mardi 30 août 2011

La Vierge à l'écurie

Une chronique de Martin

C'était dit-on plus net aux premières heures de sa carrière: les films du réalisateur franco-espagnol Luis Bunuel sont très souvent marqués par le surréalisme. Voir Le charme discret de la bourgeoisie suppose de se laisser entraîner dans une forme de fantaisie déroutante pour le profane. Moi-même qui ai déjà vu quatre oeuvres du maître, je dois dire que je suis encore surpris. Positivement ? Sans doute, oui, car j'aime l'originalité. Je vais tout de même avoir du mal à vous résumer le long-métrage. Une certitude: il sort résolument des sentiers battus. Il faut le rejoindre pour l'apprécier.

Au départ, pourtant, rien ne présage de la difficulté. Par des images somme toute assez classiques, le film nous conduit dans la voiture d'un diplomate sud-américain à Paris, sur la route d'un simple dîner entre amis. Parvenu jusqu'à la demeure de son hôte en la compagnie de quelques autres convives, l'ambassadeur de Miranda, république aussi imaginaire que bananière, trouve une maîtresse de maison déjà en robe de chambre, en fait persuadée d'avoir lancé l'invitation pour le lendemain. Le charme discret de la bourgeoisie, ce sera notamment l'histoire de six personnages qui ne parviennent jamais longtemps à se mettre à table. Prévu d'abord pour reproduire plusieurs fois la reconstitution du meurtre d'un notable, le film repose volontairement sur le principe de la répétition. Ad libitum.

Les protagonistes seront en effet systématiquement interrompus, par la pénurie des ingrédients nécessaires à leurs agapes, l'intrusion d'un groupe de terroristes ou même le lever d'un rideau de théâtre sur leur repas du soir. Plusieurs rôles secondaires entraîneront encore le film vers d'autres horizons, que ce soit une escouade militaire en pleine manoeuvre, un évêque à la vocation de jardinier ou un mort déjà froid dans une chapelle ardente. Je le redis encore une fois: Le charme discret de la bourgeoisie n'est pas une oeuvre facile à présenter, ni du reste à appréhender. Elle a toutefois marqué l'histoire du cinéma à sa façon, recevant l'Oscar du meilleur film étranger en 1973. À vous de vous y frotter et de ressentir alors comment vous la percevrez. Et ensuite, n'hésitez pas à m'en parler !

Le charme discret de la bourgeoisie
Film français de Luis Bunuel (1972)
Je peux maintenant dévoiler le pourquoi du titre de ma chronique. Co-scénariste, Jean-Claude Carrière raconte que Luis Bunuel et lui ont oeuvré à partir d'un simple titre de travail, à savoir Les invités. Chacun de leur côté, avec droit de véto réciproque, ils ont ensuite réfléchi pour trouver autre chose. J'ai retenu l'une des propositions de l'Espagnol et, pour l'anecdote, j'ajoute qu'il voulait encore ajouter un vitupérant À bas Lénine ! Au petit jeu de la comparaison filmographique, le sens d'oeuvres comme Belle de jour ou Tristana reste franchement plus limpide, La voie lactée s'inscrivant plutôt dans la veine surréaliste. Avis à tous ceux qui aiment la bizarrerie !

dimanche 28 août 2011

Les copains d'abord

Une chronique de Martin

Pour une fois encore, je vous invite en terre d'enfance. Les Goonies fait partie des films qui ont marqué mes jeunes années: j'avais seulement dix ans quand il est sorti. Ma mémoire en conservait quelques traces éparses, images et/ou répliques dérobées à l'usure du temps. Les revoir ou les réentendre, à l'identique ou presque, restera comme l'un des bons moments de mes vacances d'été 2011.

Pour les oublieux ou ceux qui l'ignorent, j'indique que Les Goonies raconte l'histoire d'une bande de copains en passe d'être démantelée. Forcément sans scrupules, des promoteurs immobiliers font quotidiennement le forcing pour racheter la maison de l'un d'eux. C'est compter sans la détermination des gosses, tombés par miracle sur une vieille carte au trésor et persuadés qu'il existe un magot caché dans un bateau pirate, quelque part sous la terre. Petit garçon qui n'aurait jamais fait pareil rêve mérite sans doute du réconfort, voire un peu de compassion: la force du film tient à ce qu'il parvient, en tout juste quelques minutes, à nous redonner une âme d'enfant.

Mickey, Choco, Data et Bagou ont chacun de l'énergie à revendre, une force commune devant l'adversité largement supérieure à celle des adultes. Fiction oblige, ils ont aussi des ennemis, un trio d'adversaires recherchés par la police, les Fratelli - le mot italien pour frères, comme vous le savez peut-être. Comme l'étaient autrefois les mousquetaires d'Alexandre Dumas, ces trois-là sont même quatre, l'ultime rejeton de la famille étant une créature difforme, laissée à l'écart et du nom improbable de Cinoque. Moderne malgré tout, Les Goonies offre donc une nouvelle opposition entre les deux camps, les bons et les méchants, groupes cette fois placés à hauteur de gamin. Naïf sans doute, mais toujours efficace.

Je parlerais volontiers du film comme d'un classique, incontournable pour ma génération en tout cas. Aujourd'hui, un bon quart de siècle après sa sortie, il demeure un spectacle appréciable, qu'on peut savourer en souvenir du bon vieux temps. C'est une oeuvre attachante qui fonctionne bien, sans user du moindre des effets spéciaux actuels. À l'image de ses jeunes héros, elle virevolte pratiquement à chaque instant et, sans qu'il soit trépidant, le rythme est franchement soutenu tout au long du métrage. Très bon point. L'incroyable morphologie du quatrième Fratelli parvient à emmener Les Goonies vers des rebondissements farfelus, le scénario restant plus sympa qu'autre chose. Conseil: n'attachez pas trop d'importance au vraisemblable et laissez-vous rêver. C'est un chouette voyage.

