Les meilleures choses ont une fin. Habitués à travailler ensemble avant et pendant la guerre, l'un à la réalisation, l'autre au scénario, Marcel Carné et Jacques Prévert se retrouvent une toute dernière fois juste après, en 1946, pour un très beau film: Les portes de la nuit. Cet opus serait en fait le dernier représentant du réalisme poétique...
Selon le Larousse des genres et mouvements au cinéma, cet oxymore est d'abord apparu dans les écrits de la critique littéraire. Appliquée ensuite au septième art, l'intention maîtresse du réalisme poétique consiste en une description sensible de personnages issus des classes sociales défavorisées, souvent accablés par un destin contraire. Description toutefois complétée par la démonstration assez explicite de leurs sentiments exacerbés, d'amour et/ou de haine mélangés. Tout cela se retrouve dans Les portes de la nuit, qui s'inspire justement du climat social de la fin de l'hiver 1944-45 pour inventer un drame édifiant et intemporel. Le public de l'époque n'a pas suivi...
Il faut dire que Carné et Prévert ne le ménagent pas franchement ! Reconstruit en studio par Alexandre Trauner, le Paris enfin libéré affiche son côté sombre. La guerre n'est pas terminée et l'héritage pétainiste est donc encore loin d'être soldé. Aux vrais personnages positifs, le film oppose vite des âmes perdues et quelques affreux collaborationnistes, dont la seule motivation personnelle un peu solide reste de passer entre les gouttes des futurs règlements de compte. Les honnêtes gens peuvent-ils simplement s'aimer dans ce contexte ? Pas sûr. La réponse que donne le film n'est pas des plus optimistes. L'idéal serait alors que vous en jugiez par vous-mêmes, à mon avis...
Le duo d'artistes derrière la caméra avait-il en fait un message particulier à faire passer ? Je n'ai pas d'opinion définitive sur le sujet. La question reste posée pour Prévert, connu pour ses engagements politiques, à l'opposé de la France de Vichy. Pour Carné, les choses sont différentes, d'après ce que j'ai pu comprendre. "Ce qui m'attrista le plus, ce fut de voir que
le film, dès sa sortie, prit une couleur politique, dit-il un jour à propos de ce film, Les portes de la nuit. Personnellement,
je n'avais nullement cherché à la mettre". Qu'importe, au fond: à mes yeux, la puissance émotionnelle du film désamorce toute polémique, d'autant que nous avons 72 ans de recul !
Je vous donnerai donc un conseil: oubliez un instant son apparence réaliste et laissez libre cours à l'aspect poétique de ce long-métrage ! Ses formidables acteurs vous y invitent. Appelés aux premiers rôles après le refus du couple Marlene Dietrich/Jean Gabin, Nathalie Nattier et Yves Montand, le duo d'amoureux, n'ont pourtant que 22 et 25 ans. Serge Reggiani, 24 printemps, est superbe, lui aussi, en incarnation tourmentée du mal absolu. Et que dire alors des cadors ? Jean Vilar ! L'idée de lui faire incarner le Destin tient de l'inspiration géniale. Derrière ? Pierre Brasseur, Julien Carette et d'autres: tous excellents. On ne fait plus de films comme celui-là ? C'est logique et dommage...
Les portes de la nuit
Film français de Marcel Carné (1946)
Politique ou non, ce film m'a donc fait une très forte impression. Maintenant, si vous êtes davantage intéressés par l'histoire d'amour qu'il raconte, je vous conseille d'autres Carné d'ores et déjà présents sur le blog, dont mon préféré: Le jour se lève. Les cinéphiles portés sur une réflexion historique, eux, verront utilement un film allemand sorti juste la même année: Les assassins sont parmi nous. Glaçant !
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À noter également...
Le film sublime aussi une chanson devenue légendaire: Les feuilles mortes (paroles de Jacques Prévert sur la musique de Joseph Kosma). Séduits ? Une page Wikipédia vous en dit davantage sur son histoire.
S'il vous reste un peu de temps et d'envie...
Je vous suggère d'aller lire aussi la chronique de "L'oeil sur l'écran". Légèrement plus explicite sur le fond, elle livre aussi quelques infos supplémentaires sur la forme. Vous en savez plus ? Je suis tout ouïe !
Selon le Larousse des genres et mouvements au cinéma, cet oxymore est d'abord apparu dans les écrits de la critique littéraire. Appliquée ensuite au septième art, l'intention maîtresse du réalisme poétique consiste en une description sensible de personnages issus des classes sociales défavorisées, souvent accablés par un destin contraire. Description toutefois complétée par la démonstration assez explicite de leurs sentiments exacerbés, d'amour et/ou de haine mélangés. Tout cela se retrouve dans Les portes de la nuit, qui s'inspire justement du climat social de la fin de l'hiver 1944-45 pour inventer un drame édifiant et intemporel. Le public de l'époque n'a pas suivi...
