Je crois que c'est un peu avant le Festival de Cannes, l'année dernière, que j'ai entendu parler de Timbuktu pour la première fois. Il me semble qu'alors, il s'appelait encore Le courage des oiseaux. Aujourd'hui, peut-être un an plus tard, il est temps que je revienne enfin sur le grand oublié des jurés réunis sur la Croisette. Ce film admirable auquel l'Académie des César a décerné sept compressions.
En préambule, je veux dire que, pour moi, il est essentiel qu'un film comme celui-là puisse exister. À ceux qui auraient trouvé le moyen d'échapper à tout ce qui s'est écrit et dit sur Timbuktu, je précise rapidement qu'il est ici question de l'occupation de la ville malienne par des troupes fondamentalistes islamiques. Il serait fastidieux d'évoquer sur ce blog les facteurs géopolitiques et socio-culturels censés expliquer la permanence de vives tensions entre les peuples dans cette zone de l'Afrique. Ce qui paraît clair, c'est que le Mali souffre d'importantes divisions en son sein même, l'une d'entre elles résultant de la cohabitation forcée entre nomades et sédentaires. S'ajoutent à cette divergence de mode de vie d'autres oppositions majeures, fondées notamment sur la religion - ou sur la manière d'inscrire son comportement en adéquation avec une même foi. Difficile d'y voir clair là-bas, alors avec la distance, vous imaginez...
Heureusement pour nous autres, lointains observateurs, Timbuktu n'est pas un film politique à proprement parler, me semble-t-il. Surprise: le Mauritanien Abderrahmane Sissako, qui l'a réalisé et en a signé le scénario avec son épouse, a lui-même parlé d'une histoire assez faible. Sans parvenir à être d'accord, je crois que l'objectif n'était effectivement pas de mettre des images précises et réalistes sur une dénonciation écrite. Faute d'avoir pu tourner le documentaire qu'il envisageait d'abord, il me semble que l'auteur s'est vite rabattu sur une oeuvre de portée symbolique. De son envie première, il a su conserver une très grande attention portée aux divers personnages. Concrètement, le film n'a pas de héros: plusieurs protagonistes interviennent tour à tour, au fil de nombreuses petites séquences alternées. Rien ne vient réellement nous enjoindre à choisir un camp. Ce qui ne veut pas dire que la vérité nous est occultée, au contraire.
En fait, le récit évolue constamment sur un fil tendu. Les scènes véritablement violentes sont rares et passent très vite. On comprend toutefois rapidement que tout peut exploser à tout moment. Le fait même qu'une poignée d'hommes puisse suffire à imposer à tous l'idée qu'il est inadmissible de jouer au ballon ou d'écouter de la musique paraît assez absurde pour anticiper le pire dans d'autres situations. C'est peut-être d'ailleurs ce en quoi les situations qu'expose Timbuktu sont oppressantes: on devine que la survie des uns et des autres dépend simplement du bon vouloir de quelques chefs autoproclamés. Le courage du film, c'est aussi de montrer que ces nouveaux tenants de la loi sont des maîtres faillibles, souvent en pleine contradiction avec leurs principes. Le plus incroyable est qu'il arrive qu'on puisse rire de cette ambivalence, le long-métrage s'offrant quelques détours humoristiques. Sans muer en autre chose qu'une tragédie, bien sûr.
Tant bien que mal, j'ai gardé le moral en me disant que Timbuktu était en réalité un grand film de résistance. Je salue le choix audacieux opéré par Sissako de tourner dans des décors naturels magnifiques, nous offrant du coup des images à mille lieues de celles que l'actualité nous impose dès qu'elle raconte l'Islam intégriste. Musicalement aussi, le long-métrage nous emmène dans un voyage extraordinaire, même s'il est vrai qu'on peut regretter parfois l'usage d'instruments non-africains. Il est bon, je crois, de se souvenir alors des conditions mêmes du tournage: parce que le choix du Mali lui-même restait bien trop dangereux, les équipes se sont installées dans la ville mauritanienne de Oualata, à 1.300 km de Tombouctou. L'ensemble des opérations s'est déroulé sous étroite protection militaire. Peu d'Africains verront le résultat, sans doute. Je maintiens cependant ce propos: je juge primordial qu'un tel film puisse exister.