Les Goonies
Film américain de Richard Donner (1985)
J'ai présenté Super 8 l'autre jour: Les Goonies porte pour ainsi dire la même marque, de manière d'autant plus nette que Spielberg a produit les deux films. Le bon Steven signe également ici le scénario d'un long-métrage d'autant plus unique qu'aucune suite n'a jamais vu le jour, le projet restant finalement dans les cartons. Aujourd'hui âgé de plus de 80 ans, Richard Donner, lui, n'a plus tourné depuis 2006. Les cinéphiles le connaissent surtout pour la série policière L'arme fatale, avec Mel Gibson et Danny Glover. Je pense bien en reparler un jour. Là aussi, il ne reste même plus qu'à saisir une occasion.

vendredi 26 août 2011

Comme des bleus

Une chronique de Martin

Le croirez-vous ? C'est avec mes parents et sur proposition expresse de ma mère que je suis allé voir Les Schtroumpfs au cinéma. J'assume: retomber en enfance n'est ni douloureux, ni pathétique. Oh, bien sûr, j'aurai sans doute vu des dizaines de meilleurs films cette année, mais, contrairement à mes inquiétudes d'avant-séance, celui-là tient plutôt bien la route. Il a le mérite de respecter l'esprit de l'oeuvre de Peyo, ce qui n'était pas assuré pour une adaptation venue des States. Ceux qui ont fréquenté les petits hommes bleus dans leur prime jeunesse avanceront en terrain connu, en rangs joyeux placés sous la conduite toujours sûre du Grand Schtroumpf.

Le scénario, lui, est assez basique, calibré pour n'offrir rien d'autre qu'un divertissement familial accessible à tous les publics. Cela dit, Les Schtroumpfs quittent ici le cocon rassurant de leur forêt enchantée pour se retrouver projetés dans le New York d'aujourd'hui. Ce n'était évidemment pas prévu, ça ne peut évidemment pas être définitif et leur retour chez eux deviendra alors l'enjeu "dramatique" de cette escapade lointaine et forcée. Il n'en reste pas moins que, contre toute attente, il n'est pas forcément si difficile de s'adapter provisoirement à la vie dans la grande ville et à la compagnie toujours étonnante des hommes. Surtout quand le hasard vous place dans un gîte lui aussi confortable, comme le modeste appartement d'un petit couple ordinaire, en passe d'accueillir un premier enfant.

Néanmoins, même pour une petite heure et demie d'un récit cinéma aussi simple, il faut quelques péripéties à coller sous la rétine exigeante du spectateur. Les Schtroumpfs vivent sous la menace constante du sorcier Gargamel et de son chat Azrael: ça fait partie du truc. Même à des kilomètres de chez eux, ils n'échappent jamais vraiment à leur encombrant voisin: l'intéressé parvient même, maléfice oblige, à se fondre dans le paysage de la métropole. Techniquement, on pourrait en dire autant des modestes créatures qu'il pourchasse: l'efficacité des effets numériques fait qu'il est facile d'adhérer à cette histoire, pour peu bien sûr qu'on accepte d'emblée son extrême prévisibilité. À voir, comme moi, en famille. Il y a beaucoup mieux, c'est un fait. C'en est un autre: il y a bien pire.

Les Schtroumpfs
Film américain de Raja Gosnell (2011)
Comme des bleus: c'est ainsi que nous avons pris le film, ma mère, mon père et moi, pour l'apprécier à sa juste et bien modeste valeur. Des longs-métrages qui pourraient lui être comparés, je n'en vois pas des masses. Je ne peux même pas vous dire ce que peut apporter ici la 3D, ayant assisté à une projection sans relief. Disons simplement que j'ai retrouvé la simplicité enfantine d'un dessin animé comme Rio et l'esprit américano-consensuel d'une petite comédie romantique comme Le plan B. Assez pour moi: je n'attendais pas davantage.

mercredi 24 août 2011

Rêve de gosse

Une chronique de Martin

Quand le train a déraillé, à grands renforts d'explosions, j'ai bien cru être redevenu un enfant. Et peut-être bien parmi les cinq petits mecs de cette drôle d'aventure, dont l'un des personnages a le bon goût d'être prénommé Martin. Les plans de Super 8 m'ont vite embarqué avec eux, deux bonnes heures durant, pour un voyage à destination des années 80, cette période que, petit à petit, je revisite artistiquement parlant. Je suis trop jeune pour me souvenir de tout.

À vrai dire, je savais beaucoup de choses sur le film avant même d'aller le voir. J'avais pourtant soigneusement évité de lire trop d'articles à son sujet, mais n'avais pu résister à la découverte prématurée de quelques arguments développés pour sa promotion. Globalement, je l'ai trouvé bien accueilli, souvent analysé au regard des classiques de son producteur, le grand Steven Spielberg himself. C'est bien lui, l'homme le plus important derrière la caméra, plutôt que le réalisateur, J.J. Abrams, à l'évidence admirateur respectueux de la première heure. Oui, et ce n'est pas un défaut, Super 8 s'avère un film très "spielbergien". Un mot sur son début: un groupe d'enfants rêve en commun d'un destin de cinéma et réalise, parfois en cachette des parents, un film amateur avec des zombies. C'est une nuit comme tant d'autres, alors qu'ils tournent leur grande scène d'émotion, qu'ils sont les témoins directs d'un très spectaculaire accident ferroviaire. Ils s'en sortent miraculeusement, voient toutefois leur projet artistique menacé du fait de l'incompréhension des adultes et sont alors censés retourner à une vie plus ordinaire. Sauf que, dès le lendemain, leur petite ville devient le théâtre d'événements paranormaux et de disparitions soudaines...

Je ne vais pas vous en dire plus sur le pourquoi du comment. Expliquer quand survient tel ou tel rebondissement me semble inutile et pourrait même s'avérer frustrant pour ceux qui ne verront le film que maintenant, trois semaines après sa sortie. Sitôt le générique final passé, j'ai eu le sentiment d'avoir vu l'un des longs-métrages américains les plus originaux de l'année. Désormais, je reviens quelque peu de cette impression première: Super 8 n'est pas vraiment original, il fait même étalage d'innombrables références. Sans surprise une fois connues les conditions dans lesquelles il a été créé, c'est donc aux oeuvres de Steven Spielberg qu'il fait penser. Pas la peine de les citer toutes: vous verrez - et reconnaîtrez - bien par vous-mêmes. Ce parallélisme est un atout pour le film, je l'ai dit, mais c'est aussi probablement sa limite: si vous n'aimez pas les "originaux", pas la peine d'aller voir la "copie". Certains diront même que J.J. Abrams n'a rien inventé et, ce faisant, seront déçus de ne pas le voir apporter sa patte à cette histoire. Je m'abstiens volontairement de tout commentaire: c'est la première fois que j'ai l'occasion de juger le travail du réalisateur. Je n'ai même jamais vu le moindre épisode de Lost, la série télé qui l'a rendu célèbre.

