mercredi 2 novembre 2016

La vision de Marielle

Je peux vous le dire, désormais: j'ai vu Willy 1er en avant-première. Je dois cette chance à mon association, qui a su saisir l'opportunité d'une soirée cinéma avec Marielle Gautier, la co-réalisatrice du film. Généreuse de son temps, la jeune femme a pris part au rituel débat et, le lendemain, m'a donné une interview. Un grand merci, Marielle !

Marielle, le film fait un beau parcours en festivals et a reçu quelques prix. Quel est ton état d'esprit pour sa sortie en salles ?
Nous sommes tous très contents. Grâce aux festivals et à la presse, il se passe beaucoup de choses autour du film. C'est quand même une surprise et nous sommes vraiment satisfaits.

Comment vis-tu ces instants, à devoir encore parler du film ? J'imagine que votre dernier cut date déjà d'il y a longtemps...
En fait, on a terminé le montage courant juin, car nous l'avons repris après Cannes. Pendant toute cette période post-montage, quand le film est fini, en tant que réalisateurs, nous l'accompagnons lors des avant-premières. C'est toujours agréable de rencontrer le public. Toute une équipe doit directement s'occuper de la diffusion du film. De notre côté, nous sommes un peu plus tranquilles, sur ce point.

Cela fait pourtant des mois de promotion. Un vrai travail...
C'est vrai, mais c'est aussi l'avantage d'être quatre: on peut se partager les dates et aller tous à des endroits différents. Cela reste agréable: présenter le film en avant-première, rencontrer un public qui pose des questions sur ce que l'on a eu envie de faire, c'est toujours intéressant. Il y a pire !

Et c'est stimulant, pour toi ? Tu peux y trouver des choses utiles pour la suite de ta carrière, à ton avis ?
Oui, cela nous fait réfléchir. C'est bien de pouvoir discuter, même quand les gens ont des interrogations, quand ils ne sont pas vraiment sûrs de telle ou telle intention de notre part. Cela crée du débat et nous permet de développer certaines de nos idées initiales.

Est-ce que ça veut dire que tu vois maintenant dans le film certaines choses que tu n'y voyais pas auparavant, à travers l'oeil du public ?
Peut-être, mais pas tellement, non. On a  beaucoup regardé le film quand il a été terminé... énormément de fois ! On y voit peut-être un peu plus ce que les gens peuvent y projeter, mais notre vision de ce que l'on a fait reste la même. Je ne sais pas si c'est clair...

Si ! Et cette vision, tu penses qu'elle correspond également à celle que le public renvoie ?
Oui, tout à fait. Cela correspond complétement.

C'est plutôt une bonne nouvelle...
Ouais.

Le film est bel et bien une fiction, mais il s'inspire aussi de la vie de Daniel Vannet. Qu'est-ce qui t'a intéressée à ce personnage ?
Quand on rencontre Daniel, il se montre tellement attachant qu'on a tout de suite envie de vivre des expériences avec lui. L'idée du film est vraiment venue de cette rencontre: c'est elle qui a déclenché le processus d'écriture. Nous avons vécu la même chose tous les quatre. Nous avons été marqués par sa fierté et eu envie de mettre en valeur sa différence et toutes ces choses qu'il a réussi à accomplir jusqu'à maintenant. L'élément déclencheur a été le même pour chacun de nous: les récits de Daniel sur son passé.

Outre de l'empathie et plus que de la fascination, ce que tu en dis me donne l'impression que tu as une certaine admiration pour lui. Qu'en penses-tu ? Est-ce que je vais trop loin ?
Non. Je suis complètement admirative de Daniel ! Ce qui est fascinant en lui, c'est que certaines choses faciles pour tout le monde lui sont difficiles, comme par exemple la lecture et l'écriture, tandis que d'autres compliquées pour tout le monde sont très faciles pour lui. Par exemple, arrêter de boire ou de fumer... il en était à trois paquets par jour et il a arrêté du jour au lendemain. La force de sa volonté est incroyable - je n'en ai vu aucune autre équivalente ! Quand il a décidé quelque chose, Daniel sait exactement ce qu'il a envie de faire et plus personne ne peut alors l'arrêter. Cela l'a beaucoup servi dans son parcours: quand il a voulu s'en sortir, reprendre la lecture et sa vie en mains, c'était avec la force de sa volonté et son courage. Avant même de faire du cinéma avec nous...

Pourquoi avoir situé votre histoire à Caudebec, en Normandie ? Cela vient-il aussi de Daniel ?
Non. En fait, Daniel vient d'Aulnoye-Aymeries, à côté de Maubeuge. Au départ, on hésitait entre tourner dans le Nord ou en Normandie. Mon père est de là-bas et je connais très bien la région. C'est vrai aussi qu'elle nous a soutenus financièrement, ce qui a finalement orienté notre choix. On était très contents d'aller choisir des décors là-bas. Ensuite, tous nos acteurs sont normands, des environs même de Caudebec. Daniel est donc le seul qui vient du Nord...

