mardi 12 septembre 2017

Italiens et résistants

Chères lectrices, chers lecteurs, je veux tout d'abord vous informer que cette chronique est pour moi doublement particulière: elle résulte de ma première rencontre avec l'un de vous (ami Eeguab, bonjour !) et elle marquera pile le 1500ème long-métrage présenté sur ce blog. Le hasard faisant bien les choses, il s'agit d'un très grand classique...

Choisi dans la belle - et abondante - DVD-thèque de mon camarade axonais, Rome ville ouverte reste connu comme un film-charnière dans l'histoire du cinéma italien. Il est l'un des premiers représentants d'un courant qui fera les beaux jours de la production transalpine d'après-guerre: le néoréalisme. Volontiers engagé, ce mouvement reposait prioritairement sur la volonté de témoigner d'une époque difficile pour les petites gens, en tournant le plus souvent en décors réels, sur les lieux mêmes de l'intrigue, en opposition avec les idées et méthodes promues par le fascisme. Une approche documentariste qui n'oubliait cependant pas que le septième art est aussi d'essence romanesque, créant les plus belles fictions à partir de faits établis. Certains cinéastes en ont profité pour prendre un "nouveau départ"...

Roberto Rossellini est de ceux-là. Le réalisateur avait été un ami proche du fils cadet de Benito Mussolini, le haut responsable fasciste du cinéma italien. Il travaillera sur Rome ville ouverte dès 1943, date à laquelle le Duce avait déjà été renversé. C'est donc sous l'occupation nazie que les premiers éléments du film seront réfléchis. Le tournage n'aura lieu qu'au tout début de 1945, quand la ville sera enfin libérée. D'une manière assez incroyable et fascinante à la fois, le scénario remonte le temps de quelques mois seulement pour nous raconter l'histoire pathétique de gens ordinaires et de résistants anonymes. Vibrant, le récit s'appuie également sur des faits réels, ce qui le rend d'autant plus bouleversant, et ce malgré les longues années passées depuis lors. Le film a ainsi pu s'exporter en France, aux États-Unis...

La toute première chose qui m'a frappé, c'est justement la force émotionnelle qu'il déploie... avec si peu de moyens à disposition ! Mine de rien, Rome ville ouverte est bel et bien un film fauché. Roberto Rossellini en personne faisait état de son "infernale qualité technique", fruit de conditions de tournage tendues dans le contexte que l'on imagine, renforcé par la mésentente de certains comédiens entre eux - fort heureusement parfaitement indécelable à l'écran. D'aucuns considèrent que les quelques séquences tournées en studio n'ont ni la force, ni la beauté de celles réalisées dans les rues romaines. Fadaises ! Toutes participent d'une même cohérence dramatique, qui échappe résolument aux postures manichéennes. C'est aussi la grandeur du film de montrer que l'ignominie est partout.

En dépit de la noirceur de sa conclusion, les images d'enfants de la fin du film peuvent ouvrir notre esprit à l'espoir d'un meilleur avenir possible. L'oeuvre n'est pas directement politique, mais elle délivre toutefois un message et incite les opprimés d'hier à relever la tête. Digne, à l'opposé du misérabilisme qu'elle aurait pu convoyer, elle dit le prix que certains ont payé pour qu'aujourd'hui, nous soyons libres. Cette fois, les "héros" sont italiens, mais ils sont aussi des personnes comme les autres, ni meilleures, ni nécessairement plus courageuses. Rome ville ouverte nous propose de confronter nos visions du monde avec celles d'hommes et de femmes qui n'aspirent qu'à la paix retrouvée. En fait, ils et elles nous ressemblent: tous n'ont pas l'esprit de sacrifice. Et le propos du film conserve ainsi toute sa modernité...

Rome ville ouverte
Film italien de Roberto Rossellini (1945)

Si ce long-métrage marque une étape très importante dans l'histoire du cinéma, c'est aussi parce qu'il a reçu l'un des onze Grands Prix décernés à Cannes en 1946, année des (vrais) débuts du Festival. Trouver d'autres oeuvres du même niveau n'est pas chose facile ! Pour le côté allemand, je vous recommande vivement Les assassins sont parmi nous, d'une noirceur rare. Comme Le corbeau en France ?

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Une anecdote pour finir...
Censuré, Rome ville ouverte ne fut diffusé en Allemagne qu'en 1961. Le public espagnol, lui, dut attendre jusqu'en 1969 pour le découvrir !

Et du côté des autres blogs...
J'ai cherché en vain une présentation du film sur le site d'Eeguab. J'espère donc que "L'oeil sur l'écran" saura vous contenter, cette fois.

6 commentaires:

  1. What ? Date à laquelle le du renversement ???
    Ça me rappelle ma maman qui quand elle sembrouilait pour finir une phrase disait: ce dont auquel que pour...
    Bref tout ça pour détourner ton attention du fait que Non, je n'ai pas vu ce chef d'oeuvre. Ou alors trop jeune et je n'y ai rien compris. Pas à sa sortie quand même!!!

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  2. Oula ! Je suis allé modifier cette phrase effectivement incompréhensible. Merci !
    Pour le reste, je ne peux que te conseiller le film, le jour où tu veux t'orienter vers un drame européen classique.

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  3. Très grand classique, très grand film, qui délivre un coup de poing dans l'estomac. Ce que le néo-réalisme a pour moi produit de plus poignant (avec Le voleur de bicyclette, mais ce dernier est plus sentimental, assez différent du néo-réalisme selon Rossellini). Bien d'accord avec ton "fadaises".

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  4. Ah ! Je suis bien content (même si pas spécialement étonné) de nous savoir d'accord, Strum !
    Il faut absolument que je découvre "Le voleur de bicyclette". Je suis persuadé que ça va me plaire.

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  5. Bonjour Martin, et merci de cet hommage à mon maître absolu es cinema. Je suis très heureux de cet après-midi passé à Rome ville ouverte, l'un des très rares films à avoir changé le cinéma. Je ne l'ai jamais vraiment chroniqué mais Rossellini et le NR inondent littéralement mon blog. Le cinéma de Rossellini a tours été passionnant y compris quand il a fait de la télévision dès les années soixante, se démarquant par là des quatre autres géants, Vittorio, Luchino, Michelangelo et Federico. Mais bon sang qu'est-ce que ces gens-là ont enrichi ma vie.Une curiosité: Remake, Rome ville ouverte, film de Carlo Lizzani en 95, variation sur le tournage du film de Rossellini. A très bientôt, j'ai été ravi. :D

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  6. Je connais ta fidélité aux grands maîtres italiens, cher Eeguab, et je dois dire que tes explications les concernant sont absolument passionnantes. Autant dire également que j'ai été ravi de faire la découverte de ce film à tes côtés !

    Sans vouloir trahir quoi que ce soit de mes intentions, je crois que nous aurons prochainement l'occasion de reparler de Roberto Rossellini. Pas sûr d'avoir très envie de voir le remake dont tu parles, mais nul doute que le reste de ton quinté majeur aura voix au chapitre ici en d'autres occasions.

    À très bientôt, oui. J'ai été ravi aussi !

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