samedi 26 février 2011

Hommes, dieux, Césars...

Une chronique de Martin

Le premier constat que j'ai fait à l'annonce des nommés aux Césars 2011, c'est que j'en ai vu beaucoup. Il y avait même, souvenez-vous, huit films français sur douze dans mon panthéon cinéma personnel millésime 2010. On en retrouve dans la liste des compressions dorées les plus convoitées des professionnels de la profession. Et présidée par l'incroyable Jodie Foster, que l'Académie ait choisi Des hommes et des dieux comme meilleur film de l'année écoulée me fait bigrement plaisir ! Ceux qui regrettent l'élitisme des palmarès passés peuvent constater deux choses: 1) le travail ici de Xavier Beauvois est certes également d'un grand classicisme, tant dans sa forme d'ailleurs que dans son propos, mais 2) le long-métrage a été, fort d'un peu plus de 3 millions d'entrées à ce jour, un grand succès public. Hier soir, les moines de Tibhirine qui l'ont inspiré étaient peut-être un peu moins loin des coeurs. Et c'est très bien ainsi !

J'aime autant vous prévenir: je vais être ici assez bavard. Précision donc pour ceux qui n'ont pas envie de tout lire: le palmarès complet de cette édition 2011 est également publié dans la rubrique dédiée.

Vous allez le comprendre si vous ne le savez déjà: ce palmarès 2011 des Césars est très dispersé. Il y a bien quelques grands gagnants, mais aucun film pour truster l'essentiel des récompenses. Hier soir, Antoine de Caunes indiquait avec humour que c'était peut-être parce que Jacques Audiard n'avait rien sorti dans le courant de l'année. Rappelons qu'en 2010, Un prophète avait obtenu... 11 trophées ! C'est vrai aussi que l'Académie avait accepté quelques règles nouvelles pour éviter qu'un nombre trop élevé de compressions tombe entre les mêmes mains, en conséquence notamment du "problème" relevé l'année dernière: un seul et même comédien récompensé comme acteur principal et espoir masculin. Bref. Tout ça pour dire que Roman Polanski s'est vu célébré pour sa réalisation dans The ghost writer. Ce n'est assurément pas immérité. Je garde toutefois dans un coin de ma tête la vague impression que le monde du cinéma a tenu à honorer l'un des siens après les déboires judiciaires de ce dernier. Pas de polémique ici, mais j'ai aussi remarqué que l'intéressé n'a pas dit grand-chose, sauf qu'il avait dû finir son film... en prison. Remarquable travail, il faut le reconnaître.

Remarquable, le travail de Sara Forestier dans Le nom des gens l'est tout autant à mes yeux. Hier encore, la jeune comédienne a fait montre d'une étonnante pétulance au moment de monter sur scène recevoir le César de la meilleure actrice. En hommage à ce film original dont elle traverse quelques chapitres totalement nue, elle a parlé de sa petite culotte porte-bonheur et de sa virginité perdue. C'était un peu étrange, mais assez dans l'esprit d'un long-métrage que j'ai personnellement beaucoup aimé l'année dernière. Une oeuvre qui fait du bien à notre conscience citoyenne, ce qui n'est pas inutile. Pour revenir à l'interprétation ici consacrée, je l'ai surtout appréciée pour sa sincérité et son engagement. Que la demoiselle soit si jolie ne fait pas tout, mais renforce évidemment mon plaisir de garçon.

Connaissiez-vous Éric Elmosnino avant qu'il incarne l'homme à la tête de chou ? Moi, non. Qu'il se soit vu offrir le César du meilleur acteur ne me choque absolument pas. Le comédien était certes "avantagé" du fait de sa ressemblance avec son modèle. Mais pour donner réellement une crédibilité à Gainsbourg (vie héroïque), il fallait sûrement bien plus que ça. Du charisme, par exemple, et un travail sur la gestuelle quasi-théâtral. Sur ce double point, le résultat paraît probant. Est-ce que ce sera le rôle d'une vie, laissant apparaître Gainsbarre à chaque nouvelle expression du visage d'Elmosnino ? J'espère bien que non. Il me semble qu'il sera au contraire intéressant de suivre les nouveaux projets du jeune homme, de voir comment, après s'en être si élégamment vêtu, il saura se dépouiller des habits du mythe. Pour lui, le plus dur commence peut-être...

Je dois avouer que j'avais oublié Anne Alvaro. Sa relative discrétion à l'affiche peut partiellement l'expliquer. Cela dit, comme l'Académie, j'avais remarqué sa prestation dans Le bruit des glaçons. L'image montre bien qu'en femme de chambre fidèle d'un homme aigri rongé par le cancer, la comédienne n'a pas la vie facile. C'est sans nul doute le propre de la plupart des rôles féminins de Bertrand Blier. Notons toutefois que, pour une fois, le fils de Bernard ne la joue pas macho jusqu'au bout. Sans trop dévoiler ici les tenants de ce drôle de film malade, le réalisateur a su s'adoucir avec le temps, ce qui lui a permis de renouer avec un succès d'estime. Et il faut admettre qu'Anne Alvaro incarne parfaitement les contradictions de ce calme retrouvé: son César du meilleur second rôle féminin me paraît mérité.