Comment tu la vois, toi, cette Normandie ? Le film ne montre pas son côté le plus glamour...
C'est vrai, mais il y a des endroits très jolis et on y a reçu un accueil assez formidable. Partout, des gens qui nous ont ouvert des portes ! Forcément, notre vision de la ville en est influencée. Nous étions ravis d'être là-bas... et vraiment dans notre élément.

Dans le film, certains des prétendus copains de Willy sont durs avec lui, mais j'ai l'impression que vous ne les considérez pas comme des affreux ou des méchants...
Non, en effet. On voulait vraiment adopter le point de vue de Daniel. L'idée était de montrer comment le comportement d'autres personnes pouvait agir sur lui. C'est pour cela qu'on s'est moins arrêtés sur ces personnages-là que sur les réactions que cela entraîne chez Daniel. Ce ne sont pas des personnages faciles à écrire. C'est vrai qu'ils sont assez durs, mais c'est une réalité. Nous nous sommes à nouveau appuyés sur les récits de Daniel quant à son passé. Il n'y a pas d'exagération vis-à-vis de certaines personnes qu'il a pu rencontrer...

J'ai trouvé dans ce récit une dimension initiatique, de libération. Sans trahir la fin du film, je l'ai trouvée plutôt ouverte et positive. Or, vous avez hésité sur la manière de conclure...
On a tourné une autre fin, que l'on n'a finalement pas retenue au montage. Je ne sais pas si c'est intéressant de le savoir, mais je le raconte quand même: au départ, Willy n'arrivait pas à admettre la mort de son frère. Il ne croyait pas au suicide et croyait à un accident du travail déguisé. La fin alternative le montrait aller à la ferme, harceler le patron, lui dire: "Je sais que c'est toi qui as fait ça". On a préféré quelque chose de simple, de fluide et de positif, au final. La fin actuelle nous a évité de partir vers quelque chose de trop farfelu.

Vous êtes toujours en contact avec Daniel ?
Oui, presque tous les jours. Il est venu avec nous dans les festivals. Il ne fait pas les avant-premières, parce qu'il y a trop de dates ! Il est très content d'être rentré chez lui: c'était quand même une longue période pour lui. Après le tournage, il a dû être opéré de la hanche et faire une rééducation ! Par la suite, il était heureux de retrouver son appartement, ses amis et son quotidien. Il était content d'être avec nous quand on a reçu des prix, mais on évite de l'emmener à droite et à gauche quand il préfère faire ses propres trucs à la maison. On n'a pas trop envie de le sortir de ce qu'il a envie de faire en ce moment...

Tu m'as dit aussi qu'il a beaucoup changé par rapport à l'image qu'il peut donner dans le film...
Oui. Il est désormais posé, très respecté, et il y a beaucoup d'amis. C'est pour ça aussi qu'il veut rester chez lui. C'est normal.

Votre scénario évolue sur le fil du rasoir. Dans les objectifs de vie que Willy exprime, il y a un "Je vous emmerde !". Mais ce n'est pas la conclusion du film...
Non. C'est plutôt un "Je vous emmerde !" qu'il adresse à tous les gens qui lui ont dit: "C'est impossible". Comme il arrive plutôt à ses fins quand le film se termine, on peut dire qu'il a emmerdé tous ces gens qui le tiraient vers le bas, comme il dit lui-même !

Ce message-là, il vous est aussi un peu personnel ?
Oui, complétement. Je pense que, tous les quatre, on a quitté nos vies respectives pour faire du cinéma. Quand on est dans un milieu artistique, il y a toujours cette peur de ne pas réussir, d'autres gens qui vous découragent...

Cela m'a fait penser à Maurice Pialat qui, en recevant sa Palme d'or, déclarait: "Si vous ne m'aimez pas, allez vous faire foutre !
". Ce n'est tout de même pas aussi dur chez vous...
Non. Ce n'est pas aussi méchant que ça.

Parlons un peu de la suite, si tu veux bien: Hugo, Ludovic, Zoran et toi avez désormais l'idée de vous éclater chacun de votre côté avant, peut-être, de retourner ensemble. Tu as déjà des projets ?
Oui. Je suis en train d'écrire le prochain. On est tous en train d'écrire le prochain, en fait: Hugo, les jumeaux ensemble et moi de mon côté. Personnellement, j'ai une histoire en tête, mais je n'en parle pas encore pour le moment: les choses ne sont pas figées, ça évolue très vite et dans des directions variées. Ce n'est pas encore assez gravé dans le marbre pour l'exprimer facilement.

