Chères lectrices, chers lectrices... nous voilà déjà au 15 du mois d'avril ! L'heure est venue de laisser la parole à mon amie Joss, qui a choisi de vous présenter un film de 1997: Artemisia, long-métrage franco-italo-allemand réalisée par Agnès Merlet. Je vous laisse lire...
Ce film a vingt ans. Il me fallut attendre l'exceptionnelle (et si rare) exposition sur la peintre Artemisia Gentileschi, à la fondation Maillol à Paris en 2012, pour enfin découvrir le DVD que j'attendais depuis deux décennies ! J'avais eu le temps de gamberger. Et aussi d'en apprendre plus à son sujet.
La vie d'Artemisia, c'est une sacrée aventure. Quand on se réfère uniquement à l'histoire (telle que la présentait par exemple l'exposition de la fondation Maillol), on la découvre à l'aube du XVIIème siècle en Italie, jeune fille élevée par son père Orazio Gentileschi, grand peintre baroque. Ses débuts d'artiste (prometteuse) à ses côtés, ses premiers pas romains, puis les années florentines sous la protection du grand-duc de Médicis et l'amitié de Galilée. Artemisia sera la première femme admise à l'Accademia del Disegno. Durant les années 1620 à Rome, on l'y retrouve chef de file des peintres caravagesques, amie des grands maîtres tels que Simon Vouet et Massimo Stanzione, et reconnue par les plus grands collectionneurs européens. La période napolitaine verra son apothéose. Pendant vingt-cinq ans, elle dirige son atelier et forme les grands talents qui prendront la suite: Cavallino, Spardaro, Guarino...
Voilà pour les grandes lignes d'un parcours sur lequel personne n'aura à redire. Pas plus que sur le rôle social que la jeune femme a joué dans son siècle et peut-être au cours de ceux qui suivirent. Quand les femmes étaient mineures à vie, quand elles appartenaient à leur père, à leur mari, à leurs frères ou à leurs fils, Artemisia Gentileschi a brisé toutes les lois de la société en n'appartenant qu'à son art. En cela, le film sert l'histoire réelle de l'artiste. Pas pour en peindre la totalité, mais ses débuts prometteurs et surtout sa fougueuse personnalité. Féministe avant l'heure, puisqu'elle s'est battue afin d'exercer librement sa passion, imposant sa volonté de peindre d'après des modèles vivants alors que cette pratique était formellement interdite aux femmes. Soutenue par son père, de par son métier et sa position sociale, mais surtout son amour inconditionnel, Artemisia atteindra des sommets jamais égalés jusque là. Dans un contexte extrêmement patriarcal, la jeune fille de dix-sept ans et son père composent un binôme exceptionnel.
Dans le film d'Agnès Merlet, le recrutement de l'actrice italienne Valentina Cervi et de Michel Serrault porte le résultat très haut. L'intensité de la passion d'Artemisia pour son art et de l'admiration de son père nous font oublier la différence illégitime de leurs accents respectifs. La voix profonde, vive et rocailleuse de Valentina Cervi coule comme un ruisseau, accompagne son corps sans cesse en mouvement, gracile et fort à la fois, toujours prêt à prendre des risques, tandis que celle de Michel Serrault, grave et intense, lui répond de sa sagesse et de son émotion contenue. Car le père veut le meilleur pour sa fille, mais il connaît la vie et ses pairs. Dans le film comme dans la réalité, lui aussi se retrouve confronté au mur des principes de sa propre caste, lorsque celle-ci ferme les portes de l'académie à sa fille.
C'est à ce moment précis que le biopic devient romance. Confrontée à Agostino Tassi (Miki Manojlovic), artiste rompu aux dernières techniques de l'art de peindre, Artemisia finit par succomber à son charme et en devient l'amante, tout en peaufinant ses dessins d'homme nu. Ici, le film se heurte à l'histoire réelle. Le père d'Artemisia, qui a confié sa fille aux bons soins du peintre, surprend leurs relations avec douleur. Tandis qu'Agostino propose le mariage (et pas seulement sous la pression d'Orazio), Artemisia oppose sa détermination pour des relations sans contraintes sociales. Juste une histoire de compromis qui pourrait trouver une issue si ne réapparaissait une épouse dont Agostino n'avait plus de nouvelles depuis des années. La preuve de la perte de sa virginité étant révélée, Artemisia est suppliée par son père et Agostino de l'accuser de viol pour protéger sa réputation. De ce procès déchirant découlera une séparation dont ni l'un ni l'autre des amants ne voulait.