Je peux dire la même chose du César du meilleur second rôle masculin attribué à Michael Lonsdale pour son interprétation de Frère Luc dans Des hommes et des dieux. Un petit bémol, voulez-vous ? Dans le film, nommé lui aussi pour la compression, Olivier Rabourdin m'a encore plus touché que son aîné. Gageons que cette récompense tardive honore aussi un vieux monsieur - 80 ans - et une carrière. Dans les faits, ce n'est assurément pas volé. J'ai beaucoup aimé la distinction avec laquelle Lonsdale est allé ceindre la couronne. Comme si son César était vivant, il a ouvert son (beau) discours avec un très émouvant: "Te voilà enfin, petit coquin ! Mieux vaut tard que jamais". D'un franc sourire, il a aussi dit qu'il avait été récemment présenté comme... Michael Jackson, ne cachant pas l'amusement que ça lui avait procuré. Il a aussi expliqué être devenu acteur pour être autre chose que Michael Lonsdale. Il mérite amplement les louanges qui lui sont faites aujourd'hui, et notamment pour la remarquable scène dont est extraite la photo que j'ai choisie.

D'une génération à l'autre: c'est Leïla Bekhti que l'Académie a retenue pour le César du meilleur espoir féminin. Tout ce qui brille - le film qui la consacre - n'est sûrement pas un chef d'oeuvre. Pour autant, j'en suis sorti avec le sourire aux lèvres. La naïveté de son propos m'a fait du bien: elle m'a mis du baume au coeur et, à l'époque, permis de mieux endurer notre monde, à l'évidence franchement plus brutal. Que voulez-vous ? C'est mon côté coeur tendre. De voir ainsi deux copines s'aimer, se disputer et finalement se rabibocher envers et contre tout, ça m'a touché, oui, j'ose l'écrire. Et Leïla Bekhti y est évidemment pour quelque chose, de par son étonnante spontanéité. Hier soir, sur la scène, elle était sans doute l'une des plus émues. Instable, sa robe ne l'aidait visiblement pas beaucoup à garder contenance, mais sa petite voix trahissait une vraie surprise doublée de fierté. Je lui souhaite d'autres expériences aussi bouleversantes.

Même chose pour Edgar Ramirez. Le problème, c'est que je suis incapable de vous parler de Carlos, parce que je ne l'ai pas vu. Notez toutefois que, même s'il est sorti en salles obscures, ce projet d'Olivier Assayas sur le plus célèbre terroriste des années 70-80 était d'abord destiné à la télévision - et que c'est même un format court qui a été diffusé au cinéma. Bref. Je suis vraiment en peine de dire quelque chose de constructif, sachant que je ne connais pas davantage le jeune acteur récompensé du César du meilleur espoir masculin. Ce que j'en sais, c'est qu'il est vénézuélien (avec accent), qu'il a 33 ans et qu'il a également tourné dans le Che de Soderbergh ou encore dans La vengeance dans la peau (Greengrass). Je vais désormais tâcher de suivre ses projets. Je n'en vois pas encore.

En attendant, je reviens une seconde sur Gainsbourg (vie héroïque) pour vous dire qu'il a obtenu hier deux autres récompenses: le César de la meilleure première oeuvre et celui du son. Pour commencer avec la première catégorie, j'avoue que, tant qu'à disséminer ainsi les Césars, j'aurais offert celui-là à Pascal Chaumeil (L'arnacoeur). Pour la seconde, mes souvenirs trop flous et mes compétences techniques de toute façon tout à fait insuffisantes m'interdisent d'avoir un avis définitif. J'ai juste l'impression d'une certaine facilité, mais n'oublie pas qu'il y avait 3.287 votants. Donc, un panel a priori assez représentatif des grands professionnels du septième art.

Là où je n'ai pas besoin de connaissances, c'est pour me réjouir aussi que Le nom des gens ait obtenu le César du meilleur scénario original. La joie un peu folle du couple Baya Kasmi/Michel Leclerc faisait plaisir à voir. J'ai réellement découvert deux cinéastes attachants cette année et j'espère que leurs prochains projets sauront nous offrir d'autres bons moments de cinéma. En attendant, un peu avant la cérémonie, j'ai remarqué le travail de Michel Leclerc sous un autre angle: celui de reportages décalés, sur la fabrication des pâtes alphabet ou les rayures rouges du dentifrice. Il y a aussi une dose de poésie dans toute cette diversité, ce que Sara Forestier et Jacques Gamblin ont, selon moi, parfaitement incarné à l'écran.