Timbuktu
Film franco-mauritanien d'Abderrahmane Sissako (2014)
Bon. Même si certains esprits chagrins diront qu'il est plus français que mauritanien du côté production, j'ajouterai un petit drapeau africain à ma page "Cinéma du monde". Je déplore que ce continent ne soit pas mieux représenté sur nos écrans. Je vais à nouveau citer ce grand-petit film qu'est Le repenti pour vous inciter à considérer les choses d'un peu plus près. Notez qu'on y parle aussi d'islamisme...
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D'autres chroniques sont bien sûr à lire ailleurs...
- "Chez Sentinelle",
- "Sur la route du cinéma",
- "Le blog de Tinalakiller",
- "Ma bulle" de Princécranoir,
- "Le blog de Dasola" (qui en cite d'autres).
En préambule, je veux dire que, pour moi, il est essentiel qu'un film comme celui-là puisse exister. À ceux qui auraient trouvé le moyen d'échapper à tout ce qui s'est écrit et dit sur Timbuktu, je précise rapidement qu'il est ici question de l'occupation de la ville malienne par des troupes fondamentalistes islamiques. Il serait fastidieux d'évoquer sur ce blog les facteurs géopolitiques et socio-culturels censés expliquer la permanence de vives tensions entre les peuples dans cette zone de l'Afrique. Ce qui paraît clair, c'est que le Mali souffre d'importantes divisions en son sein même, l'une d'entre elles résultant de la cohabitation forcée entre nomades et sédentaires. S'ajoutent à cette divergence de mode de vie d'autres oppositions majeures, fondées notamment sur la religion - ou sur la manière d'inscrire son comportement en adéquation avec une même foi. Difficile d'y voir clair là-bas, alors avec la distance, vous imaginez...
Heureusement pour nous autres, lointains observateurs, Timbuktu n'est pas un film politique à proprement parler, me semble-t-il. Surprise: le Mauritanien Abderrahmane Sissako, qui l'a réalisé et en a signé le scénario avec son épouse, a lui-même parlé d'une histoire assez faible. Sans parvenir à être d'accord, je crois que l'objectif n'était effectivement pas de mettre des images précises et réalistes sur une dénonciation écrite. Faute d'avoir pu tourner le documentaire qu'il envisageait d'abord, il me semble que l'auteur s'est vite rabattu sur une oeuvre de portée symbolique. De son envie première, il a su conserver une très grande attention portée aux divers personnages. Concrètement, le film n'a pas de héros: plusieurs protagonistes interviennent tour à tour, au fil de nombreuses petites séquences alternées. Rien ne vient réellement nous enjoindre à choisir un camp. Ce qui ne veut pas dire que la vérité nous est occultée, au contraire.
En fait, le récit évolue constamment sur un fil tendu. Les scènes véritablement violentes sont rares et passent très vite. On comprend toutefois rapidement que tout peut exploser à tout moment. Le fait même qu'une poignée d'hommes puisse suffire à imposer à tous l'idée qu'il est inadmissible de jouer au ballon ou d'écouter de la musique paraît assez absurde pour anticiper le pire dans d'autres situations. C'est peut-être d'ailleurs ce en quoi les situations qu'expose Timbuktu sont oppressantes: on devine que la survie des uns et des autres dépend simplement du bon vouloir de quelques chefs autoproclamés. Le courage du film, c'est aussi de montrer que ces nouveaux tenants de la loi sont des maîtres faillibles, souvent en pleine contradiction avec leurs principes. Le plus incroyable est qu'il arrive qu'on puisse rire de cette ambivalence, le long-métrage s'offrant quelques détours humoristiques. Sans muer en autre chose qu'une tragédie, bien sûr.