Grâce à cette distance, j'ai pris les images au premier degré. Même si on peut toujours déplorer quelques ellipses un peu brutales, l'ensemble m'a vraiment plu. Le titre même du film porte l'empreinte d'une certaine nostalgie à laquelle je suis sensible, peut-être même un peu plus que ce que j'aurais cru. Il faut aussi relever que ce sont de jeunes comédiens qui nous entraînent avec eux: même s'il y a suffisamment de chasseurs de têtes à Hollywood pour les repérer, même s'ils sont eux-mêmes des archétypes, ces gamins-là ont assurément du talent. Je n'en ai reconnu aucun, signe également d'une relative fraîcheur. Après la projection, ce n'est qu'en relisant quelques critiques parues dans la presse que j'ai enfin remis le nom d'Elle Fanning sur le blond visage de l'héroïne. Super 8 pourrait bien nous mettre en présence d'une nouvelle génération, des acteurs bizuths que l'on retrouverait avec le sourire dans un avenir cinématographique plus ou moins proche. Tout le reste peut-il finalement laisser imaginer un retour aux sources du cinéma américain ? Je n'en suis pas sûr, ne sachant même dire si ce serait vraiment souhaitable. Musique, décors, costumes, situations: tout fleure bon les années 80, ça, oui. D'aucuns pourront sans doute considérer ces éléments d'ambiance comme une jolie coquille vide. Le propos n'échappe d'ailleurs pas tout à fait aux bons sentiments. Cela dit, moi, cette fois, ça m'a quand même franchement contenté.

Super 8
Film américain de Jeffrey Jacob Abrams (2011)
Un coup de coeur: c'est ce que j'ai ressenti pour le film, aussitôt sorti de la salle de cinéma. Né au mitan des années 70, je suis donc véritablement un enfant des 80s. J.J. Abrams m'a offert une bouffée d'air frais et nostalgique. Je me suis subitement souvenu que E.T. fut par exemple l'un des tout premiers films que j'aurais dû découvrir sur grand écran, avant qu'une alerte à la bombe ne m'oblige, quelques heures plus tard, à voir finalement La guerre des boutons. Clin d'oeil: au moment où je finalise cette chronique, deux films prétendument inédits - en fait deux remakes - sont annoncés, inspirés du roman de Louis Pergaud. Pas sûr qu'il soit de nouveau aussi agréable de revenir en arrière. Et pas sûr que j'aille en juger...

samedi 20 août 2011

Les mots de Jacques Cluzaud

Propos recueillis par Martin

Permettez-moi, amis lecteurs, de faire en ce jour une petite entorse à la règle tacite qui veut que chaque message de ce blog corresponde à une actualité de ma vie de cinéphile. Je crois possible d'imaginer que vous ne le regretterez pas. Si ma chronique est un peu datée, elle ne me paraît pas périmée pour autant et elle vous permettra donc de mieux connaître le travail d'un cinéaste déjà évoqué ici, Jacques Cluzaud, le co-réalisateur - avec Monsieur Jacques Perrin - du somptueux Océans. J'ai fait cette interview que je présente ici. C'était pour parution dans un magazine, en novembre 2009. Hissez avec nous la grand-voile: ma plume virtuelle remonte le temps...

En étudiant votre parcours, on constate que vous connaissiez Jacques Perrin avant ce film, pour avoir collaboré sur Le peuple migrateur. Comment vous êtes-vous rencontrés ?
La première fois remonte à 1986. Jacques produisait une série de films intitulée Médecins du monde. Plusieurs réalisateurs de cinéma y ont participé et, parmi eux, Alain Corneau, dont j'étais le premier assistant. Ensuite, nous nous sommes à nouveau croisés quand il produisait un film sur le Vietnam. Je terminais alors ma carrière d'assistant sur Indochine, le film de Régis Wargnier. Le peuple migrateur a finalement été tourné courant 1999. Et donc treize ans après que nous avons fait connaissance...

Océans s'inscrit-il dans la lignée de ce précédent film ?
Pas vraiment. Certes, il s'inscrit dans une série de films naturalistes que, depuis Le peuple singe, Jacques a produits en parallèle avec toutes ses oeuvres de fiction. Dans cette série, il y a Microcosmos, Himalaya aussi, d'une certaine façon, et donc Le peuple migrateur. Cela dit, Océans comporte un certain nombre d'éléments qui en font autre chose qu'un film naturaliste.

Lesquels, par exemple ?
D'abord, il ne s'agit pas d'un film complètement animalier. Il montre l'océan dans tous ses états, avec les créatures marines, mais également la force des éléments, la vision des satellites, celle des explorateurs, les massacres commis en mer... beaucoup d'aspects différents. Il y a aussi une forme particulière, avec des personnages, qu'interprètent Jacques et son fils Lancelot. Notre idée, c'est de partir de cet enfant qui demanderait ce qu'est l'océan et de le lui raconter, non pas à partir d'un texte et d'explications, mais avec des images et des sons créant une émotion directe. Il y a quelque chose d'incarné: le personnage joué par Jacques évoque ce qui s'est passé durant la durée de sa vie. L'enfant, lui, reçoit cette planète détériorée, mais attention: le propos est loin d'être désespéré !

Un mot sur Monaco. Le film y a été présenté et la Fondation Albert II figure parmi vos partenaires. Pourquoi ?
C'est là un aspect de production: Jacques répondrait mieux que moi. À ma connaissance, le contact a d'abord été établi par un biais scientifique. Avant la projection d'Océans à Monaco, on a pu découvrir un autre film sur les actions de la Fondation. Ce qui m'a alors frappé, c'est de constater que nos problématiques sont extrêmement proches.

Deux années de mise en place, quatre de tournage: on imagine qu'Océans a aussi été un grand défi technologique...
Tout part en effet d'une longue préparation pour appréhender le sujet et savoir dans quelle direction aller, forts de très nombreux contacts auprès des scientifiques et d'une abondante documentation. Il y a aussi un travail d'élaboration d'un guide scénaristique dont, au final, le film est très proche. Ensuite, l'importance de faire sentir la nature dans toute sa magnificence s'avère aussi nécessaire pour faire réagir à l'agression qui lui est faite. Nous voulions devenir poissons parmi les poissons: c'est en ce sens que l'on a fait usage des moyens techniques. L'idée: de manière sensible et sans parole, pouvoir comprendre ce qui se passe, en adoptant le point de vue de la mer.

