samedi 31 mai 2025

L'enfant caché

Il me semble que nous la connaissons avant tout sous sa désignation allemande: la petite ville ukrainienne de Czernowitz a été réinventée en Hongrie pour les besoins du tournage de La chambre de Mariana. Sorti en avril, ce magnifique film adapte le livre éponyme d'un auteur israélien, Aharon Appelfeld (1932-2018). Que j'ai aussi envie de lire...

Hiver 1942. Sous l'occupation nazie, une femme juive sait sa famille menacée. Une nuit, elle traverse le ghetto en passant par les égouts afin de confier son petit garçon à une amie, devenue une prostituée. Il était une fée... Hugo vient d'avoir douze ans. Il (sur)vivra enfermé dans un simple réduit de la maison close où travaille sa bienfaitrice. Lumineuse Mélanie Thierry ! La comédienne s'est tellement investie dans le projet qu'elle a pris, deux ans durant, des cours d'ukrainien. Au sein de la troupe, elle était en fait la seule à avoir la nationalité française. Elle s'est dès lors fondue dans la peau de son personnage. Quand on lui décernera quelque laurier, ses divers partenaires de jeu mériteront, eux aussi, des éloges. L'enfant, Artem Kyryk, a été choisi au terme d'un très long processus de sélection. Vous pourrez noter que les travaux préparatoires du film avaient débuté avant l'attaque russe sur l'Ukraine (rappel: c'était tôt, le matin du 24 février 2022). La performance de ce très jeune homme n'en est que plus admirable ! Pas étonnant, en tout cas, de se sentir "secoué" du côté émotionnel...

Remarquable sur le fond, La chambre de Mariana l'est également dans la forme. Un temps, j'ai pensé retenir "Une fente dans le mur" comme titre pour cette chronique. Il faut en effet bien comprendre que, le plus souvent, c'est par un interstice de la paroi de sa cache que le gosse observe le monde. Il en perçoit tout juste quelques sons étouffés, qu'il décrypte vaguement quand il ne ferme pas les yeux pour mieux se blottir dans son passé. J'ai trouvé certaines séquences très belles, lorsque, par exemple, le doux visage de la mère de Hugo réapparait dans l'obscurité. La lumière de moins en moins intense témoigne alors avec efficacité de l'effacement progressif du souvenir et de la confusion qui en découle. Simple précision: le long-métrage ne se déroule pas uniquement à huis-clos, mais je préfère ne rien dire de ce qui se passe à l'extérieur - j'imagine que vous saurez le deviner. Ému à de nombreuses reprises, j'ai beaucoup aimé la dernière scène. J'ajoute qu'évidemment, le film résonne fort avec la terrible actualité de notre monde, en Ukraine ou ailleurs. Il faut aussi le voir pour cela !

La chambre de Mariana
Film français d'Emmanuel Finkiel (2025)

C'est légitimement que le cinéma s'empare de la mémoire collective. Après La douleur en 2018, avec - déjà - une performance remarquée de Mélanie Thierry, le réalisateur s'est appuyé sur des producteurs belges, israéliens, hongrois et portugais pour imager ce nouvel opus. Le résultat: une vision décalée de la Shoah, singulière et puissante. Sur ce sujet, je recommande vivement Le jardin des Finzi Contini...

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Et, comme Hugo, je regarde ailleurs...

Je peux ainsi voir que Pascale a donné un bon écho au film, elle aussi.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Merveilleuse Mélanie Thierry.
Tantôt femme blessée, tantôt enfant joyeuse. Mère protectrice puis...
L'image dans la voiture où elle est derrière l'enfant qu'elle tient fort serré reste la plus forte de ce film pour moi. La protection semble avoir "changé de camp". Bouleversant.
L'enfant est formidable contrairement à ce que j'ai lu parfois.

Anonyme a dit…

Cette image
https://focus.telerama.fr/2025/04/22/0/237/3888/2592/1200/0/60/0/5eccf30_sirius-fs-upload-1-vn5ul76dtvd9-1745311755868-lachambredemariana-photogramme-03434201-00086400.jpg

Martin a dit…

Je suis d'accord avec toi : l'enfant est très bien. Je n'ai pas vu d'erreur de casting.
C'est l'un des films les plus forts que j'ai vus cette année. Et je ne l'avais pas vu venir !

Martin a dit…

Oui, je me souviens parfaitement de cette scène. Elle est particulièrement touchante !
J'ai pensé, un temps, utiliser cette image. Mais je me suis retenu, de peur de divulgâcher...