lundi 6 novembre 2017

Faucille, marteau et cinéma

Pas d'erreur: en vertu de notre calendrier actuel, c'est bien cette nuit que nous fêterons (ou pas) le centième anniversaire de la Révolution russe d'octobre. Je me suis dit que ce serait intéressant de regarder un peu ce que pouvait être le cinéma soviétique des origines. Ce sera le sujet du deuxième épisode de mon fil rouge "Histoire du cinéma"...

Premier de mes constats: avant la Révolution, le régime tsariste permet au septième art de se lancer en Russie. Les oeuvres produites par les frères Lumière sont de ce fait envoyées de Paris vers Moscou et Saint-Pétersbourg dès 1896 et, dès la première année, le cinéma russe diffuse ses premières images: un "documentaire" sur le sacre de Nicolas II. Les estimations font part ensuite d'environ 2.000 films réalisés jusqu'en 1917, dont à peine 10% existent toujours, les autres étant détériorés avec le temps ou tout simplement non conservés. Tolstoï, l'immense écrivain, a dit du cinéma: "Cette petite machine qui tourne en faisant clic-clac révolutionnera notre vie". Bien trouvé !

Au moins à des fins de propagande, les grands révolutionnaires russes s'intéressent au septième art. Arrivé au pouvoir, Lénine en faisait même "de tous les arts, le plus important". Un peu avant son départ forcé en Amérique du sud, en bon théoricien de la diffusion des idées de la Révolution, Trotski jugeait quant à lui: "Quand nos hameaux disposeront de cinémas, nous serons prêts à achever la construction du socialisme". La fin du tsarisme permet une ouverture à des sujets jusqu'alors censurés, tels que la religion ou... l'idéal révolutionnaire. Quelques grands noms commencent ainsi à émerger: Sanine, Bauer, Protazanov, Malikov... les talents d'une industrie alors très inventive.

Dès août 1919, la production et la distribution cinématographiques sont nationalisées. Le pouvoir accorde aux réalisateurs des moyens importants, mais reprend le contrôle, ce qui en conduit un nombre important sur les chemins de l'exil. Une École nationale du cinéma apparaît en septembre de la même année ! Les premiers théoriciens veulent faire du septième art une d'expression "différente", coupée de l'influence théâtrale, en faisant jouer les comédiens différemment et dans des contextes inhabituels. Petit à petit, le nombre de films produits augmente, sans atteindre encore des sommets. Les écrans s'animent d'adaptations des grands classiques de la littérature russe.

La complète liberté artistique ne sera bientôt plus qu'une illusion déçue. En 1924/25, la création de l'agence gouvernementale Sovkino apporte certes un nouvel outil de travail, mais institue un contrôle direct sur les scénarios. Le but est clair: par une éventuelle censure préalable, il s'agit de promouvoir une idéologie d'État. La jeune Union soviétique se replie sur elle-même: Sovkino détient ainsi le monopole de l'importation des films étrangers. Une dizaine d'années passeront et l'on parlera ensuite de "réalisme socialiste", un courant cinéma basé sur l'exaltation de héros positifs et le rejet de tout formalisme. En est-on sorti aujourd'hui ? Je ne sais pas. Je constate simplement qu'il n'existe plus d'agence, mais que les fonctions ont été reprises par... le ministère russe de la Culture. Je vous reparlerai sûrement...

----------
En attendant, quelques mots encore...
Je tiens d'abord à préciser que mes photos du jour ne sont pas issues de films - sauf la troisième, à retrouver dans Le cuirassé Potemkine. Il se trouve que j'ai également un film soviétique à vous présenter dans deux petites semaines. Ce qui vous laissera le temps de réagir !

18 commentaires:

  1. Quelle bonne idée de revenir sur les débuts du cinéma russe, par le biais de ce centième anniversaire de la révolution. J'y reviendrai aussi, d'une toute autre manière et sans même le mentionner, tout à l'heure.

    J'avais également cité cette phrase de Lénine sur mon blog : " « De tous les arts, le cinéma est pour nous le plus important » déclare en substance Lénine, qui décide d’utiliser le cinéma comme outil de propagande pour éduquer le peuple."

    Andreï Tarkovski, bien des années plus tard, devra continuellement se battre imposer son art sans compromission. Il finira d'ailleurs par quitter son pays, et tournera en Italie et en Suède, et décédera dans une clinique à Paris.

    Pour en revenir aux années vingt, j'avais noté La maison du mystère (10 épisodes) d'Alexandre Volkoff. Il quitta la Russie pendant la révolution pour rejoindre la France, lui aussi...