Vous présentez comme une contrainte le fait de vouloir faire un film de cinéma. La différence avec la télévision tient-elle à la qualité des images ?
Je ne pense pas. La télé fait des images absolument époustouflantes. La différence avec le cinéma, c'est qu'en quatre ans de tournage, on a le temps d'aller au bout de ce qu'on cherche à faire. Après, on n'y arrive pas forcément, mais le temps nous permet de découvrir des choses inattendues. Par rapport à certaines contraintes de télévision, on peut se déconnecter d'une certaine approche documentaire: on va chercher à toucher les gens directement, à non plus seulement leur faire voir des espèces, mais à leur faire ressentir des émotions. Et ça existe ! Après y avoir passé beaucoup de temps, on voit bien quand un poisson est stressé, agressif ou sûr de lui. Deuxième aspect: on travaille aussi pour une image plus grande, avec également une forte attention portée au son. Ce côté "grand spectacle" d'Océans, c'est très certainement en salle, sur un grand écran et avec une bonne sonorisation, qu'on peut au mieux le percevoir.

Le cinéma s'impose donc...
Le film est fait pour ça ! Même si nos rushs nous permettront également de produire une série pour la télévision, avec un angle d'attaque différent. Tout dépend en fait de la manière dont on veut parler au spectateur. Plutôt qu'à sa compréhension des choses, on a décidé ici d'en appeler à une approche plus émotionnelle.

Une telle démarche doit supposer son lot d'imprévus...
En effet. La nature est généreuse, mais ne présentera pas des milliers de fois des choses exceptionnelles. Rares sont les moments où l'eau est assez claire et le plongeur assez proche pour manger une baleine bleue en train de manger un nuage de krill. En fait, quand la nature donne, il faut être prêt à recevoir.

Dans un tel tournage, existe-t-il des moments de doute, voire de découragement ?
Non, parce que ce n'est pas un marathon, mais un sprint ! Un film comme celui-là, c'est 50 lieux dans le monde et 75 équipes. Ce qui est terrible, c'est d'aller à un endroit et que rien ne se passe, ou bien alors dans des conditions ne permettant pas de filmer. On a dû retourner trois fois en Arctique, par exemple. À chaque fois, il a fallu monter un camp et attendre un rendez-vous difficile avec les bélougas, les ours et les morses. En sous-marin, si l'eau est trouble, on ne voit rien, même si les espèces sont à deux mètres. Entre la fonte des glaces et l'arrivée des animaux, si on ne respecte pas le timing, ça ne marche pas.

À l'inverse, des moments vous ont-ils marqué plus que d'autres ?
C'est plutôt l'ensemble qui est assez phénoménal, en fait, et ce d'autant qu'on en sort à peine. On était encore en montage il y a peu. Avant même la fin du tournage, il y a cette phase d'immersion totale dans 480 heures de rushs. Sur le plan personnel, pour avoir pu participer à un grand nombre de tournages, je garde en mémoire des endroits comme l'Arctique, particulièrement la dernière année, où nous avons rejoint un sanctuaire que les Inuits découvraient eux aussi. On a pu voir que la nature allait bien là où on la laisse en paix. Je dirai la même chose des Galapagos, où ont été tournées des scènes d'otaries et d'iguanes, là où un scientifique débarque à peine une fois tous les vingt ans. Ce sont des lieux rares et magiques !

Vous parliez d'espoir. Aviez-vous la volonté de montrer qu'il est possible de sauver la Terre ?
Tout à fait. Ce que ne fait pas le film, c'est de proposer des solutions. Il montre la beauté de la nature, telle qu'elle a toujours été. Il illustre également l'agression qu'elle a pu subir le temps d'une vie humaine. Il n'y a pas de didactisme: on cherche d'abord et surtout à faire ressentir. Un enfant peut saisir ce qui se passe en voyant une otarie nager au fond d'une mer polluée. Pas besoin d'aller beaucoup plus loin pour que le premier message passe. Ensuite, il y a les réflexions du narrateur, portées par une voix très parcimonieuse. Au final, le message d'espoir, c'est que jamais la volonté de protéger n'a été aussi forte qu'aujourd'hui.

Et maintenant ? Auriez-vous envie de revenir à la fiction ?
Absolument. Jacques et moi venons de réunir deux familles de cinéma. Le fait même que nous ne soyons pas des spécialistes du monde animalier implique que nous sommes proches des codes du cinéma classique. C'est justement ce qui fait que, dans le film, une bataille entre une crevette et un crabe peut être découpée comme une séquence de kung-fu. Sur le plan formel, on a en fait pu utiliser toutes les armes du cinéma pour dépasser le simplement documentaire.

Avec Océans, peut-on alors parler de cinéma ultime ?
Je ne sais pas. Ce qui est sûr, c'est qu'on a fait le film qu'on avait envie de voir et de présenter.

jeudi 18 août 2011

Même pas peur

Une chronique de Martin

Mes plus grandes frustrations au cinéma ? Je crois qu'elles sont toujours venues de films dont j'espérais beaucoup et que je n'ai finalement pas trouvés si extraordinaires. Je suis en fait moins déçu après m'être infligé un long-métrage insignifiant quand je m'y étais plus ou moins préparé. L'indifférence: c'est le sentiment qui domine alors, plus que le désappointement. Tamara, qu'un couple d'amis m'a proposé de regarder il y a quelques jours, fait partie de ces projets dont je n'attendais rien et qui ont confirmé leur totale (!) vacuité. Limite, ça me fait plus rire qu'autre chose. Un peu jaune, mais bon...

Tamara, c'est le prénom de cette (jolie ?) fille, que le film présente d'abord dans des habits plutôt moches et avec des cheveux gras, donc la peau d'une lycéenne martyrisée par ses "copains" de classe. Superbe ! La comédienne choisie ayant 25 ans, le réalisme prend d'emblée un bon coup dans les dents. C'est encore pire après, quand, persécutée par ses condisciples, la pauvre fille est tuée à la suite d'une blague qui tourne mal. Le crescendo du grand n'importe quoi atteint des sommets quand, enterrée dans la forêt, elle revient d'entre les morts, timidité en moins. L'heure de la vengeance a sonné et il n'y aura pas de quartier ! Mon dieu, ça fait trop peur... ou pas.

Soyons clair: je suis tout sauf un inconditionnel des slasher movies, ces films où il est question d'un tueur venu sauvagement assassiner la moitié du casting à grands coups de couteau, de hache ou de robot ménager. Tamara ne partait donc pas gagnant, je dois l'admettre. Mais même en m'efforçant d'être tolérant à l'égard du genre, je n'ai pas pu éviter de voir l'extrême faiblesse de ce qui me fut ici proposé. VF de pacotille, effets visuels et sonores éculés, scénario vu et revu cent fois, acteurs inexpressifs au possible ou au contraire emmêlés dans la caricature: un modèle de kitscherie. Bon, ça confirme finalement aussi ce que je disais: mieux vaut en rire qu'en pleurer.