Tant bien que mal, j'ai gardé le moral en me disant que Timbuktu était en réalité un grand film de résistance. Je salue le choix audacieux opéré par Sissako de tourner dans des décors naturels magnifiques, nous offrant du coup des images à mille lieues de celles que l'actualité nous impose dès qu'elle raconte l'Islam intégriste. Musicalement aussi, le long-métrage nous emmène dans un voyage extraordinaire, même s'il est vrai qu'on peut regretter parfois l'usage d'instruments non-africains. Il est bon, je crois, de se souvenir alors des conditions mêmes du tournage: parce que le choix du Mali lui-même restait bien trop dangereux, les équipes se sont installées dans la ville mauritanienne de Oualata, à 1.300 km de Tombouctou. L'ensemble des opérations s'est déroulé sous étroite protection militaire. Peu d'Africains verront le résultat, sans doute. Je maintiens cependant ce propos: je juge primordial qu'un tel film puisse exister.
Timbuktu
Film franco-mauritanien d'Abderrahmane Sissako (2014)
Bon. Même si certains esprits chagrins diront qu'il est plus français que mauritanien du côté production, j'ajouterai un petit drapeau africain à ma page "Cinéma du monde". Je déplore que ce continent ne soit pas mieux représenté sur nos écrans. Je vais à nouveau citer ce grand-petit film qu'est Le repenti pour vous inciter à considérer les choses d'un peu plus près. Notez qu'on y parle aussi d'islamisme...
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D'autres chroniques sont bien sûr à lire ailleurs...
- "Chez Sentinelle",
- "Sur la route du cinéma",
- "Le blog de Tinalakiller",
- "Ma bulle" de Princécranoir,
- "Le blog de Dasola" (qui en cite d'autres).
Plus qu'un film militant, tu l'as écrit, c'est d'abord et surtout un geste artistique de résistance, à l'image de ces musiciens qui bravent l'interdit une fois le couvre-feu appliqué. A la mosaïque des peuples se superpose la mosaïque des langues, le tout sur fond de désert, de culture immémoriale pour laquelle Timbuktu fait office de capitale. Un film capital donc.
RépondreSupprimerTout à fait d'accord avec toi. La question des langues est aussi fascinante que primordiale.
RépondreSupprimer(merci pour le lien :) )
RépondreSupprimerTu connais déjà mon avis, notamment sur son triomphe selon moi injustifié aux Césars. Le film me semble important, nécessaire, je n'ai pas envie de cracher dessus et il y a certaines séquences tout de même très poétiques. Mais il manque selon moi un scénario solide. Je n'ai rien contre les chroniques mais là je trouve que ça part dans tous les sens.
Bonsoir Martin, c'est en effet très bien qu'un film comme celui-ci tourné par un Africain ait pu voir le jour. Rétrospectivement, je trouve la fin de l'histoire très pessimiste. Les images sont magnifiques. Bonne soirée.
RépondreSupprimer@Tinalakiller:
RépondreSupprimerPas de quoi pour le lien ! Le triomphe de "Timbuktu" aux César était un peu exagéré, peut-être, encore que je trouve que les techniciens récompensés ont mérité de l'être. Et pour une fois, on ne pourra pas dire que l'Académie honore toujours les mêmes...
Abderrahmane Sissako lui-même a parlé des faiblesses de son scénario. Pour ma part, ce récit éclaté ne m'a pas dérangé, au contraire. Et je suis heureux de voir que tu as été sensible à la poésie de certaines scènes.
@Dasola:
RépondreSupprimerContent que tu partages mon point de vue. C'est vrai: les images sont somptueuses. Est-ce que la fin de l'histoire est pessimiste ? Sûrement. Mais pouvait-il en être autrement ? That is the question. Bon week-end !
Merci pour le lien Martin :-)
RépondreSupprimerUn film important à voir, effectivement, même si je ne l'ai pas trouvé sans défaut mais qu'importe j'ai envie de dire, il y a suffisamment de bonnes choses pour ne pas s'y attarder plus longuement.
Je t'en prie, Sentinelle, merci à toi pour ton commentaire. Le film a des "défauts", c'est vrai, mais ils se sont vite effacés à mes yeux devant l'importance du propos. Et si j'ai mis des guillemets, c'est aussi parce que je crois qu'on est un peu trop exigeant avec ce film, en oubliant qu'il vient d'Afrique et qu'il a été tourné dans des conditions assez difficiles. Moi, j'espère qu'on pourra continuer encore longtemps à voir de tels longs-métrages au cinéma.
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