Je ne sais pas si vous l'avez vu et écouté, mais Jean-Pierre Marielle était à la télé l'autre jour, interrogé par PPDA pour une rétrospective de sa carrière artistique, théâtre et cinéma. J'aime les acteurs et pas forcément ces séances de confession sur petit écran. Ce n'est pas qu'elles soient inintéressantes. C'est juste que j'ai l'impression parfois que le journaliste traite son invité de manière condescendante, comme si lui, l'hôte de la petite lucarne, devait venir exprimer une dernière fois tout son talent avant de disparaître définitivement, de mourir sans flonflons. J'exagère, c'est vrai: je n'ai pas trouvé l'ex-présentateur du JT doué pour affronter un monstre sacré tel que celui auquel il était jeté en pâture. J'admets bien volontiers qu'à sa place, je n'aurais pas fait le malin. Peut-être aurais-je simplement évité la comparaison bêtasse avec les grands anciens, Raimu, Louis Jouvet ou Michel Simon. Il est bien possible que j'aurais également choisi d'évoquer Tous les matins du monde, film revu quelques jours auparavant. Ce qu'en a dit l'intéressé ? Simplement que c'était pour lui un bon souvenir, sans le porter haut comme un classique instantané. Jean-Pierre Marielle a joué, oui, joue encore et c'est sans doute sa passion. Sa modestie fondamentale nous rappelle à juste titre que c'est aussi son métier.
Il n'en reste pas moins que Tous les matins du monde est pour moi un grand film, à plus d'un titre. Autant en convenir: ce qu'il raconte tient du drame classique. Monsieur de Sainte-Colombe, musicien, compositeur et interprète de grand talent, élève seul ses deux filles après la mort de son épouse. Ses notes font sa gloire à Versailles, où le roi - un certain Louis XIV - demande à les entendre. L'artiste refuse pourtant l'invitation (pressante) du monarque: il s'enferme chez lui, en ses murs et son deuil permanent. Ce qui va venir troubler cette noire harmonie ? Un tout jeune homme, Marin Marais, de basse extraction, armé de la seule intention de faire ses classes auprès du maître. D'abord plus que réticent, ce dernier congédie l'audacieux, avant de finir par lui céder pour complaire à sa cadette. Débute alors une nouvelle vie à quatre, toujours austère ou à peine un peu plus lumineuse. Et, bien sûr, rythmée par la musique, scandée en fait par le son grave de la viole de gambe. Baroque: c'est le ton général, le style des images de ce long-métrage envoûtant, sombre et beau comme l'un des tableaux des anciens peintres flamands.
Assurément, Tous les matins du monde vaut aussi pour ses acteurs. Les "vieux": aux côtés de Jean-Pierre Marielle, un Gérard Depardieu formidable raconte cette histoire qu'il a vécue. Le tout premier plan du film est déjà un hommage au cinéma: en plan fixe, cadré serré sur le visage, le comédien tient une dizaine de minutes et laisse passer une multitude d'émotions. Les jeunes interprètes ne sont pas moins impressionnants. Hier belle Roxane de Cyrano, Anne Brochet n'a qu'un petit rôle, comme un vague reflet assombri, et s'en acquitte à la perfection. Quand à Guillaume Depardieu, le fils de, il incarne ici le jeune temps de son père de manière particulièrement saisissante. C'est, je crois, ce personnage qui l'a révélé. Dans l'habit de l'apprenti musicien comme dans ceux de l'homme de cour, il est tout à fait excellent, convaincant par sa jeunesse même. Avec lui, la France a perdu un grand artiste. Le revoir ici est un délice, comme peut l'être le fait d'admirer à nouveau ce film que j'avais découvert au cinéma, sans alors l'apprécier autant. Le "bon souvenir" mérite d'être partagé. Oeuvre de facture classique, je pense qu'il devrait résister au temps qui passe et pourrait alors tenir lieu de référence. Autre histoire...
Tous les matins du monde
Film français d'Alain Corneau (1991)
Découvrir cette oeuvre pour se souvenir du travail de son réalisateur, récemment décédé, n'est pas forcément la plus mauvaise des idées. Pour ma part, j'apprécie particulièrement le fait que la musique devienne presque ici un personnage à part entière. En ce sens, il est peut-être pertinent d'oser une comparaison avec le génial Amadeus de Milos Forman. Parce que les notes sont ici aussi vecteurs d'émotion, j'ai également tendance à penser à La leçon de piano (Jane Campion). Voir ces trois films, c'est s'offrir une belle trilogie.
Ce film est saisissant. Le cinéma a presque ce formidable pouvoir qui est prêtée à la musique du "tombeau des regrets" de Monsieur de Sainte-colombes.
RépondreSupprimerQuelle ironie que ce soit le plus jeune des ces grands acteurs qui nous ait quitté le premier.
Ce film est un chef-d'oeuvre tout simplement... Le jeu des acteurs est impressionnant. Que ce soit la fusion des rôles entre Depardieu père et fils, la jeune et sublime Anne Brochet et le magistral Jean-Pierre Marielle (loin de ses rôles habituels...), tous offrent une prestation unique, comme mu par une incroyable magie le temps d'un film. L'histoire est évidemment prenante, et ferait presque croire à une vieille légende si ce n'était qu'elle s'inspire de la vie du véritable Jean de Sainte-Colombe. Quand à la musique... proche des sonorités et résonnances du violoncelle, la viole perçe l'âme à jour. D'apparence musicale et physique austère, cet instrument offre des mélodies graves et profondes.
RépondreSupprimerJe reste marquée notamment par 2 scènes : - la première étant celle où M. de Sainte Colombe joue tout en voyant sa défunte épouse. Le regard à la fois confus, suppliant et amoureux tout en pudeur est destabilisant - la seconde étant le duo entre lui et Marin Marais, son apprentis d'autrefois, voleur de coeur et de notes musicales.... la complicité de cette scène, servie par 2 acteurs au sommet de leur art (Depardieu dans un de ses plus beau rôle / JP Marielle presque..."inédit") est à couper le souffle...
J'écris ce commentaire et je me demande pourquoi je ne l'ai pas encore en DVD (???) c'est le moment de chouiner auprès du Papa Noël je crois ^_^.
A la fois sur le fond (le rôle de la musique dans la société vs la recherche de l'absolu) que sur la forme (superbes images et bien entendu musique), ce film est une petite merveille.
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