Courts ou longs, les divers films algériens que je vous ai présentés depuis le 23 juin ont tous une caractéristique commune: ils mettent en scène un même acteur, Nabil Asli, 32 ans. J'ai vraiment apprécié sa prestation dans Le repenti. J'ai donc fait une recherche Internet complémentaire pour mieux le connaître et j'ai trouvé... une adresse mail où lui écrire. Nabil a rapidement accepté l'idée d'une interview. C'est lui qui m'a permis de voir Harragas et les deux courts-métrages chroniqués mardi. Je le remercie pour tout et lui laisse la parole...
Comment êtes-vous devenu acteur de cinéma ?
J'ai commencé dans le mouvement associatif. J'ai d'abord fait du sport, avant de dévier pour rejoindre le mouvement scout algérien. C'est là que j'ai appris le théâtre et la musique. Après ça, des amis et moi avons fondé une association dans ma ville natale, une petite cité côtière à 30 km d'Alger. Cela n'a finalement pas abouti: nous n'étions pas assez formés. Deux ans plus tard, j'ai rejoint une autre association, mieux connue dans le monde du théâtre amateur. J'ai fait trois spectacles en deux ans avec eux et j'ai décidé de faire une vraie carrière professionnelle. En 2002, j'ai donc rejoint l'Institut supérieur des arts dramatiques, à Alger.
Comment se sont passées ces études ?
J'ai fait une formation de quatre ans. J'ai pu travailler au Théâtre national d'Alger, comme stagiaire, et faire quelques spectacles avec eux. Il n'y avait pas tellement de possibilités d'accéder au cinéma, peu de castings organisés, mais je m'en moquais un peu, à l'époque. Je continuais à faire du théâtre, des adaptations, un peu de one-man-show également... jusqu'en 2007. Je joue alors dans un petit théâtre appartenant à Adila Bendimered, celle qui joue la femme, dans
Le repenti. C'est là que Merzak Allouache me découvre. Il a pris mes coordonnées et, tout de suite après, on a tourné
Harragas.
C'est donc votre premier film ?
Mon premier long-métrage. Juste après, je fais un court-métrage avec Khaled Benaissa, qui joue aussi dans
Le repenti et est également metteur en scène:
Ils se sont tus. Tout s'enchaîne: les deux courts-métrages que vous avez vus, un autre long avec Merzak Allouache,
Normal !, sélectionné dans de nombreux festivals. En parallèle, je faisais toujours du théâtre et maintenant, j'anime également une émission sur une chaîne télé privée. Un peu dans le style du
Jamel Comedy Club...
Du stand-up, donc...
Voilà, c'est ça. Je continue donc à faire du théâtre, une émission télé avec des éléments bien choisis et du cinéma. Pour l'un de mes derniers films, j'ai travaillé avec Amor Hakkar, un autre cinéaste algérien vivant en France, qui avait notamment réalisé
La maison jaune et
Quelques jours de répit. Son nouveau long-métrage est actuellement en cours de montage à Paris. Et j'ai un petit rôle également dans le prochain film de Merzak Allouache,
Les terrasses. J'aime surtout les films à petit budget, intimes, avec une équipe réduite. Je préfère le cinéma d'auteur aux grosses productions.
Les films que j'ai vus et dans lesquels vous jouez évoquent tous l'histoire de votre pays. C'est important pour vous ?
Oui, très. C'est presque le cas à chaque fois. Un film, pour moi, c'est comme écrire un roman. C'est raconter des histoires.
Dans les courts-métrages, je vous ai trouvé "caractérisé", "typé". Dans les longs, vous êtes un peu plus ambigu: on ne sait pas vraiment ce qu'on doit penser de vous. Qui est le vrai Nabil ?
À vous de voir: c'est votre rôle de journaliste. Les choses sont simples, pour moi: ce ne sont que des rôles. Un rôle, ce n'est jamais qu'un détail dans un film. C'est le film qui apporte une vision, une approche ou des messages dont les rôles ne sont que des éléments. De mon côté, ce que j'essaye de faire, c'est de ne pas faire la même chose à chaque fois, de ne pas tomber dans le stéréotype, ce qui est pour moi le pire ennemi d'un acteur. Dans la comédie comme dans le drame, j'essaye de choisir ce que j'appellerai un rôle de composition. Là où j'ai une expérience de jeu, quelque chose à exprimer vraiment. Premier rôle ou non, je veux simplement pratiquer mon métier.