Tamara
Film américain de Jeremy Haft (2005)
Vérification faite, même la bande annonce du film est prévisible ! Maintenant, vous le connaissez, le réalisateur ? Pas moi. Son film a coûté 3,5 millions de dollars et en a rapporté à peine 210.000. Oups ! Il semblerait que le (courageux) éditeur du DVD, lui, ait souhaité limiter les frais, préférant plutôt mettre en avant le scénariste, Jeffrey Reddick, auteur des trois premiers épisodes de Destination finale, série a priori un poil mieux réussie. Vu à quel point j'ai trouvé tout ça bien pathétique, j'avoue: je n'ai pas trop envie de vérifier...

lundi 15 août 2011

Harry, c'est fini

Une chronique de Martin

Tout connaître à l'avance de l'histoire racontée est une sensation étrange à l'heure d'entrer dans une salle de cinéma. Je l'ai expérimentée il y a peu, en choisissant d'aller voir la deuxième partie de Harry Potter et les reliques de la mort, adaptation du livre éponyme, que j'avais terminé depuis de longs mois. À contre-courant d'une majorité de "cinévores", avec deux amies, nous avions retenu la version 2D et VO. Contents même d'avoir pu le faire, à vrai dire.

Comme d'habitude avec chacun des sept bouquins ou des huit films sortis ensuite, il est assez difficile de déterminer par où commencer. A fortiori dans sa seconde partie écran, Harry Potter et les reliques de la mort repose sur un univers bien connu de tous les lecteurs fidèles et spectateurs assidus, mais à côté duquel le reste du public potentiel peut très bien être passé. Je résumerais le propos général en rappelant simplement que le héros de cette histoire est un ado doté de pouvoirs magiques, orphelin de père et mère, élevé au coeur d'une famille lambda et admis dans une grande et très secrète école de sorcellerie. Là-bas, le jeune homme se fera des amis pour la vie et affrontera son destin, dans un combat à mort avec le plus cruel des sorciers. C'est bien dans ce tout dernier opus que l'on saura qui des deux l'emportera et dans quelles conditions. Je le savais donc déjà, mais il me faut dire que cette absence de suspense n'a pas nui au plaisir pris devant le film. Ceux qui connaissent également le fin mot de l'histoire ne seront pas surpris de constater que cet épisode est le plus sombre de la série. Ce n'est pas un défaut ! D'avoir simplifié l'intrigue comme le suppose l'adaptation cinéma n'a pas joué au détriment du ton de l'oeuvre originale, de plus en plus glaçant. C'était un pari difficile, que je suis très heureux de voir ainsi relevé.

Du fait du choix de découper le livre en deux parties, cette version cinéma de Harry Potter et les reliques de la mort était, je crois, attendue au tournant: hors de question de bâcler le grand final ! Si, sur l'avant-scène, les familiers de la saga ne découvriront plus rien de franchement original, ils devraient toutefois apprécier le travail de David Yates derrière la caméra. Le réalisateur a bien travaillé, sans fausse note visuelle ou temps mort. Il est toujours possible d'émettre quelques critiques sur ses choix: quelques scènes marquantes du roman ont été copieusement élaguées avant la mise en images, d'autres semblant même avoir tout à fait disparu. Reste que, dans l'ensemble, tout se tient plutôt bien. Je ne suis pas sûr qu'il soit possible d'apprécier le film en lui-même, "à froid", car c'est ostensiblement une suite: sa première scène reprend à vrai dire exactement la dernière de l'opus précédent. C'est une caractéristique de la série, d'ailleurs, et l'une de ses qualités à l'écran: les génériques apparaissent toujours à la fin, seul le titre venant clore la séquence d'ouverture pour mieux plonger le public directement dans l'histoire. Cela dit, je pense donc qu'il est difficile de raccrocher les wagons quand on ne connaît rien de cet univers avant de vouloir le découvrir au cinéma. Il vaut peut-être alors mieux revenir un peu en arrière pour choisir de se tourner vers l'un des premiers épisodes.

Pour les connaisseurs, Harry Potter et les reliques de la mort deuxième partie vibre aussi de l'émotion des adieux. Ceux qui, comme moi, auront lu le livre avant de découvrir le film sauront certes à quoi s'en tenir, mais si j'en juge d'après mon voisinage immédiat lors de la projection, ça n'empêche pas de ressentir quelque nostalgie à l'idée que tout soit à présent terminé. Reste qu'encore une fois, le cahier des charges est respecté, les scènes d'action suffisamment nombreuses et les moments plus calmes judicieusement répartis. Celui qui visite ici un monde familier trouvera aussi amusant de se souvenir des acteurs aux heures premières de la série et de voir comment ils ont évolué, au-delà même de leurs personnages. Il sera intéressant d'observer la manière dont tous ces comédiens, principaux ou secondaires, poursuivront leur carrière: tous n'auront pas forcément la même aisance à sortir de leurs habits de sorcier. Sur le plan du scénario, et sachant aussi que J.K. Rowling a toujours assuré qu'elle n'avait pas l'intention d'écrire une suite à sa saga, il faut bel et bien admettre qu'il y a ici une fin. Évidemment, cette conclusion ne va pas sans retournement de situation, même si, au fond, la plupart de ce qui arrive pouvait s'envisager. J'ai moi-même eu beaucoup de joie avec cette histoire, à l'écran comme sur papier. Il est probable qu'un jour, je veuille revoir les huit films l'un après l'autre. L'occasion d'en reparler.

Harry Potter et les reliques de la mort - partie 2
Film américain de David Yates (2011)
Je ne saurai être formel, mais je doute fort que le cinéma ait accouché d'une autre saga de pareille ampleur. Et même si la moitié a été confiée à quatre réalisateurs différents, il y a là, antériorité des romans oblige, une continuité intéressante. L'incroyable longueur de l'histoire complique singulièrement ma tâche au moment d'avancer une possible comparaison: à mes yeux, le travail ici accompli reste sans égal. Pas de rapport avec Indiana Jones, La guerre des étoiles ou Le seigneur des anneaux, par exemple. Maintenant, il pourrait être intéressant de se tourner vers d'autres films où la magie joue aussi un rôle déterminant. En plus de revoir Fantasia, j'ai l'intention découvrir Le prestige, de Christopher Nolan, entre autres. J'en suis toutefois presque sûr: rien ne remplacera Harry. Il était une fin...

samedi 13 août 2011

Un cinéma cyclique

Une chronique de Martin

J'en ai touché un mot avant-hier: Eric Rohmer concevait son oeuvre par cycles. A-t-il pu tous les terminer ? Mes connaissances limitées m'empêchent de l'affirmer, mais c'est possible: j'ai au moins constaté que le réalisateur a travaillé de manière méthodique, ne revenant pas sur une série après l'avoir abandonnée. Précisons qu'il y a également dans sa filmographie quelques films épars. Quand il est mort, au début de l'année dernière, à 89 ans, il venait d'enchaîner trois Drames historiques. Le dernier a pour titre Les amours d'Astrée et de Céladon et fut présenté à la Mostra de Venise en août 2007. Chronique à suivre... un jour ou l'autre. Quand je l'aurai vu.