    RépondreSupprimer
  2. Hasard du calendrier (comme ils disent dans le poste)...
    ce soir un chef d'œuvre relatant la révolution.

    RépondreSupprimer
  3. Bonjour Martin. Intéressante approche du grand cinéma soviétique. J'ai jadis travaillé sur Eisenstein,, cinéaste passionnant s'il en est, toujours à redécouvrir. Mais je connais bien mal les autres. Un peu Poudovkine, un peu Dovjenko (La terre est un film saisisssant et je possède Arsenal depuis longtemps mais je n'ai pas encore pris le temps de le regarder). AS-tu comme moi quelques films ancestraux logés dans un coin et que tu n'a pas encore vus? Vu hier en ciné-débat Des lois et des hommes. Les gens, pas très nombreux, ont apprécié. J'y reviens dans un petit billet. A+.

    RépondreSupprimer
  4. Lénine et Trotski voyaient juste avec une vision intellectuelle voire artistique.
    Ce qui suivit relève de la propagande.
    Pour "fêter" Octobre 1917 Arte a choisi un film hollywoodien certes mais que c'était BON.
    La scène de L'internationale me fout encore le frisson.
    Mercredi soir tard... sera diffusé Le cuirassé Potemkine.
    As tu vu le biopic sur Eisenstein ?

    RépondreSupprimer
  5. Je n'ai pas beaucoup de sympathie pour les régimes dictatoriaux qui ont utilisé le cinéma à des fins de propagande d'Etat, mais il est vrai que l'URSS produisit quelques classiques - Eisenstein est un grand cinéaste en effet.

    RépondreSupprimer
  6. @Sentinelle:

    Puisque tu parles de Tarkovski, le plus drôle est que le seul film que j'ai vu de lui est effectivement suédois.
    Et, pour l'anecdote, le seul film soviétique que j'ai chroniqué ici est l'oeuvre… du Japonais Akira Kurosawa !

    J'espère en tout cas avoir l'occasion d'en voir et de vous en présenter d'autres à l'avenir.

    RépondreSupprimer
  7. @Pascale 1:

    Je ne l'ai pas vu, ton chef d'oeuvre...

    RépondreSupprimer
  8. @Pascale 2:

    …mais je l'ai en DVD ! Une séance de rattrapage reste donc possible.

    RépondreSupprimer
  9. @Eeguab:

    Ce qui est bien, avec toi, c'est que même quand tu ne connais pas beaucoup, tu as des noms à citer !

    Et sinon, pour te répondre, oui, j'ai quelques trésors dans ma collection que je dois encore découvrir.
    Parmi eux, je pense qu'il doit y avoir au moins un ou deux Eisenstein. Nous en reparlerons sûrement un jour.

    RépondreSupprimer
  10. @Pascale 3:

    Tu me rappelles à juste titre qu'il me reste beaucoup à découvrir.
    Et non, je n'ai pas vu le biopic sur Eisenstein ! On peut le découvrir sans avoir vu ses films ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah mais oui. Greenaway filme, les doigts dans la prise, 10 jours de la vie du réalisateur. C'est brillant, éreintant... et l'acteur, Elmer quelque chose est époustouflant.

      Supprimer
  11. @Strum:

    Tu as évidemment compris qu'il ne s'agit pas ici de faire l'apologie des dictatures.
    J'avoue que je suis fasciné par ces artistes qui savent se montrer assez malins pour éviter la censure.

    RépondreSupprimer
  12. @Pascale 1:

    Pour suivre ton conseil, j'ajoute donc "Reds"...

    RépondreSupprimer
  13. @Pascale 2:

    …et "Que viva Eisenstein" à la (longue) liste de mes envies cinéma.
    Le premier m'est plus accessible, mais il se peut que d'autres films soviétiques le précèdent.

    RépondreSupprimer
  14. J'ai vu hier sur Arte "L'utopie des images de la révolution russe". Ils parlaient de Maïakovski, Koulechov, Protazanov ou Barnet qui ont réalisé des films très divers (drame, comédie, SF) mais qui ont été vite "mis au pas" par Staline...
    Du cinéma russe, personnellement je n'ai vu que "Ivan le terrible" (film muet) et "quand passent les cigognes"
    Le film "Reds" est effectivement à voir avec un Warren Betty et une diane Keaton qui ont très bien cerné leurs personnages! Il dure tout de même 3h, alors il faut trouver le bon moment pour l'appécier :)

    RépondreSupprimer
  15. Je n'ai pas vu ce documentaire, mais il avait l'air intéressant. En replay, peut-être.
    "Ivan le terrible" et "Reds" font partie de mes possibles, chacun dans leur genre. Q'importe la longueur.

    À suivre...

    RépondreSupprimer