Salut tout le monde ! Comme prévu, Joss fait un retour rapide aujourd'hui pour vous parler d'un film qui l'a passionnée: Mr. Turner. Intéressé moi aussi, je lui laisse donc la parole sans plus de tralala...
J'ai toujours raffolé de biopics. Celui-là m'a comblée. Les vingt-cinq dernières années de l'un des plus grands peintres britanniques, si ce n’est le plus grand, Joseph Mallord William Turner (1775-1851) dont on retient surtout les marines ouvertes sur des soleils couchants époustouflants de lumière et ses vues de la Tamise, dont l'incendie du Parlement. Un impressionnisme tout à fait particulier qui lui donne une centaine d'années d'avance sur la peinture de ses contemporains.
J'ai toujours raffolé de biopics. Celui-là m'a comblée. Les vingt-cinq dernières années de l'un des plus grands peintres britanniques, si ce n’est le plus grand, Joseph Mallord William Turner (1775-1851) dont on retient surtout les marines ouvertes sur des soleils couchants époustouflants de lumière et ses vues de la Tamise, dont l'incendie du Parlement. Un impressionnisme tout à fait particulier qui lui donne une centaine d'années d'avance sur la peinture de ses contemporains.
En dépit de sa qualité de membre de la Royal Academy, l'artiste à la fois reconnu (et dissipé !) est raillé par la haute société. William vit entouré de son père, qui est également son assistant, et de sa gouvernante dévouée. Amateur de bordels, cet homme au physique ingrat partage son quotidien entre la peinture et les voyages qui l'inspirent grandement. Profondément affecté par le décès de son père, William Turner s'isole, jusqu'au jour où il rencontre la propriétaire d'une pension de famille, à Margate, au bord de la mer…
Comme il est bon, le temps qui passe aux côtés de l'artiste ! Où les années semblent des jours, et parfois le contraire… On y chemine au rythme de Turner, souvent filmé de dos. Et à mesure que l'homme avance, nous nous familiarisons avec le personnage, lourd, grognant plus qu'il ne parle, exprimant peu ou pas ses sentiments, souvent terrassé par la souffrance, trouvant rédemption dans le pinceau, et laissant parfois émerger le trait d'humour ou de dérision, d'un simple regard, geste ou onomatopée…. La lumière de ses sujets est intense. Celle que perçoit Turner le transcende avant de nous atteindre au plus profond de nous-mêmes. Nous connaissions tous - ou presque - son style ou au moins une de ses œuvres, mais voilà qu’il nous étrille d'émotion, cet être hors du commun. Plus jamais, nous ne pourrons revoir une seule de ses toiles avec le même sentiment.
J'avais lu en son temps de nombreuses critiques sur ce film qui m'avait déjà sublimée. D'un côté, trop esthétique, trop long, cinéaste en retard sur le peintre, acteur piégé par un paradoxe temporel... Et de l'autre, un chef-d’œuvre ! En fait, pas de juste milieu, pas de critique tiède. Personnellement, c'est dans une œuvre majeure que je me suis une seconde fois retrouvée. Impossible de faire abstraction de la réelle vivacité de ce film qui lui confère au meilleur moment l'énergie nécessaire. Mike Leigh s'est d’ailleurs saisi de l'un des plus médiatiques évènements ayant agité la société londonienne en 1832.
Lors de la grande exposition annuelle de la Royal Academy de Londres, Turner se trouva accroché auprès de son éternel rival, Constable (autre grand peintre, dans le genre laborieux). Il présentait une marine dans les tons bleu pâle et vert sombre, de pure tradition hollandaise. Or, son voisin avait choisi un sujet cher au cœur des Londoniens : l’inauguration du pont de Waterloo, rutilant sous les ors et vermillons. Turner jaugea l'affaire longuement, puis, la veille du vernissage, apposa en public une touche de minium , imposant une toute petite bouée rouge au centre de sa composition, dont il traça la base d’un seul coup de pouce, aimantant tous les regards.
"Il est venu ici et a tiré un coup de canon", dira Constable déconfit, en découvrant cette riposte. Deux siècles plus tard, une paire de musées londoniens rallumaient gaiement la querelle en exposant simultanément les deux peintres. À sa façon, Mike Leigh a lui aussi réchauffé le calumet de l'histoire en offrant à Turner un visage qui lui appartient. J'avais également entendu que la scène où le peintre se fait ligoter au sommet d’un mât afin de se retrouver au cœur des éléments n'était que légende (ou disons sans aucune preuve). Qu'importe, Turner aurait pu faire cette démarche. Il l'a sûrement faite, si compulsif dans ses dessins comme dans sa perception de toute chose, par laquelle l'artiste donnait la part belle à l'instinct.
