J'ai saisi l'occasion du Printemps du cinéma, les 24, 25 et 26 mars. C'était aussi lors des derniers jours d'ouverture des 6 Rex, salles historiques de l'Isère, désormais fermées ! Et de manière définitive...

Ce dimanche, cela fera pile quatre ans et demi que j'habite Grenoble. Quand je suis arrivé, on m'a assuré qu'après Paris, elle était la ville française dotée du plus grand nombre d'écrans de cinéma, en ratio avec sa population. Toutes les salles avaient survécu au Covid. D'après ce que j'ai lu, les 6 Rex n'étaient même pas déficitaires ! Qu'importe: ce n'est pas de gros sous que je veux parler aujourd'hui...

Bon... les 6 Rex n'ont jamais été le cinéma que j'ai le plus fréquenté. Pourquoi en parler, alors ? Parce que j'y ai vu souvent des familles nombreuses avec enfants. Parce que les tarifs restaient raisonnables. Parce que je me dis qu'une partie du public n'ira plus au cinéma maintenant que ces établissements les plus "populaires" ont disparu. Vous me direz que cela reste à vérifier. Je veux bien le reconnaître...

Mon mauvais pressentiment vient aussi d'une de mes convictions profondes: l'annonce de la fermeture d'un lieu consacré à la culture n'est JAMAIS une bonne nouvelle. D'après moi, il demeure essentiel que l'art et la création puissent demeurer accessibles à toutes et tous. Utopie ? Oui, probablement. Mais je ne veux pas renoncer à y croire ! D'autant que j'ai quelques ami(e)s artistes qui se battent pour cela...

Les 6 Rex ont fermé: je n'en ferai pas un drame et je ne suis pas sûr d'être véritablement nostalgique. J'espère ne pas oublier les moments agréables que j'y ai passés, en ayant une pensée solidaire pour celles et ceux qui en ont vécu d'autres, ainsi bien sûr que pour le personnel fragilisé, j'imagine, par cette décision d'en finir avec les projections. Et je fredonne du Eddy Mitchell: "Et le rideau sur l'écran est tombé"...

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Pour conclure, voici la liste des 16 films que j'ai vus aux 6 Rex...
- Huit d'entre eux tournés en images réelles :
Le Mans 66 / Cruella / S.O.S. fantômes - L'héritage
Les vedettes / Astérix & Obélix - L'Empire du milieu
The creator / La vie de ma mère / Bob Marley : One Love

- Les huit autres conçus en animation :
En avant / Spycies / Les bad guys / Buzz l'Éclair
Le chat potté 2 - La dernière quête / Élémentaire
Ninja Turtles : Teenage years / Le royaume des abysses

vendredi 19 avril 2024

À la gloire de Bob

Faut-il toujours se méfier des biopics ? Je vous pose cette question après avoir vu Bob Marley : One Love, qui propose un portrait filmé de l'artiste jamaïcain, mort d'un cancer à 36 ans, le 11 mai 1981. Produit par son ex-femme et plusieurs de ses fils, ce long-métrage prend apparemment quelques libertés historiques. Ce que j'accepte...

Je ne suis pas un grand fan du reggae, mais j'ai encore le CD Best of de Bob Marley que j'écoutais régulièrement quand j'étais étudiant. Cela me ramène donc au cours de la deuxième moitié des années 90. J'avais compris que le chanteur prônait l'égalité de tous les êtres humains, tout en étant l'un des premiers à avoir connu un vrai succès international après des débuts dans ce que nous autres Français appelions encore un "pays du tiers-monde". Et j'en étais resté là ! Résultat: ce n'est qu'avec Bob Marley : One Love que j'ai une vision de la Jamaïque de la fin des années 70, dans toute sa complexité. Celle d'un pays abandonné par les Anglais et au bord de la guerre civile. Un pays que ce cher Bob quittera bientôt pour sauver sa peau. Vous le saviez, vous, que sa femme, ses amis et lui avaient échappé de peu à des compatriotes exaltés venus chez eux pour les flinguer ? Tout est dans le film (ou sur la page Wikipédia). C'est assez édifiant !

Je vais être prudent et vous encourager à l'être: certaines questions restent en suspens ou font encore polémique près de 40 ans plus tard. Tournage hollywoodien oblige, les zones d'ombre du sieur Marley n'apparaissent que très brièvement: le descriptif de sa personnalité complexe est donc largement simplifié et sans doute (trop) flatteur. Mais qu'importe: il est aussi largement musical et j'ai trouvé agréable de replacer les chansons de la bande originale dans leur contexte historique. Bob Marley : One Love témoigne aussi des difficultés qu'un groupe peut traverser pour garder son unité: c'est passionnant. Et, autre bonne nouvelle: les scènes de concerts ou de répétitions s'avèrent relativement réussies - ou je dirais crédibles, en tout cas. Voilà un film que j'ai dans l'ensemble apprécié, malgré ses défauts indéniables... et mon impossibilité d'en profiter en version originale. Désormais, je vais essayer de remettre la main sur mon vieil album...

