mercredi 21 mai 2025

Un regard somalien

Avec 637.657 km2 et 18,5 millions d'habitants, elle est l'un des pays les plus pauvres et les moins sûrs de la planète. Exemple: le Canada conseille à ses ressortissants de l'éviter ou d'en partir s'ils y sont déjà. Un film, pourtant, nous est arrivé de Somalie en avril, tourné là-bas avec des non-professionnels. Et ensuite promu à Cannes, l'an passé...

Si ce n'est bien sûr de la visibilité, Le village aux portes du paradis n'aura rien retiré de sa participation à la sélection Un certain regard. Ce regard, c'est celui d'un réalisateur né en 1992, lui-même somalien et installé en Europe (Autriche) après y avoir été formé au cinéma. Intelligemment, il a placé en tout début de métrage quelques images d'une chaîne d'info britannique, évoquant l'élimination d'un terroriste islamique supposé... par un drone de l'armée américaine ! Un choix narratif qui correspond à une réalité, tout en ancrant d'emblée le pays dans la vision que les Occidentaux férus d'actualité peuvent en avoir. Pas question toutefois de s'en tenir à ce constat: le scénario s'articule autour de trois personnages civils, un enfant, son père et sa tante. L'occasion de montrer une population dont la situation économique demeure à ce jour extrêmement instable, pour ne pas dire précaire. Or, c'est le miracle de l'inspiration: le film n'est jamais misérabiliste !

Un cliché éculé pourrait me faire dire que ce - premier - long-métrage rend à ces gens leur dignité. Mais c'est encore mieux: la description minutieuse de leurs démarches quotidiennes pour se tirer d'affaire passe avant tout par les images, qui, souvent, précèdent les mots. Certains jugeront probablement que Le village aux portes du paradis n'est pas un film bavard: c'est en fait un film lent, qui prend le temps de poser sa caméra et laisse le spectateur comprendre ce qu'il voit sans se sentir obligé de trop expliciter le propos. Je crois sincèrement qu'il n'est pas nécessaire d'être un expert de la géopolitique mondiale pour "apprécier le spectacle", qui en appelle plutôt à notre humanité commune et nous offre alors quelques plans absolument magnifiques. Le titre lui-même est comme un avant-goût de ce qui nous attend d'un point de vue esthétique. Le réalisateur a expliqué en interview qu'à ses yeux, son pays a de très nombreux atouts que d'autres pays africains peuvent lui envier, sans parvenir à les exprimer pleinement. Rien que pour cela, je dis qu'il mérite qu'on s'intéresse à son travail...

Le village aux portes du paradis
Film somalien de Mo Harawe (2025)
Vous l'aurez compris: j'ai eu un vrai coup de coeur pour cet opus, fort et sensible à la fois. Soutenu en outre par des producteurs norvégiens et français, il confortera mon intérêt pour le cinéma venu d'Afrique. Vous vous souviendrez peut-être que j'avais déjà présenté un film somalien: La femme du fossoyeur, il y a un peu plus de trois ans. Celui-là se passait à Djibouti et, oui, reste vraiment recommandable !

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Une petite précision...
Le film est en somali, l'une des langues officielles du pays - la seconde étant l'arabe. Elle regroupe 35 millions de locuteurs (selon Wikipédia).

Et avant de conclure...

Vous pourrez aller lire la mini-chronique de Pascale. Je la remercie pour m'avoir permis de me souvenir du prénom des trois personnages principaux du récit, à savoir Cigaal (l'enfant), Marmargade (le père) et Araweelo (la tante). Je suis très heureux de les avoir "rencontrés" !

2 commentaires:

  1. C'est un film déconcertant je trouve.
    La façon dont s'expriment les personnages m'a gênée. Un décalage permanent entre une question et sa réponse comme si tout demandait une intense réflexion.
    L'histoire des 3 personnages est éprouvante. La place de la femme évidemment est lamentable.
    J'ai été surprise de découvrir le véritable lien entre le père et son fils...
    J'étais contente de faire leur connaissance, de découvrir ce pays abandonné, malheureusement la forme du film malgré sa beauté a dû en déconcerter plus d'un.
    Mais nulle doute qu'un réalisateur est né. J'espère qu'il aura les moyens de faire d'autres films.

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    1. Tu as raison : il y a souvent un décalage dans les dialogues. Cela m'a surpris aussi et parfois un peu dérouté. Mais pas gêné : à vrai dire, j'ai même trouvé ça plutôt apaisant.

      Je ne suis pas sûr que cela ait déconcerté grand-monde. Après quatre semaines d'exploitation et malgré ce titre magnifique, le film n'avait attiré qu'à peine plus de 20.000 curieux.
      https://www.allocine.fr/film/fichefilm-306982/box-office/

      Je ne sais pas ce qu'il faudrait faire pour que ça change, mais cela me désole un peu...

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