Une chronique de Joss
Eh oui, cette fois, on y est ! L'été nous échappe et la rentrée a bel et bien sonné. On a beau se motiver, dur-dur de remettre le fantôme de ses tongs dans les mocassins vernis. Alors pour apporter une modeste contribution à l'effort collectif, voici une comédie bien tournée aux accents latino dont le style me rappelle Pain, tulipes et comédie (réalisé en 2000 par Silvio Soldini avec Licia Maglietta et Bruno Ganz, bientôt chroniqué sur ce même blog). Mais attention à ne pas confondre Paraíso avec d'autres films du même titre. Celui-ci est une comédie mexicaine, tirée du livre de Julieta Arevalo Contreras.
Carmen et Alfredo - couple obèse entre trente et quarante ans - mènent une vie très satisfaisante à Ciudad Satelite, une jolie banlieue de Naucalpan au Mexique. Ils s'entendent à merveille, entourés d'une famille et d'amis sympas et sincères, une jolie maison avec jardin (Carmen adore les plantes), une chienne affectueuse (et pas d'enfant). Alfredo vient cependant d'accepter une promotion à Mexico même, ce qui les contraint à emménager en appartement, à laisser leur chienne aux parents, et Carmen à abandonner l'activité familiale d'assurances qui se tenait dans la villa de ses parents.
Bref, beaucoup de changements, autant de contraintes. Carmen vit mal le regard dédaigneux des collègues de travail d'Alfredo, mais n'en laisse rien paraître. Le couple reste uni, Carmen s'efforce de se montrer toujours positive, Alfredo tendre et prévenant. Et voilà que Carmen envisage d'entamer un régime alimentaire dans un groupe de stimulation. Elle y entraîne Alfredo. Celui-ci y fait des merveilles, tandis que Carmen s'enlise dans ses kilos superflus. Se sentant de plus en plus délaissée et surtout incomprise, la jeune femme s'inscrit plus allègrement dans un club de cuisine galicienne, tandis qu'Alfredo fond à vue d'œil et gagne en séduction…
Difficile de rester insensible aux gros plans de la scène d'amour des premiers instants. Aucune vulgarité, de la peau, des sourires, des baisers, de l'amour (le vrai) à profusion, dans un décor kitsch à souhait, rempli d'objets enfantins, totalement incongrus chez un jeune couple d'adultes. Le couple est en retard sur son programme, mais heureux: le cadre est posé. Carmen et Alfredo doivent déjeuner chez les parents de la jeune femme avec un passage préalable chez le pâtissier. Ils vont leur confier leur chienne peu habituée aux appartements citadins comme celui, exigu, qu'ils occuperont à Mexico. Le chagrin est présent, mais d'emblée, l'humour prend le relais. Les parents leur offrent leur premier investissement de jeunes mariés d'il y a trente ans: un énorme coffre-fort qu'ils ramènent … sur leur toit d'auto !
La scène du citronnier - que Carmen déterre pour le replanter dans un endroit bien spécifique du parc municipal - vaut aussi son pesant d'or, avec le mérite de faire la démonstration des concessions quotidiennes que peut faire Alfredo pour l'amour de Carmen. Autour de ces petits aménagements à deux remplis de profondeur et de sincérité, le portrait que dresse l'entourage du couple sur la ville de Mexico est tellement caricatural que nous continuons à sourire (un Mexico exclusivement peuplé de rats, de tremblements de terres, et de kidnapping dans les cabines téléphoniques !). Un seul "
Fais-moi confiance" d'Alfredo remet les choses en place !
L'emménagement est encore une fresque de gags. Rappelez-vous du "frigo" que le couple doit laisser repartir, faute de n'avoir pu rentrer dans le nouvel appartement, et "remplacé" par le fameux coffre-fort que Carmen surmonte d'un napperon. Ou encore du couple qui trinque dans les mugs de Noël en se souhaitant une jolie vie, tandis qu'attend un repas préparé par Carmen, énorme et déraisonnable, constitué de tout ce qu’ils auraient dû stocker… dans le réfrigérateur ! Ce véritable banquet annonce déjà le talent de Carmen pour la cuisine. Il est aussi le feu d'artifice de complicité et d'humour qui marque la fin d’une période. Tout reste à vivre à Mexico.