Bob Marley : One Love
Film américain de Reinaldo Marcus Green (2024)

Même revu et corrigé par quelques-uns des membres de la famille survivante, ce long-métrage "à la gloire de" reste agréable à regarder jusqu'au bout (et à entendre, bien sûr, grâce à pas mal de tubes). Dans le même genre, Bohemian Rhapsody - un peu lissé également - pourrait plaire aux amoureux de la musique de Queen. Mon opus préféré, d'un point de vue général ? Control, consacré à Joy Division !

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Une ultime précision...

Le film présente également Bob Marley comme un grand mystique. Une opportunité d'un peu mieux appréhender le mouvement rastafari.

mercredi 17 avril 2024

Profondeur(s)

Je ne voudrais pas écrire de bêtises, mais il me semble très plausible que les films d'animation présentés dans les salles de l'Hexagone viennent principalement des États-Unis, du Japon et de France. D'ailleurs, rares sont ceux que je chronique, originaires d'autres pays. Ce sera cependant le cas aujourd'hui, avec Le royaume des abysses !

Sept longues années de travail ont été nécessaires pour la production de ce film chinois, reparti bredouille du dernier Festival d'Annecy. Nous y rencontrons Shenxiu, une fillette de dix ans que la séparation de ses parents rend malheureuse (je vous épargne les détails). Profondément meurtrie, la gamine ne profite guère de la croisière organisée par son père pour son anniversaire, autour de sa famille reconstituée. Une tempête la propulsera finalement dans un monde sous-marin proche de celui des livres que lui lisait sa maman. L'occasion de la retrouver enfin, peut-être ? Le royaume des abysses part en tout cas dans cette direction et poursuit aussi d'autres caps avec son chef-cuisinier fantasque et ses dizaines de clients-poissons constamment affamés. Bien des surprises nous attendent par la suite.

Les images fixes ne suffisent pas pour mesurer à quel point l'univers dans lequel le film nous immerge est tourbillonnant et ultra-coloré. Cette virtuosité technique associe images de synthèse 3D et peinture animée. Pour le dire vite, vous ne verrez pas cela tous les jours ! Attention: ainsi que je l'ai lu après coup, cet intéressant parti pris graphique peut parfois paraître un peu "étouffant" face à un récit complexe et dont certains codes, asiatiques, nous échappent. Exemple: il est question d'un Fantôme Rouge visiblement malfaisant pour Shenxiu, mais ce qu'il est en réalité demeure assez mystérieux. Autant, dès lors, se laisser emporter par Le royaume des abysses sans chercher à tout comprendre (ou bien même à tout percevoir). Sur grand écran, c'est en premier lieu une expérience fascinante ! J'imagine qu'elle est accessible aux plus jeunes, à partir de 13-14 ans. Cela dit, à 21h20, mes voisins de fauteuil en avaient une vingtaine...

Le royaume des abysses
Film chinois de Tian Xiaopeng (2023)

Une bonne surprise que ce film que je n'avais pas du tout vu venir ! Sa "mignonnitude" dissimule un sujet vraiment sensible et difficile pour les très jeunes enfants, à mon humble avis. Les autres ? Go ! Dépités, certains critiques ont pointé une (trop ?) nette ressemblance avec le style de Hayao Miyazaki en général et Le voyage de Chihiro en particulier. Ce n'est pas faux, mais cela m'a paru très acceptable...

lundi 15 avril 2024

D'humeur et d'amour

Un jour, l'euphorie. Le lendemain, une dépression profonde. Un yo-yo constant entre les émotions les plus joyeuses et les plus accablantes. C'est ainsi, je crois, qu'on caractérise la bipolarité, que les médecins désignaient auparavant sous le terme "psychose maniaco-dépressive". Un trouble placé au coeur d'un film sorti en mars: La vie de ma mère.

Pierre, la trentaine, commence à s'en tirer comme fleuriste. On sent qu'il aime son métier, mais aussi qu'il est vraiment très intransigeant avec lui-même. D'où cette sensation qu'il pourrait finir par exploser. Ce matin, par exemple, lorsque sa grand-mère l'appelle en urgence. Judith, la mère de Pierre, s'est échappée de la clinique psychiatrique où elle était internée. Le jeune homme n'a dès lors pas d'autre choix que de venir la retrouver, de la voir souffrir et de la raccompagner auprès de ses soignants - qu'elle ne veut plus voir, bien entendu. Autant le dire: La vie de ma mère commence comme une comédie légère, mais adopte très vite un ton sérieux et plutôt dramatique. Comment vous dire ? Malgré quelques longueurs, ce film m'a cueilli. Lui aussi parie sur l'ascenseur émotionnel, oui ! C'est ce qui m'a plu...