Il faut dire que Carné et Prévert ne le ménagent pas franchement ! Reconstruit en studio par Alexandre Trauner, le Paris enfin libéré affiche son côté sombre. La guerre n'est pas terminée et l'héritage pétainiste est donc encore loin d'être soldé. Aux vrais personnages positifs, le film oppose vite des âmes perdues et quelques affreux collaborationnistes, dont la seule motivation personnelle un peu solide reste de passer entre les gouttes des futurs règlements de compte. Les honnêtes gens peuvent-ils simplement s'aimer dans ce contexte ? Pas sûr. La réponse que donne le film n'est pas des plus optimistes. L'idéal serait alors que vous en jugiez par vous-mêmes, à mon avis...
Je vous donnerai donc un conseil: oubliez un instant son apparence réaliste et laissez libre cours à l'aspect poétique de ce long-métrage ! Ses formidables acteurs vous y invitent. Appelés aux premiers rôles après le refus du couple Marlene Dietrich/Jean Gabin, Nathalie Nattier et Yves Montand, le duo d'amoureux, n'ont pourtant que 22 et 25 ans. Serge Reggiani, 24 printemps, est superbe, lui aussi, en incarnation tourmentée du mal absolu. Et que dire alors des cadors ? Jean Vilar ! L'idée de lui faire incarner le Destin tient de l'inspiration géniale. Derrière ? Pierre Brasseur, Julien Carette et d'autres: tous excellents. On ne fait plus de films comme celui-là ? C'est logique et dommage...
Les portes de la nuit
Film français de Marcel Carné (1946)
Politique ou non, ce film m'a donc fait une très forte impression. Maintenant, si vous êtes davantage intéressés par l'histoire d'amour qu'il raconte, je vous conseille d'autres Carné d'ores et déjà présents sur le blog, dont mon préféré: Le jour se lève. Les cinéphiles portés sur une réflexion historique, eux, verront utilement un film allemand sorti juste la même année: Les assassins sont parmi nous. Glaçant !
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À noter également...
Le film sublime aussi une chanson devenue légendaire: Les feuilles mortes (paroles de Jacques Prévert sur la musique de Joseph Kosma). Séduits ? Une page Wikipédia vous en dit davantage sur son histoire.
S'il vous reste un peu de temps et d'envie...
Je vous suggère d'aller lire aussi la chronique de "L'oeil sur l'écran". Légèrement plus explicite sur le fond, elle livre aussi quelques infos supplémentaires sur la forme. Vous en savez plus ? Je suis tout ouïe !
Bonjour Martin. Les portes de la nuit est souvent considéré comme raté. Tu l'as dit, on attendait le charisme Gabin-Dietrich... Les Français, en recherche d'optimisme, ont fait la moue devant la dureté du film et malgré sa poésie, peut-être un peu artificielle, qui nous valut quand même certaines Feulles mortes qui eurent un petit" succès. Et puis, chant du cygne du duo magique Prévert-Carné + dream team Trauner-Kosma + seconds rôles d'anthologie Carette, Bussières, Fabre. Mais Prévert et Carné n'ont jamais ont été des chantres d'optimisme et rappelons que trois films sur sept du tandem comportent un suicide, Le quai..., Le jour..., Les portes...
RépondreSupprimerIci rentrée cinéphile un peu difficile. Un peu de pessimisme à la Prévert-Carné.A bientôt. En attendant cap sur Edimbourg.
Je te souhaite un bon séjour en Écosse, l'ami ! Et bon courage, ensuite, pour cette rentrée difficile...
RépondreSupprimerMerci pour ce commentaire érudit sur la collaboration Carné / Prévert, dont, à vrai dire, je ne me lasse pas.
Pour un chant du cygne, comme tu le dis si bien, ce film reste à mon goût d'une grande beauté. Le côté "artificiel" ne me dérange pas, surtout qu'il est à mon sens largement transcendé par le talent des artistes interprètes et des techniciens.
Merci Martin, tu donnes envie avec cette chronique et je n'ai encore jamais vu ce Carné (à cause de sa réputation).
RépondreSupprimerDe rien. Je suis content de te donner envie.
RépondreSupprimerJ'ignorais que la réputation de ce Carné était si mauvaise...
C'est incompréhensible qu'il ait été boudé et même moqué il me semble à cause du couple d'amoureux pas à la hauteur du couple mythique pressenti.
RépondreSupprimerJe trouve Yves Montand vraiment bien.
Et rien des chansons qui ont traversé les âges ? Les enfants qui s'aiment et Les feuilles mortes.
C'est clair !
RépondreSupprimerFranchement, j'aime Dietrich et Gabin, mais le couple Nattier / Montand tient la route.
S'il est encore malaimé, je dirais donc encore une fois que ce film mérite d'être réhabilité !