Si The ghost writer est un succès esthétique, critique et public, c'est aussi, d'après l'Académie, pour la manière dont il est parvenu à retranscrire le roman orignal de Robert Harris, L'homme de l'ombre. Pas bégueule, Roman Polanski l'a reconnu et promis qu'il offrirait donc au romancier ce César à leurs deux noms: celui qui vient désigner la meilleure adaptation. Très applaudi, le maître du suspense voit ses équipes également récompensées de deux Césars techniques, pour le montage (Hervé de Luze) et la musique (Alexandre Desplat). C'est à mes yeux et oreilles doublement mérité.

Pour tourner la page des Césars techniques, vous noterez finalement que Des hommes et des dieux complète sa belle collection dorée grâce à l'impeccable photo de Caroline Champetier.

Très beau film sur l'ère des Valois, La princesse de Montpensier, lui, aurait pu être récompensé pour avoir si majestueusement adapté la nouvelle de la comtesse de La Fayette. En coulisses, le travail qu'a accompli Caroline de Vivaise me semble toutefois largement mériter son César des meilleurs costumes. Pas la moindre faute de goût.

Même constat d'ailleurs pour celui d'Hugues Tissandier: même s'il est clair que Les aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec n'est pas un chef d'oeuvre, les décors du Paris et de l'Égypte des années 1900 qu'il donne à voir sont effectivement tout à fait réussis.

Vous êtes encore là ? Bravo et merci ! Vous avez déjà lu le plus gros. Le chapitre technique passé, il me reste quelques films et stars récompensés hier. Poursuivez donc sauf, bien sûr, si vous préférez désormais consulter le listing déjà publié dans la rubrique dédiée.

C'est avec une petite ironie qu'Antoine de Caunes a fait remarquer qu'on remettait hier le premier César du film d'animation. Je suis très heureux que l'Académie ait choisi le film de Sylvain Chomet, L'illusionniste. Cette fresque assez nostalgique d'un temps révolu est une merveille de dessin animé, mais aussi un vibrant hommage aux artistes. Et le cinéma, dans tout ça ? Il n'est pas écarté. Souvenez-vous que le film donne enfin vie à un vieux scénario oublié de Jacques Tati, histoire que l'homme à la pipe n'avait pas osé tourner lui-même. Son fantôme plane encore et c'est juste beau.

Beau, Océans l'est aussi, dans un tout autre genre. Si le César 2011 du meilleur documentaire reste dans ma mémoire depuis maintenant un an, c'est aussi parce que j'ai eu l'immense privilège d'interviewer longuement l'un de ses auteurs: Jacques Cluzaud. C'est lui qui est venu hier recevoir la récompense de ce travail de titan, représentant son complice, Jacques Perrin, et l'ensemble des équipes techniques liées à cet incroyable projet. Je note que c'est l'un des deux moments de la soirée où quelqu'un a parlé - brièvement, mais avec distinction - du statut des intermittents du spectacle. Et je dis bravo !

Après Carlos, pardon de faire aussi l'impasse sur Logorama, César du meilleur court-métrage. Ce petit film d'animation de 22 minutes m'intrigue: le discours de ses créateurs sur leurs inquiétudes à avoir utilisé le symbole des marques sans leur consentement titille vraiment ma curiosité. Il se peut donc que j'en reparle un jour prochain, quand j'aurais réussi à poser un oeil dessus. Patience...

En attendant, je vous encourage à revoir The social network, César du meilleur film étranger. C'est je crois d'extrême justesse qu'il est sorti de mon "top ten 2010". Une fois encore, le travail du réalisateur David Fincher fait merveille, tant dans l'intelligence du propos exprimé que dans les images ainsi produites. Écrire un long-métrage sur Facebook aurait pu s'avérer délicat, parce qu'un peu prématuré. Mais non: Fincher signe une oeuvre d'une grande maturité. On est ici bien loin du langage SMS qui fleurit trop souvent sur la toile.

Il ne me reste plus qu'à parler des deux autres stars américaines mises en lumière. Quentin Tarantino, d'abord, qui a reçu un César d'honneur. Je me dois d'être honnête: autant je le trouve régulièrement, dans ses films et dans ses postures, outrageusement cabot, autant je l'ai jugé cette fois d'une sobriété remarquable. J'ajoute à cela qu'à la toute fin de son discours, quand il s'est écrié "Vive le cinéma !", on a retrouvé le QT un peu fou que je sais aussi apprécier. Pour enjoliver tout ça, je tiens aussi à me souvenir que Jodie Foster fut une parfaite présidente de l'Académie. Une idée de la distinction: la plus francophone des actrices US a encore fait montre d'une classe folle et d'une modestie à toute épreuve. Elle a dit quelques minutes avant la cérémonie qu'on verrait bientôt débarquer son premier film de réalisatrice, Le castor, où elle jouera aux côtés de son vieil ami Mel Gibson. J'ai hâte de la revoir à l'écran, là-dedans ou, pourquoi pas ? devant la caméra d'un cinéaste français.

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