Dans un article du Monde publié après sa disparition, Eric Rohmer était présenté sous deux aspects: comme le défenseur de l'intimisme et du marivaudage, ainsi que, dans le même temps, tel un classique contrarié dans les beaux habits d'un des plus éminents représentants de la Nouvelle Vague. "Je ne dis pas, je montre", indiquait-il personnellement pour évoquer son cinéma. Les nuances introduites par mes confrères sont par trop précises pour que je me prononce sur la (double) question. Il me paraît toutefois judicieux de relever que le cinéaste fut lui-même critique et... l'un des rédacteurs en chef des Cahiers du cinéma à la fin des années 50. Pour info, il en fut finalement remercié au cours de l'année 1963, c'est-à-dire à l'époque des courts que je présentais jeudi. Une décision alors prise au nom d'un certain modernisme dont, pourtant, l'oeuvre du maître n'est pas exclue. Nous verrons bien si cette impression se confirme en moi avec le temps et au fil de mes découvertes de ses autres créations.

jeudi 11 août 2011

Rohmer à Paris

Une chronique de Martin

J'ai hésité sur la manière dont j'allais vous parler des deux films d'aujourd'hui. Si j'ai finalement cru bon de les présenter ensemble, c'est qu'ils sont signés du même réalisateur - Eric Rohmer - et issus d'un même cycle intitulé Contes moraux. J'ai d'ailleurs déjà eu l'occasion de vous parler de L'amour l'après-midi, le dernier morceau du puzzle. Au moment d'évoquer les opus 1 et 2, il me paraît pertinent de rappeler leur format: les deux sont des courts-métrages.

Le premier, vu en second, a pour titre La boulangère de Monceau. Son héros est un étudiant parisien qui, admiratif d'une jolie femme passant sur les boulevards, finit un beau jour par l'aborder. Sylvie refuse alors le verre que l'inconnu lui propose, promet que ce ne sera que partie remise et... disparaît pendant de longues journées. Surpris et frustré, son séducteur la cherche dans tout le quartier et, au cours de ses pérégrinations urbaines, achète très régulièrement un sablé à la boulangerie du coin. Il y rencontre une autre demoiselle. Je ne dirai rien de plus sur ces 22 minutes de cinéma. Sorti en 1962, ce petit film a été tourné avec une caméra 16mm à ressort, les plans ainsi produits ne pouvait dépasser les quinze secondes. Dans ce Paris d'il y a bientôt cinquante ans, on remarquera qu'Eric Rohmer fait déjà appel à son complice Barbet Schroeder, acteur et producteur. À noter aussi la (surprenante) participation de Bertrand Tavernier en voix off.

Sur le même modèle, mais plus long d'une demi-heure, La carrière de Suzanne reprend un canevas similaire. Il y a encore un homme qui séduit, une femme qui est séduite et un deuxième homme rendu assez mal à l'aise par le comportement de son copain. Pas vraiment d'amour dans cette histoire, plutôt de la drague de bas étage. L'intrigue repose davantage sur l'évolution des trois relations croisées que sur une étude des moeurs sociales dans le Paris étudiant de 1963. J'avoue avoir assez vite décroché, en fait dès que Bertrand, le héros timide, accepte, comme son ami Guillaume le lui demande, de diriger une interminable séance de spiritisme pour enjôler la belle du moment. J'ai ici le sentiment d'une pesanteur que je ne retrouve pas chez d'autres cinéastes de la Nouvelle Vague, François Truffaut par exemple. Admettons toutefois que ce court-métrage n'est pas exactement révélateur du cinéma rohmerien: à l'époque, le maître n'avait encore tourné qu'un seul long et il est possible qu'il cherchât encore son style. J'en jugerai mieux quand je le connaîtrai davantage. Quand, je l'ignore, mais d'autres chroniques suivront.

lundi 8 août 2011

Coeurs noirs

Une chronique de Martin

C'est drôle: il y a quelques jours à peine, j'ignorais encore qui était Karen Blixen. Et voilà qu'en fouillant la bibliothèque du bureau, Valérie, une collègue de travail, déniche des livres de la romancière danoise, juste avant que France 3 ne diffuse Out of Africa, film tiré d'un récit autobiographique. C'est ainsi que j'ai fini par découvrir cette Scandinave atypique, partie au Kenya au début du siècle dernier pour s'y marier avec un aristocrate seulement une heure après son arrivée et y mener ensuite une vie d'exploitante agricole, spécialisée dans le café. Persuadé du plaisir que j'allais prendre devant la télé ce soir-là, je suis resté le savourer dans mon canapé.

Sa longueur de près de deux heures et demie ne m'a pas rebuté, bien au contraire: ainsi que je l'avais espéré, Out of Africa m'a plu. Beaucoup plu. Les sept Oscars qu'il a décrochés en 1986 en font assurément un classique, que je suis donc heureux d'avoir enfin pu découvrir. Je me suis ainsi prouvé que j'avais raison de faire confiance à mon instinct et à mon admiration pour le superbe duo Meryl Streep et Robert Redford, les deux héros de cette fresque hollywoodienne "à l'ancienne". Vous ne serez pas étonnés d'apprendre qu'il est question d'amour et même de passion, tant les sentiments qui viennent unir les êtres sont tourmentés. Les vivre pleinement dans une parfaite harmonie n'a absolument rien d'une évidence.

Out of Africa, c'est aussi, bien sûr, une grande déclaration d'amour lancée à l'Afrique et aux Africains. Bien que l'époque de l'histoire semble s'y prêter, il n'est pas ici question de colonisation ou même d'un quelconque rapport dominant-dominé. Si elle est certes propriétaire terrienne sur un sol "étranger", Karen Blixen traite d'égal à égale avec ses employés. L'intrigue montre aussi l'absurdité cruelle de la guerre, quand, en 1914, les peuples africains sont entraînés dans un conflit qui n'est pas le leur. Sans s'arrêter trop longuement sur ces questions géopolitiques, le long-métrage est aussi un voyage en terre inconnue, là où même l'excellent travail des acteurs s'efface devant la magnificence des paysages. On en revient au générique final, difficilement, le coeur comme rempli d'envies de départ.

