Une chronique de Martin
Quatre acteurs peuvent suffire pour faire un film. Roman Polanski vient de le prouver avec Carnage, son dernier long-métrage. L'histoire est simple: après que, sans raison manifeste, leur fils a donné un coup de bâton à un autre enfant, Nancy et Alan Cowan visitent les parents de la victime, Penelope et Michael Longstreet. Conciliants, les deux couples rédigent ensemble un courrier destiné aux assurances. En dépit d'un petit hiatus sémantique, ils s'accordent sur l'essentiel et semblent prêts à la concorde retrouvée. Oui, mais...
Puisque le film s'appelle Carnage, vous imaginez bien que les choses vont s'avérer un tantinet plus compliquées. Pour sceller le processus de réconciliation des deux familles, une rencontre entre les gamins est envisagée. C'est à partir de cet instant que débute véritablement le jeu de massacre. Les deux couples expriment alors rapidement leurs différences de point de vue sur l'éducation. Bientôt, ils vont jusqu'à se disloquer eux-mêmes, ce qui fait alors apparaître non plus deux clans familiaux, mais bel et bien quatre individus. Les joutes verbales sont féroces, d'autant qu'elles sont très écrites, le film trouvant sa matière dans une pièce de théâtre de la dramaturge française Yasmina Reza. Avec juste ce qu'il faut de perversité misanthrope, Roman Polanski se fait chef d'orchestre du chaos. On a connu le cinéaste plus inspiré: il se contente ici d'un huis-clos classique à champs et contrechamps, avec un petit jeu sur la lumière pour matérialiser le temps qui passe. C'est toutefois assez efficace.
Bien plus que le chef d'oeuvre d'un homme de 78 ans, Carnage offre au regard quatre remarquables numéros d'acteur. Je commencerai avec les comédiennes. Du côté de la victime, Jodie Foster joue presque à contre-emploi ce rôle de femme psychorigide dissimulée derrière une générosité de façade. C'est sûrement elle qui met le feu aux poudres en réclamant pour son fils une demande de pardon immédiate et sincère. Kate Winslet, la mère du sauvageon, avance son intention de tout faire pour la lui obtenir: elle fait finalement l'exact chemin inverse, passant d'une empathie affectée aux ravages d'un égocentrisme larvé. De fait, les hommes ne valent pas mieux. Père du cogneur et avocat cynique, Christoph Waltz croit intelligent de raviver les tensions, sautant d'un camp à l'autre sans daigner aborder le fond du problème. Quant à John C. Reilly, gros nounours réconciliateur adepte des valeurs apaisantes du clafoutis, il préfère finalement siroter son whisky 18 ans d'âge plutôt que de renoncer enfin à sa personnalité mesquine. Tous défoncent à coeur joie le peu d'harmonie possible. Hystérique et débridée, leur interprétation collective hisse ce petit film au rang d'oeuvre d'un intérêt certain.
Carnage
Film français de Roman Polanski (2011)
Pour compléter les nationalités du long-métrage, j'aurais pu préciser que ses producteurs sont aussi polonais, allemands et espagnols. Autre caractéristique: la durée de la projection, qui ne dépasse pas l'heure et demie. Ce format a permis au réalisateur de se concentrer sur l'essentiel, au détriment de la conclusion, que j'ai personnellement trouvée un peu bâclée ou "queue de poisson". Roman Polanski peut mieux faire, c'est évident. Il l'avait rappelé dans son dernier film, The ghost writer, déjà commenté ici. J'aimerais maintenant me retourner sur ses oeuvres plus anciennes pour compléter le tableau. Je ne sais pas quand, mais il est certain que je reparlerai de sa Palme d'or pour Le piansite, du grand polar qu'est Frantic ou des frissons de Rosemary's baby. Entre autres.
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Pour un autre avis sur le film...
Je vous conseille de lire "Sur la route du cinéma".
Cette épisode de "plus moche la vie!" m'a quand même bien fait rire. Je m'associe volontiers à cette dénonciation de la névrose chrétienne mais ce film doit être vu en V0. Le doublage français est catastrophique.
RépondreSupprimerMerci Martin et à la prochaine.
Franck