Pour la première photo, j'ai choisi Agnès Jaoui et William Lebghil. Sauf erreur de ma part, le duo est inédit. Il fonctionne bien. Visiblement très investie, la comédienne semble parfois très proche du cabotinage, mais le contrepoint qu'apporte alors son partenaire leur permet à tous les deux (et au film) de trouver un bon équilibre. Cette justesse émane aussi, sans aucun doute, des personnages secondaires, ainsi que de leurs différents interprètes, évidemment. Alison Wheeler - sur la deuxième photo - ne m'a guère convaincu jusqu'ici dans le registre de l'humour, mais je l'ai trouvée touchante dans La vie de ma mère. Je réserve une mention spéciale également pour Salif Cissé et Rosita Dadoun Fernandez, que je découvre juste. Joliment récompensée d'un Prix des lycéens au Festival de Royan l'année dernière, puis d'un Prix du public à Angoulème, cette histoire n'a jamais vraiment su décoller des tréfonds du box-office français. Et c'est vrai aussi que j'ai lu au moins une très mauvaise critique ! Dommage: je vous assure qu'elle ne mérite pas de passer inaperçue...

La vie de ma mère
Film français de Julien Carpentier (2024)

Ce film nous dit qu'il est difficile, mais possible d'aimer les gens assez pour les comprendre et ne plus les juger. Et c'est... réconfortant ! Après, naturellement, vous n'avez pas forcément besoin (et/ou envie) que le cinéma vous le dise pour le savoir. Je suggère tout de même d'autres films tendres et durs à la fois: Une femme sous influence, Take shelter et En attendant Bojangles. Si vous en voyez d'autres...

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Un petit mot encore...

Je souhaite dédier ce texte à la mémoire de ma grand-mère maternelle - une femme formidable qui aurait eu 96 ans aujourd'hui...

samedi 13 avril 2024

Le génie tourmenté

C'est dingue: de son oeuvre la plus illustre, Maurice Ravel (1875-1937) affirmait qu'elle était "vide de musique". Près d'un siècle est passé depuis sa composition: le fameux Bolero est revenu à mes oreilles grâce au cinéma - et autour d'un film du même nom. Il faut ajouter que la réalisatrice dit avoir réalisé et assumer "une adaptation libre" !

Malgré plusieurs échecs au Prix de Rome, Ravel jouit d'une réputation flatteuse quand son amie Ida Rubinstein, une danseuse et mécène russe installée à Paris, lui passe commande d'un "ballet de caractère espagnol". Seul problème: le musicien connaît une panne d'inspiration et sa bienfaitrice risque de faire appel à un autre (Igor Stravinsky ?). Bolero - et mon image ci-dessus - le montrent un peu plus à son aise en d'autres circonstances, chez lui ou au bordel, où les prostituées s'étonneraient presque de le voir si peu entreprenant avec elles. Maurice et son lien aux femmes: voilà un très vaste sujet que le film traite avec délicatesse et en ne sacrifiant pas son indéniable beauté formelle. Cinq grandes actrices prêtent leurs traits à ces inspiratrices discrètes et pourtant essentielles: Jeanne Balibar, Emmanuelle Devos, Sophie Guillemin, Doria Tillier et Anne Alvaro, toutes remarquables. Dans le rôle principal, Raphaël Personnaz n'a de fait rien à leur envier.

Je ne m'étendrai guère sur les rôles masculins, sinon pour souligner que j'ai pris plaisir à retrouver Vincent Perez, moins en vue désormais qu'à l'époque où je l'ai connu - le tout début de la décennie 1990. Formellement, je l'ai dit et le répète: Bolero est une vraie réussite. Sans surprise, la partition y a une place importante, mais je précise que l'image, elle aussi, recrée la Belle Époque de façon convaincante et admirable. Nous y découvrons dès lors la personnalité d'un génie réputé dans le monde entier, mais constamment rongé par le doute. Au passage, j'ai appris beaucoup de choses sur sa difficile fin de vie et ainsi apprécié qu'elle soit abordée sans grandiloquence esthétique. "Rien n'est jamais appuyé", a justement indiqué Raphaël Personnaz. D'après lui, c'est la conséquence d'une bonne entente de la réalisatrice avec Christophe Beaucarne, son très talentueux directeur de la photo. Je suis donc ressorti du cinéma avec l'envie d'écouter de la musique...

Bolero
Film français d'Anne Fontaine (2024)

Il y a suffisamment de belles choses dans ce film pour que je reste sourd à ceux qui le trouvent trop éloigné de son personnage central. Ce n'est pas tous les jours que le cinéma produit un opus aussi fort que le génial Amadeus, Tous les matins du monde ou même Shine. Peut-être faudrait-il qu'il focalise avant tout sur la dimension sonore ! Je reste à l'écoute de vos conseils pour d'autres films du même genre.

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Et à ce propos... avec ou sans accent ?

J'ai choisi d'écrire Bolero avec un E non-accenté... tout comme Ravel le faisait dans toute sa correspondance privée et ses manuscrits. Wikipédia indique toutefois que, dès sa création, l'oeuvre a été citée, affichée, gravée et enregistrée indifféremment avec les deux formes.

Vous préférez en rester à la musique ?
Je comprends bien et vous recommande de lire aussi l'avis de Pascale. Sans oublier notre ami Princécranoir, auteur d'une chronique inspirée.