Vos personnages ont souvent plusieurs facettes. Il doit être agréable de les jouer...
Oui. Si vous posez la question à Al Pacino, il vous répondra la même chose. C'est justement ce qui donne un espace de jeu à l'acteur. Pour moi, jouer est bien plus important qu'apparaître simplement dans le film.
Le repenti est un film particulier: c'est le rôle le plus important que j'ai joué jusqu'à présent. C'est aussi le plus dur.
J'ai remarqué que vous jouez des personnages susceptibles d'avoir existé et qui seraient d'ailleurs toujours vivants aujourd'hui...
Tout à fait. Dans
Le repenti, je parle de ceux qui avaient 23-24 ans en 2001 ou 2002. J'ai vécu cette histoire, mais j'étais alors à peine ado. Le film est donc pour moi un voyage dans le temps. J'ai pleuré la première fois que j'ai lu le scénario. Je me suis rendu compte à quel point nous avions souffert, à quel point la génération des années 90 est sacrifiée. Pour travailler sur mon personnage, je me suis senti obligé de faire un régime: j'ai perdu huit kilos en un mois. Je ne mangeais plus qu'une fois par jour et je faisais beaucoup de sport. Le soir, je regardais tous les documentaires sur le sujet. Je me suis aperçu que ces gens-là étaient normaux, physiquement parlant, alors qu'à l'époque, on les voyait parfois comme des dieux grecs. Certains n'ont même pas la barbe ! C'est dans leur tête qu'il se passait des choses bizarres. Il ne fallait pas que je tombe dans le cliché.
Dans votre façon de le jouer, on peut voir Rachid comme un gamin dépassé par les événements...
J'ai compris que c'était aussi un innocent, quelque part. Il a été manipulé. Il a vu des massacres et se décide d'entamer une nouvelle vie. Il fuit, donc. Comme il n'a pas d'argent pour quitter le pays, sa seule solution est de prendre celui du couple qu'il rencontre. C'est juste pour lui un prétexte pour partir et oublier le passé. À aucun moment de sa vie, il n'a pris la moindre décision. Il y a donc effectivement une ambiguïté en lui: beaucoup de repentis sont revenus chez eux sans qu'on sache vraiment ce qu'ils avaient fait. Rachid a peur de ses anciens collègues et il est rejeté par la société. J'ai joué là-dessus pour montrer qu'il subissait encore une influence du maquis et qu'il se comportait parfois presque comme un animal.
Vous nous emmenez tout de suite dans cette histoire...
Quand j'ai lu le scénario, je me suis dit que ce serait un rôle très dur. On avait juste deux mois pour faire le film, un de préparation et un autre de tournage. On a travaillé dans une zone à 500-600 km d'Alger, la plus froide de tout le pays. On a souffert mais je crois que ç'a servi le film. Pendant tout le tournage, je ne parlais presque pas: je voulais entrer dans la peau du personnage. Ça valait vraiment le coup !
Il y a cette première scène, spectaculaire, où vous courez tout seul dans la montagne enneigée. Vous avez dû peiner...
Les premiers jours, j'étais mort de froid, mais quelque part, content aussi. Mon visage était presque bleu. Parfois, il arrivait que je mette mes mains dans la neige pour qu'on voie que je souffre. Même le réalisateur m'incitait à manger ! C'était vraiment une belle expérience. Cela m'a touché de pouvoir parler de cette période noire. À l'époque, je ne pouvais pas participer, donner ma vision des choses. Pour moi, le film est un hommage à toute cette génération.
Du coup, sans excuser les terroristes, est-ce que vous pardonnez l'attitude de votre personnage ?
Non. Cela dit, ce que je voulais faire, ce n'est pas condamner, mais simplement raconter une histoire liée à ce personnage. Parler de cette génération. C'est tout. Il ne s'agissait pas de dire qu'il restait quelque chose de bon en lui, ni d'ailleurs de dire le contraire. Il n'y a pas un cas unique de terroriste. Rachid est un cas parmi d'autres.
J'en viens à Harragas. Votre personnage est cette fois le narrateur et, là aussi, on sent en lui un peu d’ambiguïté...
