lundi 1 septembre 2014

Folie des hommes

1893. Joseph Vacher, militaire de son état, est réformé: il est l'objet de bouffées de démence. Celle qu'il veut épouser rejette ses avances. L'amoureux éconduit lui tire dessus et retourne l'arme contre lui. Double échec. Alors interné à l'asile, il est libéré après quelques mois de pseudo-soins et entame un parcours criminel. En quelques années de vagabondage, il tue douze personnes, essentiellement des femmes et des enfants, souvent avant de violer leur dépouille. Cette histoire sordide, réelle, a inspiré un film remarquable: Le juge et l'assassin.

Si je tenais à le voir depuis longtemps, c'était pour la confrontation de deux très grands acteurs: Philippe Noiret et Michel Galabru. Maintenant, c'est fait et je confirme: quel bonheur que ce duo-duel ! J'avance l'idée qu'il est d'autant plus grand que, d'emblée, les dés judiciaires sont pipés. Si une certaine ironie est de mise, au point d'avoir donné au magistrat le nom d'Émile Rousseau, ce criminologue avant l'heure n'a rien d'un humaniste. Bien sûr, l'homme qu'il tient entre les mains est plus qu'instable: il est l'auteur de crimes effroyables, qu'il confesse d'autant plus volontiers qu'il se considère comme un missionnaire divin chargé de mettre au jour les bassesses de ses contemporains. Seulement, là où certains diagnostiqueraient une folie source d'irresponsabilité pénale, le petit notable de province voit l'opportunité d'envoyer un homme à la guillotine et de s'assurer du même coup la reconnaissance de la Nation. C'est là que réside l'implacable et noire beauté du film: Le juge et l'assassin fait d'abord le portrait d'une société décadente, dominée par une élite corrompue.

Telle était sans doute, après de longues années de troubles et virages politiques, la France des débuts de la 3ème République. Le scénario brasse très large: il aborde à la fois la misère des classes ouvrières nées de la révolution industrielle, l'émergence rapide de l'idéologie socialiste, la réaction bourgeoise et même le schisme franco-français provoqué par l'affaire Dreyfus. Du coup, aussi brillamment interprété soit-il, Joseph Bouvier en vient parfois à passer à l'arrière-plan. L'intrigue fait alors la part belle à quelques personnages secondaires très finement écrits. Isabelle Huppert est, à 23 ans, l'amante cachée de l'homme de loi, femme du peuple, égérie tardive de l'insoumission. Renée Faure joue son abominable maman-poule, Jean-Claude Brialy un confrère dépourvu de sens moral, procureur cynique et dépravé. Certains disent que le film est trop riche, trop "copieux". Je trouve pour ma part que c'est... un mauvais procès: Le juge et l'assassin relève certes d'une grande ambition narrative, mais je la vois au rang de ses qualités majeures. Avec la flamboyance de sa mise en scène.

Le juge et l'assassin
Film français de Bertrand Tavernier (1976)

Je conclus en citant un journal de l'époque, publié deux semaines seulement après que le criminel a été guillotiné: "L'abominable Vacher a été exécuté. La société ne l'a pas puni: elle s'est délivrée de lui. C'est ce qu'elle avait de mieux à faire". S'il est vrai que le film repose la question de la peine de mort, il n'en fait qu'un thème connexe. Loin, très loin d'un Jugé coupable, pour ne citer qu'un seul exemple.

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La parole est désormais à d'autres témoins...

C'est l'occasion de constater que le film reçoit un accueil mitigé. Exemples sur "L'oeil sur l'écran" ou "Mon cinéma, jour après jour". Dans un article de "Ma bulle", Princécranoir, lui, le juge magnifique.

2 commentaires:

  1. Ce qui est étrange , c'est qu'à partir de 1983 la performance dramatique d'un acteur dit "comique" fera l'objet du commentaire suivant :"il a fait son Tchao Pantin "
    Galabru était un précurseur dans la lignée des Raimu et autre Fernandel....

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  2. Bonjour Martin, merci d'avoir évoqué un très bon film qui sort de l'ordinaire. Les années 80 ont été fastes pour le cinéma français. C'était encore le temps où il y avait de bons scénaristes. Je n'en dirais pas autant pour le cinéma d'aujourd'hui. Bonne après-midi.

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