mardi 27 août 2019

Atmosphère(s)

Sa prolifique carrière - une quarantaine de rôles entre 1927 et 1939 - fait d'elle l'une des grandes actrices françaises d'avant-guerre. Connue sous le pseudonyme Annabella, Suzanne Charpentier était une tête d'affiche crédible pour Hôtel du Nord. Mais aujourd'hui, c'est surtout grâce à la gouaille d'Arletty que le film est devenu un grand classique !

Rendons à César: c'est d'abord à Annabella (et au couple de fiction qu'elle forme avec Jean-Pierre Aumont) que le scénario s'intéresse. Deux amoureux ont loué une chambre dans une pension parisienne proche du canal Saint-Martin, dans l'intention... de s'y suicider, faute de pouvoir vivre leur passion. La jeune femme demande à son amant de la tuer et, ensuite, de retourner l'arme contre lui. Au moment fatidique, le garçon flanche, laisse la fille pour morte et disparaît dans la nuit. Problème: un loulou de passage l'a surpris et son aimée échappe miraculeusement à la mort, ce qui lui vaut quelques ennuis avec la maréchaussée, vite convaincue d'avoir affaire à un assassin. C'est alors qu'entre en scène l'autre duo d'Hôtel du Nord: prostituée apparemment éprise de son souteneur, Arletty est excellente et vole la vedette à la star supposée, bien accompagnée par un Louis Jouvet impeccable dans l'habit d'un personnage ingrat et bientôt surprenant. Joliment dialogué par Henri Jeanson, le long-métrage est un régal pour les oreilles. Mais, évidemment, ce n'est pas son unique qualité...

Ce bout de Paris reconstitué en studio est d'une incroyable beauté. Fruit du travail du grand Alexandre Trauner à Billancourt, le décor enchanterait fort aisément les regards les plus blasés. Tout est faux et tout semble vrai: c'est la magie du cinéma de cette époque révolue, où les artisans étaient encore en nombre sur les plateaux. Peut-être qu'un jour, je m'offrirai un petit pèlerinage dans la capitale pour constater à quel point les lieux ont changé (ou non) depuis. Avant cela, j'espère déjà vous convaincre de (re)voir Hôtel du Nord pour d'autres raisons, parmi lesquelles je souhaite citer la présence de Bernard Blier, 22 ans, qui interprète avec justesse un éclusier plutôt naïf. Que dire encore pour donner envie ? Que le film compte aussi un personnage homosexuel, ce qui devait être assez audacieux en son temps. Mais c'est un tout, en fait: je ne souhaite guère isoler certaines séquences parmi d'autres, car c'est bien l'ensemble du récit et ses rebondissements qui ont su me séduire, plus de 80 ans après. D'où un conseil simple: si cela vous tente, n'hésitez plus une seconde !

Hôtel du Nord
Film français de Marcel Carné (1938)

Vous l'aurez compris: ce cinquième opus du réalisateur parisien confirme tout le bien que je pensais de lui. N'ayant encore découvert que les films du début de sa carrière, je pousserais bien volontiers mes investigations plus loin. D'ici là, je suis sûr que Le jour se lève et Les portes de la nuit ont tout ce qu'il faut pour vous embarquer ! Quant à moi, je n'arrive pas réellement à départager ces merveilles...

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Si l'envie vous prend de lire d'autres avis...
Vous remarquerez que ceux de "L'oeil sur l'écran" sont (très) positifs !

8 commentaires:

  1. Dans les années 60 Armand Panigel présentait sur la seule chaine de l'ORTF de l'époque, une émission "Au cinéma ce soir" et son générique avait pour particularité de faire entendre des répliques de films célébres et notamment la réplique culte d'Arletty : "Atmosphére, atmosphére, est ce que j'ai une gueule d'atmosphére..??
    Ce moment de cinéma alors non identifié pour le gosse que j'étais , m'a poursuivi de longues années avant de pouvoir découvrir le film. Ce classique que j'ai vu depuis des dizaines de fois et encore récemment avec toujours autant de plaisir fait partie intégrante, aujourd'hui et pour toujours, de mon panthéon cinéphilique, tout ne remonte-t-il pas à la petite enfance ??

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  2. Souvent on associe Prévert au Carné de cette époque mais là c'est Henri Jeanson qui apporte sa gouaille à cette fameuse atmosphère. J'ai découvert Carné-Prévert vers 1960. Bien que très jeune ils m'ont tout de suite plu. C'était chez mes grands-parents, à la TV noir et blanc bien sûr. Louis Jouvet a très vite été mon préféré. C'est encore le cas pour cette période dite du réalisme poétique. Le plus noir et le plus fort, sans Jouvet, est à mon sens Le jour se lève, Gabin extraordinaire. J'ai déjà dû te dire mon moyen mnémotechnique pour retenir les sept films du tandem dans l'ordre chronologique.
    "Jenny a vécu un Drôle de drame sur Le Quai des Brumes, mais Le jour se lève, les visiteurs du soir et Les enfants du paradis ont refermé Les portes de la nuit." Je les ai vus cinq ou six fois minimum sauf Jenny que je n'ai jamais eu l'occasion de regarder.
    A bientôt.

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  3. Quand je me promène Canal St Martin, c'est encore un enchantement ! Quelle atmosphère ! Ce canal, ce pont. L'endroit est si romantique. On croit les voir et les entendre tous ces personnages. Et voir L'hôtel du Nord, c'est comme un pèlerinage. Impossible quils n'y aient jamais mis les pieds.
    C'est rien de dire que la choupinette Annabella est éclipsée.
    Evidemment il y a LA réplique culte, mais j'adore la suite : si je suis une atmosphère, toi t'es un drôle de bled.
    Et le renversant Jouvet et son élégance folle qui dit : ma vie c'est pas une existence...
    Quel film !
    Choisir ? Impossible, mais quand même, Gabin qui hurle son désespoir au lever du jour, j'en ai encore des frissons.

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  4. @CC Rider:

    Merci à vous pour ce très sympathique commentaire !
    Le film n'a pas (ou disons pas encore) rejoint mon Panthéon, mais je comprends parfaitement qu'il soit dans le vôtre.

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  5. @Eeguab:

    Merci, l'ami, pour ces souvenirs partagés !
    Ton moyen mnémotechnique est vraiment joli. Je te souhaite de croiser "Jenny" !

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  6. @Pascale:

    Nous sommes bien d'accord, je vois, et je m'en réjouis.

    "Le jour se lève", c'est quelque chose. Un peu comme la réplique atmosphérique d'Arletty pour CC Rider, l'image du nounours avait imprimé ma mémoire de gosse !

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  7. Bravo pour cette belle chronique !

    Si une autre comédienne avait tenu le rôle d'Arletty, on imagine difficilement ce qu'aurait alors été "Hôtel du nord".

    Arletty est plus une actrice qu'une comédienne. En cela, elle appartient à cette catégorie rare (revendiquée notamment par Delon) d'interprètes qui ne jouent pas à proprement parler, ne composent pas un personnage de toutes pièces, mais vivent les dialogues et les situations. Cela suppose une personnalité particulière et une intelligence vive. N'en concluons pas qu'Arletty était à l'écran comme dans la vie. De fait, on sait qu' elle n'avait pas, au quotidien, les intonations et le phrasé inimitables qu'on lui connaît dans les films.

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  8. Merci !

    Ce que vous dites d'Arletty sonne très juste à mes oreilles, même si je la connais encore mal. Mais effectivement, sa gouaille est un jeu. Il suffit de la voir dans "Les visiteurs du soir" pour comprendre qu'il ne faut pas la limiter à cela.

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