À travers la première soirée annuelle organisée par l'entreprise d’Alfredo, la déconvenue solide est amorcée. Suffisante pour briser Carmen dans ce qu'elle est de plus authentique. Remarquable pour ses tenues bariolées prouvant à quel point la jeune femme se moque de ses rondeurs, elle est d'emblée la cible des collègues d'Alfredo, minces, sexy et impitoyables. Cette Carmen est d'autant plus remarquable qu'elle ne cherchera pas à changer de style (on ne s'en plaindra pas).
Tout au long du film, sur fond d'humour, l'émotion nous gagne. La réalisatrice marque les deux chemins parallèles que suivent Carmen et Alfredo, avec la récurrence des plans sur les objets symboliques dans chaque univers: des peluches accumulées par le couple depuis ses débuts jusqu'à la chute fracassante des affaires de celui avec lequel elle commet un adultère, en passant par l'ange blanc seul sur le chevet de la femme triste, la profusion de ses jouets d'enfance qui la suivent quand elle regagne le domicile de ses parents ou encore le couple d'oiseaux romantiques sur la tapisserie des parents de Carmen façon "toile de Jouy" alors qu'elle distille son chagrin sur le canapé.
Le moindre détail posé aussi y est symbolique: la toque de chef cuistot sur le toit de la voiture d'une Carmen revenant du concours de cuisine annonce sa victoire, mais aussi sa revanche sur le passé: la gloriole légère a remplacé le lourd coffre-fort donné par ses parents. Quant au citronnier planté au début, il devient point de rendez-vous. La boucle va–t-elle se renouer avantageusement dans le quotidien de ces deux êtres qui ne méritent guère de souffrir ?
À noter, une bande-son à la hauteur de l'optimisme inconditionnel de cette comédie avec
Ni tu ni nadie du groupe Alaska y Danarama. En bref, aucune prise de tête, et un réel plaisir garanti pour ceux et celles qui ont besoin de reprendre pied après une rentrée un peu stressante. Gaieté, originalité et simplicité. On les doit à Mariana Chenillo, réalisatrice de quarante ans qui exploite volontiers le thème des quarantenaires sans enfant auxquels tous les espoirs sont permis. Son premier film lui valut le Prix Ariel de la Meilleure première œuvre et celui du Meilleur montage. Pour
Paraíso, elle a décroché l’aide du Ministère de la Culture. Un vrai remède contre la sinistrose.
Et comme à mon habitude, je vous quitterai sur une interrogation: la métamorphose physique d'Alfredo ne vous rappelle-t-elle pas une autre performance du même genre sur le plan du maquillage dans un film français ?
Merci Martin : tu m'as donné envie de découvrir ce film.
RépondreSupprimerHello Martin,
RépondreSupprimerje cherche ta réponse à ma question et... ne la trouve pas !
LOL, tu as diffusé la chronique hier, tu es largement excusable. Et merci pour tes choix iconographiques.
.. Et toi, Laurent, aucune idée ?
RépondreSupprimer@Laurent:
RépondreSupprimerTout le mérite en revient à Joss, cette fois. C'est elle qui a fourni... le gros du travail.
Avant la mise en ligne de la chronique, je n'ai rien fait d'autre que de la titrer et y ajouter des images.
@Joss 1:
RépondreSupprimerMerci à toi, surtout, pour la rédaction de cette chronique.
C'est amusant de nous savoir sur le blog pile-poil au même moment !
@Joss 2:
RépondreSupprimerJe suis ravi en outre qu'un dialogue puisse s'instaurer entre mes lecteurs et toi !
Laurent, si tu nous lis...