Lorsque la famille légitime du peintre (nombreuse, avec petite-fille à la clé) se présente régulièrement au domicile des Turner, visiblement abandonnée par William, c'est le père de ce dernier qui a l'habitude de les recevoir avec bienveillance, sous le regard et le ton acide de la belle-fille. Il est évident que William est protégé par son père. On peut imaginer une enfance douloureuse, la perte de la mère, que sais-je ? Bref, sa grande irresponsabilité est criante. On ne comprend pas comment le peintre a pu en arriver là, mais on le prend comme il est. On s'attend à tout avec cet écorché vif. Une fragilité dissimulée sous un quintal de chair mal assumée. Au décès de son père, William se donne encore davantage à son art et sortira vainqueur de sa solitude, grâce aussi à sa belle relation avec la propriétaire de la pension où il aime trouver refuge, demeurant des jours durant derrière sa fenêtre donnant sur la mer pour en capter les humeurs. Cette harmonie nouvelle, on la perçoit grâce à la finesse de Mike Leigh. Là encore, jour après jour, saison après saison, le beau s'installe entre les êtres, entre le peintre et la nature, entre le peintre et lui-même. Derrière ce titre si sobre, un très grand film.
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Mr. Turner
Film britannique de Mike Leigh (2014)
Distribution :
Timothy Spall : J.M.William Turner
Paul Jesson : William Turner (le père)
Marion Bailey : Sophia Booth (la propriétaire de la pension)
Dorothy Atkinson : Hannah Danby
Karl Johnson : M. Booth
Ruth Sheen : Sarah Danby
Sandy Foster : Evelina
Festival de Cannes 2014
• Prix d'interprétation masculine pour Timothy Spall
• Prix Vulcain de l'artiste technicien pour Dick Pope
Boston Society of Film Critics Awards 2014 :
• Meilleur acteur pour Timothy Spall (2e place)
• Meilleur scénario pour Mike Leigh (2e place)
• Meilleure photographie pour Dick Pope (2e place)
Los Angeles Film Critics Association Awards 2014 :
Meilleure photographie pour Dick Pope (2e place)
National Board of Review Awards 2014 :
Top 2014 des meilleurs films indépendants
New York Film Critics Circle Awards 2014 :
Meilleur acteur pour Timothy Spall
Prix du cinéma européen 2014 :
Meilleur acteur pour Timothy Spall
National Society of Film Critics Awards 2015 :
• Meilleur acteur pour Timothy Spall (1re place)
• Meilleure photographie pour Dick Pope (1re place)
• Meilleur film (3e place ex-æquo avec Birdman)
Je n'avais pas été très emballée car j'ai trouvé que le film réservait trop peu de place à l'oeuvre, insistant uniquement sur la vie du peintre. J'aime faire découvrir les gens que j'aime et là j'avais la sensation que les gens sortiraient de la salle sans vraiment savoir ce qu'il peignait...
RépondreSupprimerJe n'ai pas vu ce biopic, mais je peux comprendre la sensation que tu as ressentie.
RépondreSupprimerApparemment, ce Turner avait une sacrée personnalité. C'est sans doute ce que le réalisateur a voulu illustrer.
Montrer l'oeuvre et/ou l'artiste... ce n'est pas forcément facile de trouver le juste équilibre.
Je comprends tout à fait ton sentiment, et je me serais peut-être sentie moi-même frustrée si je n'avais pas déjà bien connu l'oeuvre de Turner (j'ai essayé de me transposer dans un biopic sur un peintre que je connais moins). Malgré tout, les paysages devant lesquels Turner passe des heures à marcher peuvent nous apporter des indices, tout comme ce geste de la bouée rouge (si vive, si nette) apposée d'un coup de pouce et révélant tout le reste de la marine aux tons diffus... Les côtes, les rives, qu'il aime tant fréquenter sont souvent brumeuses ; les couchers de soleil ardents. Il ne pouvait que les restituer.
RépondreSupprimerEn tout cas, votre "conversation", Mesdames, m'incitera sans doute à voir le film quand l'occasion se (re)présentera.
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