Il représente une partie de cette jeunesse perdue, partie à la recherche d'un monde merveilleux. Il n'a pas d'espoir et veut à tout prix changer de vie. C'est vrai qu'on me pose à chaque fois la question: suis-je pour ou contre ? Je ne suis ni pour ni contre, en fait. Chacun doit faire son travail. Si la France ou l'Europe délivrait davantage de visas, personne ne voudrait forcément y émigrer. Il y a aussi de jeunes Algériens qui ont étudié et veulent venir en France simplement pour visiter...
Dans le film, la réalité complexe de l'émigration est présentée sous son jour le plus tragique...
C'est vrai. Des personnages meurent. Cela dit, il y a d'autres dont on ne connaît pas exactement le sort. Le film reflète bien la vision du réalisateur: il voulait juste raconter une histoire. C'est ça, notre but. Nous ne sommes pas là pour donner des solutions. On ne changera pas le monde avec un film...
Un mot sur vos projets ? Quelles seraient désormais les histoires que vous aimeriez raconter ?
J'ai eu des propositions que j'ai refusées. Il y a aussi ce film tourné avec Amor Hakkar, une belle histoire d'amour autour d'un couple marié dont l'homme est stérile. C'est encore un peu un tabou de parler de la virilité, même en Europe. Ce film, c'est complètement autre chose. À côté de ça, j'écris pour le théâtre et j'ai mon émission chaque semaine. Pour le cinéma, je préfère attendre...
Y a-t-il un rôle qui vous fasse rêver ?
Franchement, non. Je crois également qu'il y a des rôles qu'un acteur ne peut pas jouer, par manque d'expérience par exemple. Sincèrement, si je pouvais, je voudrais jouer tous les rôles, dans tous les styles et tous les genres.
Comment se porte le cinéma, dans votre pays ?
Il en existe de deux sortes. Il y a celui qui est financé par l'État et qui a donc l'argent pour faire des films. Il y a aussi une génération de nouveaux réalisateurs algériens, comme celui de
Mon frère ou celui de
Demain, Alger ? Ce sont de jeunes cinéastes. L'Algérie produit très peu de films par an, six ou sept, je ne sais pas exactement. Il y a toutefois une société à Alger, Thala Productions, qui a permis de créer plusieurs courts-métrages. Ce genre d'initiatives existe. D'autres cinéastes acquièrent de l'expérience en effectuant des stages en France ou ailleurs. Le problème, c'est qu'il n'y a plus beaucoup de salles de cinéma, même pas un marché du film... il y a vraiment eu une rupture lors des années noires. Il reste tout un travail à faire !
Il existe tout de même un certain dynamisme, donc...
Les jeunes cinéastes ont compris: ils font des coproductions. Aujourd'hui, plus personne ne fait un film avec son propre argent.
Quelle vision avez-vous du cinéma français ? Le repenti a été présenté à Cannes...
Il a été très bien reçu là-bas. On a eu trois projections: les salles étaient pleines. On a vraiment fait le buzz ! Après, compte tenu de l'énorme concurrence qui existe en France, je me demande si les Français ont envie de voir ce genre d'histoires. Pour moi, c'est important que le film puisse marcher en salles. Longtemps, vis-à-vis des Européens, les Algériens étaient considérés comme des terroristes. Dès que nous débarquions en France, nous étions placés sur des listes noires.
Le repenti montre ce que nous avons subi: c'est important de montrer ce qui s'est passé, à quel point nous avons pu être menacés par l'intégrisme. À cette époque, nous étions isolés...
Faire du cinéma hors de votre pays, ça vous intéresserait ?
Oui, mais il faudrait d'abord trouver un bon rôle. Je ne veux pas être l'arabe de service. Dans les films français, les Arabes, ils sont souvent moches, ils ne parlent pas bien... c'est un peu comme les Français dans les films américains. Je n'aime pas trop ces clichés. Si j'ai l'occasion de faire un film français, italien ou espagnol, je serais heureux, bien sûr, mais ce n'est pas le seul critère, en fait.
Et passer derrière la caméra, ça pourrait vous tenter ?
Pas trop: je ne maîtrise pas la technique. J'aime écrire, en revanche. Je lis actuellement un livre sur comment structurer un scénario. Au cours de ma formation d'acteur, j'ai étudié la dramaturgie. Je pense vraiment être beaucoup plus proche de l'écriture que de la réalisation.