lundi 18 février 2013

Quelques mots d'Amin Matalqa

Souvenez-vous: le 21 janvier dernier, à l'heure de présenter mon top DVD/télé en 2012, j'avais dit que je reparlerai de Captain Abu Raed. Le moment est venu. Grâce à Internet, je suis effectivement parvenu à entrer en contact avec le réalisateur du film, Amin Matalqa. Jordanien d'origine, Amin vit et travaille aujourd'hui aux États-Unis. C'est un vrai amoureux du septième art en général et du cinéma français en particulier. Voici donc ce qu'il m'a si gentiment raconté...

Je voulais tout d'abord parler de vous. Vous êtes né en Jordanie. Y avez-vous passé votre enfance ?
Oui, j'ai grandi en Jordanie et j'y suis resté jusqu'à l’âge de 13 ans. Ma famille et moi avons ensuite déménagé aux États-Unis. Je vis là-bas depuis 1989. J'ai passé quatorze années dans l’Ohio, avant de me décider à venir à Los Angeles pour faire des films. Je laissais alors derrière moi une carrière orientée business…

Vous retournez quand même en Jordanie, parfois ?
Oui. Ma famille vit toujours là-bas. J'essaye donc au moins d'y aller une fois par an. J'ai également tourné deux longs-métrages là-bas, Captain Abu Raed et The United.

Pourquoi et comment êtes-vous devenu réalisateur de cinéma ?
Toute ma vie, j'ai été obsédé par les films. Je pense que c'était incontournable que j'abandonne mon ancienne vie pour poursuivre mon rêve. En 2003, j'ai lâché une carrière sûre, avec un salaire confortable, dans l'Ohio, pour repartir de zéro en Californie. Juste moi et mes chiens, Cello et Oboe. Trois longs-métrages plus tard, ils sont toujours du voyage avec moi aujourd’hui. Nous avons toutefois un autre partenaire dans l'aventure: ma femme, Claire.

Captain Abu Raed était le premier film que vous réalisiez ?
Le premier long-métrage, en fait. J'avais déjà réalisé 27 courts-métrages auparavant, quand j'étais à l'American Film Institute et même avant.

Pourquoi avoir tourné en Jordanie ?
Parce que c'était l'occasion de faire un film dans un pays dont les longs-métrages ne sortent guère dans le monde.

Comment avez-vous pensé à ce scénario ?
Quand j'ai obtenu la réalisation, j'ai progressivement pensé intéressant de démarrer mon film dans un aéroport. J'ai grandi dans une famille de pilotes: mon frère et mon père le sont tous les deux. Quand nous étions dans l'Ohio, nous vivions juste à côté de l'aéroport. Naturellement, j'ai été fasciné par le vol, moins du point de vue technique, mais plutôt comme d'un rêve. Quand j'étais enfant, nous voyagions tout le temps. Le fait de raconter des histoires et celui de voyager ont toujours fait partie de notre culture familiale. J'ai commencé à écrire le scénario de Captain Abu Raed peu de temps après la mort de mon grand-père. C'était un homme d'une grande humilité. Bien qu'il ait été docteur, éduqué en Europe, quand vous le voyiez dans la rue, il avait toujours cette allure simple et humble. Il a inspiré le personnage de Captain Abu Raed.  Avec aussi une influence de Charlie Chaplin.

Est-ce que c'était facile de faire ce film ?
En fait, à chaque fois que vous réalisez un film, vous avez l'impression d'accomplir un miracle. Après en avoir tourné trois, je peux vous dire que réaliser Captain Abu Raed était plus facile que celui de Disney, The United. Cela dit, c'était clairement une expérience épuisante, un travail intense et difficile pendant deux ans, depuis l'écriture du scénario. Il y a tant de pièces de puzzle à mettre en place ! Le job de réalisateur et de producteur consiste à continuer de créer les opportunités qui font que les étoiles s'aligneront en votre faveur. Avec mes comédiens et techniciens, j'ai eu la chance d'être entouré par des personnes d'un talent incroyable. Ils se sont donnés à 200% pour réaliser ce rêve. Pas d'ego sur le plateau ! Tout le monde faisait tout ce qu'il pouvait pour fabriquer un bon film. J'étais moi aussi bien préparé: j'avais passé ma vie à préparer ce moment de faire un film. Tout s'est mis en place favorablement.

Le film a gagné de nombreuses récompenses. Il a entre autres été le premier film jordanien nommé aux Oscars ! Comment avez-vous vécu ces incroyables moments ?
C'était très gratifiant, surtout quand le film est sorti et que vous pouvez voir des larmes dans les yeux des gens. C'était vraiment une période magique ! Observer le public vous rend accro ! Quand les gens rient, vous vous sentez bien. Quand ils pleurent, vous vous trouvez humble. Le film devient sa propre créature. Le moment est venu pour vous de vous asseoir et de sourire. Les récompenses viennent confirmer le difficile travail de toute l'équipe. Avoir remporté un prix à Sundance fut l'un des plus grands moments de ma vie.

Au cinéma ou sur DVD, quand pourrons-nous voir vos autres films en France ?
Bientôt, j'espère.


