dimanche 4 décembre 2011

Résister, aimer, vivre

Une chronique de Martin

Le hasard fait bien les choses: la liste des films que j'ai vus dernièrement m'autorise à vous parler aujourd'hui d'un chef d'oeuvre du cinéma hollywoodien. Et dans trois jours, j'aurais pu commémorer le 70ème anniversaire de l'attaque de Pearl Harbor: ça aurait été bien aussi. Le classique que je vais tâcher de décrypter aujourd'hui, c'est l'immense Casablanca, une oeuvre mythique autour de laquelle je tournais depuis longtemps et que j'ai enfin découverte il y a peu. Sans attendre davantage, je vous la recommande plus que vivement !

Tiré d'une... pièce de théâtre, Casablanca illustre un chapitre méconnu de la seconde guerre mondiale, l'arrivée d'un nombre important de réfugiés dans la ville marocaine, après que les troupes hitlériennes ont déferlé sur Paris. Une tragédie évoquée en voix off dès le début du film, un rappel du contexte bien venu sept décennies plus tard. Mais comme la première image le suggère, il ne sera ensuite plus question du conflit mondial que comme arrière-plan d'une histoire humaine, entre un homme et une femme, précisément, Rick et Ilsa, amants séparés que le destin a daigné remettre sur le même chemin. Repartiront-ils vers une autre vie ensemble, comme ils n'avaient pas pu le faire au temps insouciant des premières amours ? Je vous laisse le découvrir. Il existe objectivement des pépites dont il est bon de ne pas dire tout l'éclat. Sachez juste qu'il y a un autre homme dans la vie d'Ilsa, ce qui vient évidemment compliquer une situation déjà passablement pathétique, et que l'ennemi est aux portes de la ville, ce qui n'aide réellement personne à garder la tête froide. Incontestablement, le genre qu'aborde ici Michael Curtiz, cinéaste prolifique, est le mélodrame. La réussite du film tient à ce qu'il parvient à transcender les figures classiques et présente un juste équilibre entre romance et suspense. Le propos n'est d'ailleurs pas dénué d'humour, offrant aux acteurs principaux, Humphrey Bogart et Ingrid Bergman, des personnages absolument uniques. Rick et Ilsa sont presque réels, en fait.

Au-delà de tout, je crois que c'est d'ailleurs justement ce qui m'a plu. Une fois encore, j'ai admiré la capacité du cinéma américain d'aborder une page noire de l'histoire pour en faire sans temps mort une fiction à la fois émouvante, mobilisatrice et "divertissante". Casablanca est sorti en salles en 1942: le rôle d'Humphrey Bogart devait d'abord revenir à... Ronald Reagan, le futur président, finalement appelé sous les drapeaux en sa qualité de réserviste ! Anecdote parmi des dizaines d'autres qui peuvent expliquer pourquoi cette oeuvre peut prétendre au rang qui est le sien dans l'inconscient collectif des cinéphiles. Le film, et c'est aussi sa force, nous parle d'un temps où le cinéma ne fonctionnait pas comme il le fait aujourd'hui. Les comédiens ne faisaient pas la loi: ils étaient d'abord les employés d'un studio, l'une de ces maisons qui démarraient alors jusqu'à un nouveau projet une fois par semaine ! Aussi fabuleux puisse-t-il paraître, ce long-métrage n'était donc d'abord qu'un film parmi d'autres, dirigé d'ailleurs par un non-spécialiste du genre. L'histoire retient aussi qu'il a été tourné "à la petite semaine". Longtemps, les scénaristes n'ont pas su le conclure et on dit même qu'Humphrey Bogart a été rappelé quelques jours après le clap de fin pour enregistrer la toute dernière réplique. Et ça fonctionne ! Comment ? Lauren Bacall y voit la magie du septième art. Moi aussi.

Bien sûr, tout part comme toujours d'un texte et d'interprétations. Or, même si l'image porte le poids des années, ce que le film raconte n'a pas vieilli. Il y est question de résistance aux contraintes inacceptables du monde extérieur et de dilemmes intimes pour faire face aux situations de tension, les deux facettes d'un même thème finalement très humain. Les peurs et atermoiements amoureux ajoutés au drame le rendent encore plus fort, parce que plus évident. De fiction, mais concrète, l'intrigue de Casablanca me semble pouvoir parler à tout le monde, tout le temps. L'inspiration créatrice qui a guidé la plume est admirable: la plupart des protagonistes s'avère ambiguë, voire changeante. Il règne tout au long du film quelque malaise diffus, une menace sourde qui en ferait une tragédie classique si la règle de la triple unité était totalement respectée. Qu'importe: même venu des planches et passé au cinéma, le scénario est aussi une incroyable partition à multiples voix, portée évidemment par d'excellents acteurs. Le fait même que la production ait eu à revenir sur ses intentions premières quant à la distribution ajoute encore à la légende: le film tel qu'on le connaît aurait bien pu ne jamais exister. Le fait qu'il soit bel et bien sorti sous cette forme doit bien sûr à l'expression de plusieurs grands talents, mais aussi, donc, un peu aux aléas de l'existence. Quand il permet d'admirer pareille merveille, le hasard fait décidément bien les choses...

Casablanca
Film américain de Michael Curtiz (1943)
Vous aurez compris que j'ai préféré rester évocateur. Il y aurait évidemment mille autres choses à dire sur ce chef d'oeuvre. Maintenant, le comparer à un autre film ? J'ose à peine le faire. Puisque j'ai évoqué le hasard, je note que cet hommage vibrant lancé aux hommes et femmes qui résistent est apparu une seule année après Les visiteurs du soir, de Marcel Carné. Même si ce second film se déroule au Moyen Âge, son propos n'est pas forcément si lointain. Je n'en dis pas plus pour préserver votre très probable plaisir d'aller maintenant y voir de plus près. Sur le blog et bien sûr dans les films.

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