Out of Africa
Film américain de Sydney Pollack (1985)
On se tait et on admire ! Juste récipiendaire d'une belle collection d'Oscars, le long-métrage m'a d'abord fait penser à une autre histoire d'amour plantée dans un décor magnifique: Le patient anglais. J'ai toutefois des souvenirs bien trop flous du film d'Anthony Minghella pour vous dire le pourquoi de cette réminiscence spontanée. Beaucoup plus nettes dans ma mémoire, les belles images de Danse avec les loups me sont elles aussi revenues à l'esprit, sans doute portées par... la musique de John Barry, le fil conducteur de chacun des deux longs-métrages. Devant celui de Sydney Pollack, j'ai aussi ressenti une émotion comparable à celle de Sept ans au Tibet. Encore un beau film marqué par la rencontre entre deux cultures...

samedi 6 août 2011

Deux loulous, des nanas

Une chronique de Martin

Je l'ignorais il y a quelques jours: avant de tourner Les valseuses, Bertrand Blier avait écrit le roman dont s'inspire le long-métrage. Stéphane, un collègue de travail, cinéphile lui aussi, m'a prêté le DVD et permis de retrouver l'atmosphère si caractéristique de la France post-soixante-huitarde à la suite de Pierrot et Jean-Claude, les potes qui tiennent lieu d'anti-héros dans ce drôle de film. Je les connaissais déjà, pour avoir suivi leurs "aventures" il y a de cela une dizaine d'années au moins. Les revoir n'a pas été sans surprise: j'avais notamment oublié à quel point le propos général pouvait être macho et à vrai dire assez dur. Je gardais l'image de deux loulous sympathiques, ayant un peu occulté leur côté peu fréquentable.

Comme souvent chez Blier fils, la femme n'a pas le beau rôle. Elle est ici, tour à tour, bourgeoise coincée, frustrée inconsciente ou canon frigide. Les valseuses, c'est avant tout le récit des pérégrinations sexuelles de deux jeunes tout à fait désoeuvrés par ailleurs. Truc étonnant: en dépit de la violence des situations évoquées, le ton reste assez badin, comme si, au fond, tout cela n'était pas grave. Ici et là, la mort rôde pourtant et la puissance d'un personnage interprété par l'impeccable Jeanne Moreau nous rappelle à l'évidence: il n'y a pas beaucoup de lumière dans cette histoire. Et il n'est pas sûr que la fuite en avant de Pierrot et Jean-Claude puisse les conduire finalement en un lieu où l'herbe est plus verte et le coït plus heureux.

Si Les valseuses est resté dans l'histoire du cinéma français, c'est aussi sans doute pour son trio d'acteurs principaux. Du côté mecs d'abord, Patrick Dewaere et Gérard Depardieu sont au sommet, chacun dans un registre différent, le premier suiveur, le second leader. Entre eux, une Miou-Miou toute jeunette, fragile d'apparence mais forte en gueule, étonnante amoureuse de ces drôles de lascars. Par la grâce de dialogues des plus chiadés, les trois comédiens s'offrent une prestation remarquable, qui ferait presque oublier quelques autres grands noms de la distribution (Isabelle Huppert gamine !) et le fait que tout a un peu vieilli. C'est peut-être bien comme un témoignage de son époque qu'il faut prendre le film. Contrairement à un de ses personnages, nous serons alors en mesure d'apprécier qu'il n'a rien perdu de sa vigueur. On n'est pas bien, là ?

Les valseuses
Film français de Bertrand Blier (1974)
Le film est sorti l'année de ma naissance ! Je crois que ce que j'aime particulièrement dans cette escapade, c'est le doute qui persiste après coup sur le message derrière les images et la conclusion (heureuse ?) des aventures de Jean-Claude et Pierrot. En ce sens, Voir la mer, autre histoire de trio, est plus explicite. La comparaison la plus juste serait alors peut-être celle que j'ose faire avec Thelma et Louise, même si, cette fois, il est question d'un duo... de femmes.

vendredi 5 août 2011

Une question de confiance

Une chronique de Martin

Quel est exactement le mal qui ronge Walter Black ? Difficile à dire. Ce quinquagénaire américain semble avoir tout pour mener une vie heureuse: une femme aimante depuis vingt ans, deux garçons, l'un ado, l'autre petit enfant, et un boulot plutôt sympa comme directeur d'une fabrique de jouets. Tout ça n'a pas su empêcher notre homme de sombrer dans la dépression. Quand débute vraiment Le complexe du castor, Walter Black est mis à la porte de chez lui par une épouse finalement épuisée par les efforts qu'elle accomplit pour le ramener en surface. Quelque temps plus tard, elle accepte qu'il revienne malgré une copieuse gueule de bois et après une tentative de suicide.

Ce qui a changé ? L'attitude de Walter, dont la confiance en lui a fait un prodigieux bond en avant depuis qu'il a... placé une marionnette de rongeur au bout de son bras gauche. C'est par ce truchement incroyable que le névrosé d'hier s'exprime désormais pour redevenir un chef d'entreprise conquérant, un mari souriant et un père attentionné. Sous couvert de thérapie, Le complexe du castor adopte alors un humour noir ravageur. Quelques-unes de ses scènes inaugurales sont même très drôles, avant que le trouble mental affectant Black ne reprenne le dessus. Une relation de dépendance s'instaure rapidement entre l'homme et la bestiole qu'il a positionnée comme médiateur de sa vie sociale. Ce film-là n'est pas une comédie.

C'est fou: Jodie Foster n'avait plus réalisé de film depuis quinze ans. Comme pour se rattraper, elle fait ici coup double, présente devant et derrière la caméra. Meredith, la femme de Walter, est fascinée par les montagnes russes: c'est en réalité à leur constant changement de rythme, un coup en haut, un coup en bas, qu'avance Le complexe du castor. Jamais ridicule même si pas toujours aboutie, notamment dans l'évocation de la complexité d'un rapport père-fils, cette étonnante production m'a séduit grâce à ses personnages principaux: Meredith/Jodie Foster, donc, remarquable de justesse, mais aussi et surtout Walter/Mel Gibson. L'Australien se livre entier dans une prestation magistrale, habitée, d'une certaine façon séduisante en même temps que troublante. C'est peut-être bien parce qu'après avoir vu sa cote décliner du fait de quelques frasques médiatico-judiciaires, il en a puisé la force au fond de lui-même.