Que pouvez-vous en dire ? Est-ce que vous les aimez tous autant ?
The United est un film familial sur le football. Disney m'a embauché pour le diriger: je n'ai pas écrit le scénario. C'est le premier film arabe de Disney ! Le tournage a été difficile, à cause du temps glacial en janvier et de la chorégraphie des mouvements du foot sur un grand terrain. En plus de tout ça, il fallait tourner avec une distribution en partie égyptienne... pendant la révolution ! Nous y sommes parvenus et je pense que c'est un peu un autre miracle. Je suis très content du film et j'espère qu'il sortira cette année. Strangely in love, lui, est ma comédie américaine, inspirée des Nuits blanches de Dostoïevski. J'ai également écrit le scénario et je pense que c'est mon meilleur travail à ce jour. C'était vraiment très agréable. Le film parle du tourment que cause un amour non partagé. Vous y trouverez beaucoup de l'influence de Chaplin et Fellini. C'est un film très européen, bien qu'il se déroule à Los Angeles. Nous y apportons la touche finale actuellement. Il devrait sortir dans le monde cette année, d'abord lors de festivals.

IMDb vous présente comme un grand collectionneur de bandes originales. C'est vrai ?
Oui. Quand j'ai grandi, mes héros étaient aussi bien les compositeurs du cinéma que les réalisateurs. Michael Kamen, Basil Poledouris, Gabriel Yared, John Williams, Jerry Goldsmith, Ennio Morricone, James Newton Howard, Danny Elfman, Bernard Hermann, John Barry, Thomas Newman... la liste continue ! Je vis pour la musique de film ! C'était aussi important pour ma vie que... le chocolat !

Pourquoi la musique est-elle si importante au cinéma ?
Parce que, souvent, elle renforce ce qu'on ressent. C'est la manière la plus directe de se lier aux émotions du public. Cela peut aussi compter comme un élément important dans l'art de faire des films. Tout au long de ma vie, mes films préférés ont toujours été ceux qui s'appuyaient sur la musique: E.T. l'extra-terrestre, Superman, Lawrence d'Arabie, Cinema Paradiso, Les lumières de la ville. Essayez seulement d'imaginer ces films sans musique ou même avec une mauvaise musique ! Ils ne seraient pas les classiques qu'ils sont devenus. Je crois vraiment que les grands films savent comment marier l'image et la musique pour améliorer ou contextualiser ce qui est joué. Il y a quelques films qui marchent incroyablement bien sans musique, comme cette année Amour, par exemple. Mais les films que j'aime sont ce qui associent l'ensemble: une grande photographie, de grandes interprétations, une grande histoire et une grande musique.

Y a-t-il d'autres réalisateurs que vous admirez ?
Oui. Spielberg pour son regard, large, magique, merveilleux, et son travail à la caméra. Scorsese pour la manière dont il se sert de la caméra et son travail avec des acteurs majeurs. Chaplin pour son humanité, qui me fait simultanément rire et pleurer. Lean pour sa capacité à capter l'épique et l'intime dans un seul et même film. Hitchcock pour le suspense et la précision. Kurosawa pour la manière dont il compose ses images. Danny Boyle pour le côté viscéral et l'énergie de ses films. Les frères Coen pour leur énergie également, mais aussi la bizarrerie excentrique de leur cinéma, ainsi que son absurdité - ils sont sans doute les meilleurs spécialistes de l'absurde aujourd'hui. Je citerais également Milan Forman, pour la puissance brute de ses films: jalousie, désir et convoitise d'Amadeus, lutte contre le pouvoir et héroïsme de Vol au-dessus d'un nid de coucou. Lasse Hallström, Guiseppe Tornatore et François Truffaut pour avoir su si joliment saisir l'enfance dans Ma vie de chien, Cinema Paradiso et Les 400 coups. Sans oublier Oliver Stone pour sa technique cinématographique et sa parole politique dans JFK.

Quels sont les derniers bons films que vous avez découverts ?

2012 a été une incroyable année de cinéma. J'ai particulièrement aimé Django unchained, Le monde de Charlie et Rango, qui était sorti en 2011.

Et le cinéma français, vous le connaissez ? Vous l'aimez ?
Oui, beaucoup. Au fond de mon coeur, je rêve de vivre à Paris et j'ai d'ailleurs vraiment inclus Paris dans mes trois longs-métrages. Dans Captain Abu Raed et Strangely in love, les personnages espèrent aller à Paris. Dans The United, l'équipe de football joue vraiment sa finale à Paris ! Du coup, quand je regarde des films français, je rêve d'un voyage dans ma ville préférée au monde ! J'adore Les 400 coups et La nuit américaine de Truffaut, Coup de torchon de Tavernier, Les parapluies de Cherbourg, Le fabuleux destin d'Amélie Poulain, L'armée des ombres (Melville), La haine (Kassovitz)... et également des films plus commerciaux comme Hors de prix avec Audrey Tautou et À la folie... pas du tout. Enfin, j'aime également le film d'animation, Les triplettes de Belleville.

Croyez-vous possible que d'autres films jordaniens apparaissent un jour ou l'autre ?

Quelques petits films éducatifs sont tournés chaque année, maintenant. Espérons qu'ils vont s'améliorer au fil de l'expérience. J'ai entendu de bonnes choses à propos de When Mona Lisa smiled. C'est une comédie romantique.

À quoi rêvez-vous désormais ?

J'écris un film ! Inspiré par Don Quichotte, il parle d'un homme qui croit être Ludwig van Beethoven. C'est mon autre obsession.

Et si vous pouviez rencontrer quelqu'un en particulier dans toute l'industrie du cinéma mondial, qui choisiriez-vous ?
Steven Spielberg. Depuis l'enfance, il a toujours influencé mon amour pour le cinéma.

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