Sur le premier film, à quatre, vous cumuliez les postes et tu dis qu'ensemble, paradoxalement, vous vous sentiez plus audacieux qu'individuellement. Te sentirais-tu plus à l'aise dans un métier particulier, réalisateur ou scénariste ?
Non. Le scénario correspond à une période plus solitaire, d'introspection et de travail personnel. Le tournage, j'adore aussi ! Avec le groupe et les acteurs, on peut bouger et tout créer. Ce sont vraiment deux méthodes très différentes, mais j'aime vraiment beaucoup l'une et l'autre. Je ne pourrais pas donner de préférence.

Et lors du montage et en post-production, tu sais garder du recul plus facilement ? Pour Willy 1er, il y a deux monteurs, mais aucun de vous quatre...
Non, en effet. Après, certains d'entre nous ont un peu plus d'affinités avec le montage. Hugo, par exemple, je pense qu'il aimerait monter ses propres films dans le futur. Mais tous les quatre, on est plutôt scénaristes et réalisateurs: on adore écrire et réaliser ! De ce côté-là, je pense qu'à l'avenir, il n'y aura pas trop de partage des tâches...

Tu es sortie de l'École de la Cité il n'y a pas si longtemps. Penses-tu avoir encore beaucoup de choses à apprendre ?
Oui, c'est sûr: on n'arrête jamais d'apprendre ! On a appris à l'école, on a beaucoup aussi appris en faisant Willy 1er, mais ça continuera dans tous les films qu'on fera ensuite...

Arriverais-tu à dire ce que tu as appris avec celui-là ?
Oui: j'ai appris beaucoup de choses concernant la gestion de groupe. C'est la première fois que l'on dirigeait une équipe - à l'école, on était entre nous. Il y a quelques erreurs que je ne referai pas, c'est sûr.

Qu'est-ce qu'on peut te souhaiter pour la suite, du coup ? Parviens-tu déjà à te projeter sur le long terme ?
Non. Je prends les choses film après film. Le prochain, quand on est au tout début, on a l'impression de faire face à une montagne ! La suite, pour moi, s'arrête donc à ce prochain film, pour le moment. Après, on verra bien...

Pour finir, quelques questions plus personnelles: peux-tu me dire comment le cinéma est entré dans ta vie et ce que tu pourrais dire à une petite fille qui aimerait en faire ?
Très petite, j'étais très observatrice. J'avais déjà cette envie de capter des choses, des séquences. J'avais l'impression d'emmagasiner beaucoup de situations. J'étais souvent en retrait. L'envie de raconter m'est venue très tôt. Maintenant, si quelqu'un a envie de faire du cinéma, c'est très bien ! Je pense qu'il faut faire ce dont on a envie. Pas de frein, pas de limite. Aujourd'hui, de toute manière, on vit dans un monde où, être avocat ou pour faire un métier entre guillemets plus "sérieux", c'est tout aussi compliqué. Autant alors rester soi-même: c'est toujours gratifiant d'être dans sa propre voie.

As-tu, toi, de l'admiration pour certaines personnalités du monde du cinéma ?
Oui. J'adore le cinéma de Jane Campion et j'aime beaucoup celui d'Iñárritu. Beaucoup de cinéastes m'inspirent, dans des univers assez différents. Je les aime tous aussi pour des raisons différentes.

Tu parles de gens un peu "installés". Y en a-t-il des plus jeunes que tu aurais repérés et dont tu sens proche ?
Chez les jeunes réalisateurs, il y a Xavier Dolan. Je ne peux pas dire pourtant que je sens proche de lui: il est arrivé plus loin et très haut ! Ce qu'il a réussi à faire en si peu de temps reste un énorme exemple que l'on peut faire ce que l'on veut et que, y compris du point de vue des effets et de la mise en scène, on n'est pas obligé de rester toujours dans un cadre. Qu'il n'y a pas vraiment de règles...

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Une toute dernière précision...
Je n'en ai pas parlé, mais Marielle Gautier était venue à la rencontre de mon association avec son premier film, Ich bin eine Tata, réalisé avec le même trio (Hugo P. Thomas, Ludovic et Zoran Boukherma). D'une durée de huit minutes, ce court-métrage a pour personnage principal un prof travesti - et interprété par Daniel Vannet, bien sûr !

2 commentaires:

  1. (je réponds ici en deux / trois en un mais j'ai lu aussi ta chronique de Willy 1e !). Avec toutes ces sorties ciné, c'est pour moi difficile d'aller le voir mais le sujet a l'air très intéressant et je pense qu'il va trouver son public que ce soit au cinéma ou plus tard. L'interview est en tout cas très intéressante, c'est bien que tu aies pu avoir cette occasion ! :D

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  2. Merci pour ton compliment sur mon interview, Tina ! Je suis effectivement bien content d'avoir eu cette double occasion: celle de voir le film dans de bonnes conditions et, ensuite, de pouvoir prolonger le débat avec Marielle.

    Le film vaut le détour. J'espère donc que tu auras l'occasion de le rattraper, même si ce n'est qu'en DVD.

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