mardi 2 juin 2015

Cavale

Le jour où je suis allé voir L'astragale, j'étais un peu fatigué. Quelques heures avant de rejoindre mon cinéma préféré, j'avais failli renoncer. Je suis bien content de ne pas l'avoir fait: je suis entré dans le récit à la toute première image et n'en suis sorti qu'à regret. Mes yeux n'ont pas décollé de ce somptueux noir et blanc. J'ai admis que le film avait pu me conduire jusque dans la France des années 50.

L'histoire qui m'a été racontée débute une nuit d'avril 1957. Condamnée à la prison après un braquage raté, Albertine Damien s'évade. L'astragale n'est pas que le titre du film: c'est aussi le nom d'un os du pied, que la toute jeune femme se casse en sautant du mur de son pénitencier. De l'autre côté, elle parvient toutefois à se traîner jusqu'à une route voisine, où, percluse de douleurs, elle est recueillie par un dénommé Julien Sarrazin, lui-même voyou à la petite semaine. Albertine commence alors une vie de cavale et de prostitution. Aussitôt qu'elle le peut, elle écrit sa vie dans des carnets à spirale. Sans se l'avouer, elle est tombée amoureuse de son sauveur et rêve vaguement à des jours meilleurs. Son homme est souvent absent. Albertine fait face, obligée, mais n'est heureuse que par petits bouts.

Ce destin pathétique est celui d'une vraie femme et L'astragale également le titre d'un livre autobiographique qu'elle a écrit, publié aux éditions Pauvert en 1965 - Albertine avait alors 28 ans. L'histoire qu'il raconte est d'une intensité dramatique rare, compte tenu surtout de ce qu'il advint de l'auteure après sa parution. Je préfère taire ici tout ce qui arrivera à ce personnage après son évasion: la fiction aurait peut-être peiné à inventer une telle destinée. Une question possible autour du film: une personne tombée dans la délinquance avant même sa majorité peut-elle susciter une quelconque empathie ? Compte tenu de ce que j'ai ressenti pendant la projection, je dirais que oui. Il n'est pas question d'oubli et pas davantage de pardon. Juste du constat que la vie n'offre pas toujours une seconde chance...

Côté cinéma, outre une très belle reconstitution de la France gaullienne, ce long-métrage donne à voir une magnifique Leïla Bekhti dans le rôle-titre. Sa grande beauté naturelle trouve ici un écrin remarquable, c'est vrai, mais l'actrice délivre vraiment une prestation de haut vol, toute en nuances. Il faut dire aussi qu'elle est bien aidée par celui qui a été choisi pour jouer Julien: le brillant Reda Kateb. Avant d'aller plus loin, je voudrais dire un petit mot des origines ethniques de ces deux jeunes comédiens français: ils ont tous deux du sang algérien. La réalisatrice du film les a-t-elle justement retenus pour cette raison ? Je l'ignore, mais j'ai été heureux de ce choix. L'un des dialogues de L'astragale évoque les origines hispano-mauresques d'Albertine. Comme un écho à notre temps d'extrémisme politique...

De ce film, j'ai donc aimé la photo, les acteurs, mais d'autres choses encore, comme le montage et la musique par exemple. Des ellipses parsèment le récit, mais elles sont savamment dosées: la manière dont les personnages évolue reste claire et je suis allé jusqu'à penser que ne pas tout savoir sur tout est bénéfique au spectateur. Partager ainsi les incertitudes d'Albertine m'a petit à petit rapproché d'elle. Après quelques recherches complémentaires, je crois avoir compris que le film embellit un peu les choses, mais qu'importe: l'émotion seule compte à mes yeux et elle était bien là devant L'astragale. Plaisir supplémentaire: le film m'a donné très envie de lire le roman et, d'une façon plus générale, de m'intéresser à Albertine romancière et poétesse. C'est une rencontre que je pense ne pas oublier de sitôt.

L'astragale
Film français de Brigitte Sy (2015)

Difficile de trouver un film comparable ! Pour la grande beauté du noir et blanc, je peux citer une autre histoire d'amour: celle de Tabou. Pour ce qui est du scénario, c'est déjà plus compliqué. J'ai lu ici et là des parallèles avec la Nouvelle Vague, sans me laisser convaincre. Sachez aussi qu'une première adaptation de L'astragale était sortie en 1968 avec Marlène Jobert, mais... interdite aux moins de 18 ans !

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Si c'est la version 2015 qui vous intéresse...

Vous pourrez la retrouver chez Pascale: "Sur la route du cinéma". 

6 commentaires:

  1. Bonjour Martin,

    J'étais plus que sceptique quant à ce film mais ce que tu en dis m'incite fortement à aller le voir. Et même très prochainement peut-être.

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  2. Bonjour Sentinelle. Je suis ravi que ma chronique t'incite à voir le film. J'espère maintenant qu'il te plaira... et que tu nous en reparleras.

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  3. Je l'ai enfin vu et je l'ai apprécié tout autant que toi. C'est d'ailleurs essentiellement grâce à ton billet que je me suis rendue au cinéma et je t'en remercie. Je publierai prochainement mon billet, certes moins complet que le tien mais je tenais quand même à publier un petit quelque chose sur ce film, qui n'a pas fait tellement parlé de lui et c'est bien dommage.

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  4. Tout le plaisir est pour moi, Sentinelle: je suis vraiment content que tu aies pu apprécier le film. Je lirai avec grand intérêt ta future chronique. Un jour prochain, je pense que je vais aussi faire l'acquisition du livre éponyme d'Albertine Sarrazin, pour comparer ce qui peut l'être. J'ai vu qu'il avait été réédité, mais je ne sais pas s'il est (ou sera) également disponible en Belgique. En tout cas, si j'en crois les voix off du film, la dame avait un verbe qu'il me paraît intéressant de retrouver sous sa forme écrite. À suivre...

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  5. Il est également disponible chez nous, et je le lirai probablement un jour ou l'autre également, tant le film donne envie de s'y plonger ! J'aime bien aussi quand le cinéma nous fait découvrir des auteurs. Je pense à Janet Frame (Un ange à ma table de Jane Campion), ou dernièrement à Violette Leduc (Violette de Martin Provost). Que de très agréables découvertes.

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  6. Tout à fait d'accord avec toi quant au plaisir que peut procurer le cinéma en prolongeant l'oeuvre des auteurs ! Je suis moins féru de littérature que toi, mais j'aime bien lire malgré tout. Simplement, ces jours-ci, j'ai du mal à trouver un bouquin qui me convienne et je peine à finir ceux que j'entame. C'est pourquoi je me dis que cette histoire déjà familière pourrait être une bonne occasion de revenir vers l'écrit.

    Il se peut aussi que je ressente le besoin de vacances !

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