Le complexe du castor
Film américain de Jodie Foster (2011)
Sur le plan émotionnel, seule la toute fin du long-métrage m'a paru un peu en deçà du reste. Paradoxalement, dirais-je, c'est son côté relativement convenu qui me laisse songer que le film aurait pu être encore meilleur. Cela dit, tel quel, il est à la fois original, bien joué et plutôt bien réalisé également. Sur un thème, je dois l'admettre, sensiblement différent, je le comparerais à Brothers, autre oeuvre récente où un homme traumatisé peine à reprendre le cours ordinaire de sa vie, "comme avant". Ce que j'ai aimé ici, c'est aussi de revoir Mel Gibson au sommet de son art. Vivement la prochaine occasion !

jeudi 4 août 2011

Flim clute

Une chronique de Martin

Pour comprendre le titre de ma chronique sans l'avoir lue complètement, il suffit... de regarder le film dont je souhaitais parler aujourd'hui: La classe américaine (le grand détournement).

Et pour cela, il faut être assez chanceux pour avoir déniché une copie de cet incroyable projet. Sorti sur Canal+ il y a déjà dix-huit ans, cette production ne ressemble à aucune autre. Ou plutôt si ! L'explication: le principe retenu pour la création a été de reprendre des petits bouts de grands classiques, d'en ôter la bande-son originale et de convier les doubleurs à venir plaquer sur les images un autre texte. Farfelu, mais finalement assez efficace sur la durée.

Jamais diffusé en DVD, encore moins sorti en salles, La classe américaine (le grand détournement) raconte bien une histoire: celle de George Abitbol, qu'on présente comme l'homme le plus classe du monde, et des journalistes qui enquêtent sur sa disparition soudaine. Avant de passer de vie à trépas, l'intéressé a en effet lancé un "Monde de merde !" qui ne correspond guère à son statut. Pour écrire sa nécrologie, il s'agit donc pour Dave, Peter et Steven d'apprendre pourquoi il a dit ça et, dans ce but pour le moins fantasque, on nous embarque dans un incroyable tour de manège avec John Wayne, Robert Redford, Dustin Hoffman, Charles Bronson, Henry Fonda et pléthore d'autres stars du cinéma hollywoodien. L'unique monstre sacré qui manque à l'appel, c'est Clint Eastwood. D'après ce que j'ai lu, ses droits étaient beaucoup trop protégés...

Quoiqu'il en soit, donc, et malgré ses visages connus, le film part dans une direction copieusement éloignée des standards. L'exercice de style tourne à la grande pantalonnade et je dirais que le résultat est à voir au moins une fois au milieu d'oeuvres plus sérieuses. Parce que La classe américaine (le grand détournement) peut se lire aussi comme un hommage aux oeuvres qu'il retravaille à sa sauce. Réparties sur toute la durée du métrage, il doit bien y en avoir cinquante, voire plus, et il faut être un cinéphile rudement chevronné pour en reconnaître ne serait-ce que la moitié. Humblement, j'avoue mon inculture crasse en la matière, à de très rares exceptions près, mais je suppose que je rigolerai bien le jour où je reconnaîtrai enfin les comparses de George Abitbol derrière les personnages ordinaires des innombrables classiques générés par le septième art américain.

La classe américaine (le grand détournement)
Téléfilm français de M. Hazanavicius et D. Mézerette (1993)
Pas toujours d'un goût très sûr, ce film - ou ce flim - doit être regardé au millième degré. Il y a quand même de quoi être baba devant le travail de remontage effectué, avec une attention particulière portée au son des voix dont certains éditeurs feraient bien de tirer leçon. Précision pour ceux qui l'ignoreraient: l'initiateur du projet, Michel Hazanavicius, est celui qui a offert à Jean Dujardin son rôle dans les deux OSS 117, mais aussi celui qui lui a permis d'obtenir un Prix d'interprétation cannois grâce à The artist. Logiquement, je devrais donc en reparler d'ici la fin de l'année.

mardi 2 août 2011

La vie des flics

Une chronique de Martin

J'ignore si ce sera encore le cas au moment où vous lirez ces lignes, mais quand je les écris, le nouveau film de Frédéric Schoendoerffer est toujours au cinéma. Encouragé par l'ami Philippe, je me suis penché sur le premier à l'occasion de son passage sur Arte. Scènes de crimes est un polar qui m'a bien plu, en dépit de quelques ellipses que d'aucuns pourront trouver fâcheuses. Le scénario suit l'enquête de deux flics, joués par André Dussollier et Charles Berling, chargés d'abord de retrouver une jeune femme disparue. Les voilà à la chasse au tueur, mais sans cadavre. Sordide et banale affaire criminelle.

Sauf que, justement, Scènes de crimes est pour moi autre chose que le récit linéaire d'une investigation policière. Je vous dirais même que l'intérêt du film ne réside pas vraiment dans la résolution de l'énigme, mais dans le fait, parfois troublant, qu'il tourne de près autour des personnages. En fait, à mes yeux, le fin mot de l'histoire est vite devenu un enjeu secondaire: j'ai eu la très nette impression que ce qui intéressait Frédéric Schoendoerffer, fils de Pierre, c'était de raconter comment on vit dans la peau d'un flic. Les deux "héros" de son histoire ne sont jamais que des types ordinaires, chargés d'une mission pour laquelle ils progressent sans grande conviction.

Selon moi, c'est exactement ce détachement dont ils font preuve parfois qui les rend intéressants. Le film montre aussi leur vie privée et ce n'est pas très enthousiasmant. L'un va être papa, perspective qu'on peut juger épanouissante, mais, en mission, recourt parfois aux services d'une prostituée. L'autre, mal aimé par sa femme, s'accroche vaguement à sa fille, tout en sombrant dans l'alcoolisme mondain. Scènes de crimes ne brille pas, mais s'illustre néanmoins par une certaine radicalité de traitement à laquelle je suis sensible. Puisqu'il y a aussi un assassin dans cette histoire, vous serez fixés finalement sur son identité et l'étendue de ses crimes. À vous de voir maintenant ce que vous attendez très précisément d'un polar.

Scènes de crimes
Film français de Frédéric Schoendoerffer (2000)
Pas aussi estimé que son père, le jeune réalisateur nous propose ici une première oeuvre efficace, qui fut d'ailleurs candidate au César du meilleur premier film - sans l'obtenir toutefois. J'aime vraiment cette crudité dans le traitement des affaires de police, une qualité que j'avais déjà relevée dans le récent Coup d'éclat de José Alcala. Sous un autre angle, on peut également en trouver quelques traces dans Garde à vue de Claude Miller, voire peut-être Le cercle rouge de Jean-Pierre Melville. À des degrés divers, j'aime tous ces films. La preuve sans doute qu'au-delà des oeuvres, j'aime en fait le genre.