jeudi 21 mai 2020

Abandonnée

La trilogie marseillaise de Pagnol, épisode 2 ! L'ouverture de Fanny correspond exactement à la conclusion du film précédent. Mon titre dévoile ce qu'il advient de la vendeuse de coquillages, laissée à terre par le garçon qu'elle aime, parti mesurer les fonds de l'Océan Indien sans même en avoir eu la décence d'en aviser son père. Déjà si loin...

Ce deuxième film est également l'adaptation d'une pièce de théâtre éponyme, écrite tout juste quelques mois auparavant. Le succès populaire fut immédiat et même plus fort que celui du premier volet. Quelques critiques professionnels - nostalgiques des grandes heures du cinéma muet - firent la fine bouche, mais Pagnol fut aussi défendu par quelques grands noms, à commencer par un certain Jean Renoir, qui avait pour sa part une douzaine de longs-métrages derrière lui. Mon avis ? Fanny est encore meilleur que Marius. Les personnages dessinés et les enjeux clarifiés, la suite coule (presque) de source. Sans surprise, la même troupe a été convoquée pour tenir les rôles principaux: une fois de plus, elle nous livre de remarquables numéros d'acteurs, naturellement portés par des dialogues souvent truculents. Bientôt neuf décennies plus tard, ce saisissant portrait de la France méridionale de l'entre-deux-guerres parvient à nous toucher au coeur. J'imagine que la qualité d'écriture de l'oeuvre compte pour beaucoup. Et j'espère pouvoir un jour l'apprécier de nouveau... dans un théâtre !

Retenez-le: c'est un autre homme qui a pris place derrière la caméra. J'ose supposer qu'il n'a pas trop dévié du texte, mais le réalisateur s'autorise quelques apartés urbains, qui viennent joliment renforcer les aspects les plus pittoresques de ce grand beau panorama du Sud. Exemple: après la partie de cartes du premier opus, que la faconde des protagonistes a fait entrer dans la légende, nous sommes conviés cette fois à un jeu de boules, peut-être plus croquignolesque encore. C'est que, dans le Midi, on n'hésite pas à faire s'arrêter un tramway quand un point crucial est en jeu ! Bref... Fanny fleure bon Marseille et c'est un plaisir supplémentaire que d'apercevoir la cité phocéenne au détour d'un plan. Je donne ici une mention particulière à la scène où l'héroïne, accablée par une nouvelle annoncée par son médecin, descend la Canebière à grandes enjambées: un long travelling latéral imprime aussitôt - et durablement - notre rétine de spectateur passif. J'en ai presque oublié que le cinéma parlant était alors une invention récente. Sans attendre, le film, lui, posait des jalons pour l'éternité...

Fanny
Film français de Marc Allégret (1932)

La note quasi-parfaite pour ce grand classique, en fait indémodable ! Assurément, il faut se replonger dans l'époque pour "adhérer" au récit et lui rendre les honneurs qui lui sont dus: le sort de la pauvre Fanny est celui d'une fille de son temps. La société a changé depuis, oui. Vous pourriez faire un constat équivalent avec La fille du puisatier ou Manon des sources, dont j'ai parlé récemment. À voir et à revoir !

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Et si jamais vous souhaitez lire un autre avis...

Vous n'oublierez pas d'aller faire un tour du côté de "L'oeil sur l'écran".

2 commentaires:

  1. Rien à redire.
    Même pas un petit chipotage !
    J'apprécie.
    "Laissée à terre", l'expression est bien choisie.
    Dès que j'ai commencé à te lire, j'ai pensé à cette scène dont tu parles, ce travelling où Fanny marche à fond la caisse. Toujours je suis surprise qu'elle y va bras ballants sans sac à main.
    J'ADORE Orane Demazis et je trouve que son jeu se modernise de scène en scène.
    9 décennies ! C'est fou. Quand on pense que certains films récents vieillissent si mal.

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  2. La scène de la lettre, que j'ai mis en photo, a ma préférence.

    Je suis content de l'avoir revu, ce film, car, généralement, j'entends qu'Orane Demazis n'est pas à la hauteur. J'ai trouvé ça dur, comme remarque, et je trouve comme toi que son jeu paraît de plus en plus moderne. Pierre Fresnay me semble d'ailleurs suivre un peu la même progression. Petit à petit, elle et lui deviennent "dignes" du cinéma parlant, en fait. Je suppose qu'au début, ils avaient plutôt les codes du théâtre et, de toute façon, pas les mêmes choses à jouer qu'un Raimu ou un Charpin.

    Eh oui, le film a su traverser le temps ! La magie des sentiments éternels.

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