Lorsque le film est sorti, amplement plébiscité pour son esthétique, deux historiennes (Gloria Steinem et Mary Garrard) se sont dressées contre l'appellation "histoire vraie", distribuant des informations lors de l'avant-première aux États-Unis. Dans les actes du procès qui a duré neuf mois, il est effectivement question d'accusations réciproques, de mensonges et de faux témoignages, d'où Agostino Tassi ressort comme un violeur, un voleur et un menteur (accusant Artemisia de libertinage). Selon les historiennes, il s'agit bien d'un viol et non d'une histoire d'amour contrarié. Thèse attestée par le contenu de ses toiles. On attribue effectivement à son viol et au procès humiliant qui s'ensuivit certains traits de son oeuvre, l'obscurité et la violence graphique qui s'y déploient, en particulier dans le tableau montrant Judith décapitant Holopherne. Mais dans un monde où la liberté des femmes est confrontée à la censure, n'y aurait-il pas de place pour le doute, même infime ? En tout cas, Agnès Merlet s'y est engouffrée avec persuasion.
Ces deux années de la vie d'Artemisia n'en demeurent pas moins d'une grande beauté. Transportées par un casting heureux avec la présence envoûtante de Miki Manojlovic, la fougue de Yan Tregouët (Fulvio), jeune homme du même âge épris d'Artemisia, ou encore l'apparition discrète d'Emmanuelle Devos (sa belle-mère Constanza, n'existant guère aux côtés de sa belle-fille), grâce et force forgent le rythme. Émotion dans le jeu des acteurs, l'esthétique des corps, des mouvements, des décors naturels ou intérieurs (sublimes scènes de peinture), des éclairages somptueux. Retenez la scène où Agostino fait la démonstration des proportions en dessin extérieur, du jeu autour de la toile tendue en bord de mer...
Fille du producteur Tonino Cervi et petite-fille de Gino Cervi (inoubliable Peppone dans les films de Don Camillo), Valentina Cervi avait entamé sa carrière en 1986, à l'âge de dix ans, dans le film de Carlo Cotti Apporte-moi la Lune, avant d'en enchaîner plusieurs dizaines d'autres. Un avant avant Artemisia, elle se distinguait dans le film de Jane Campion Portrait de femme, et aussi en 2011 dans l'adaptation cinématographique de Jane Eyre par Cary Fukunaga, confirmant une interprétation réussie dans les films d'époque.
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Merci à Joss pour cette belle découverte ! J'espère voir le film prochainement. Si vous souhaitez lire d'autres textes de mon amie...
- la précédente, publiée en mars, était consacrée à Dalida...
- celle du mois de février nous promenait dans Sing Street...
- en fin d'année dernière, nous avions pu déguster La bûche...
- et d'autres encore sont à découvrir en remontant le fil des liens.
La prochaine devrait paraître en mai... et vous surprendra peut-être ! À suivre... il est bien entendu que je ne dirai rien de plus aujourd'hui.
Ce film a vingt ans. Il me fallut attendre l'exceptionnelle (et si rare) exposition sur la peintre Artemisia Gentileschi, à la fondation Maillol à Paris en 2012, pour enfin découvrir le DVD que j'attendais depuis deux décennies ! J'avais eu le temps de gamberger. Et aussi d'en apprendre plus à son sujet.
La vie d'Artemisia, c'est une sacrée aventure. Quand on se réfère uniquement à l'histoire (telle que la présentait par exemple l'exposition de la fondation Maillol), on la découvre à l'aube du XVIIème siècle en Italie, jeune fille élevée par son père Orazio Gentileschi, grand peintre baroque. Ses débuts d'artiste (prometteuse) à ses côtés, ses premiers pas romains, puis les années florentines sous la protection du grand-duc de Médicis et l'amitié de Galilée. Artemisia sera la première femme admise à l'Accademia del Disegno. Durant les années 1620 à Rome, on l'y retrouve chef de file des peintres caravagesques, amie des grands maîtres tels que Simon Vouet et Massimo Stanzione, et reconnue par les plus grands collectionneurs européens. La période napolitaine verra son apothéose. Pendant vingt-cinq ans, elle dirige son atelier et forme les grands talents qui prendront la suite: Cavallino, Spardaro, Guarino...
Voilà pour les grandes lignes d'un parcours sur lequel personne n'aura à redire. Pas plus que sur le rôle social que la jeune femme a joué dans son siècle et peut-être au cours de ceux qui suivirent. Quand les femmes étaient mineures à vie, quand elles appartenaient à leur père, à leur mari, à leurs frères ou à leurs fils, Artemisia Gentileschi a brisé toutes les lois de la société en n'appartenant qu'à son art. En cela, le film sert l'histoire réelle de l'artiste. Pas pour en peindre la totalité, mais ses débuts prometteurs et surtout sa fougueuse personnalité. Féministe avant l'heure, puisqu'elle s'est battue afin d'exercer librement sa passion, imposant sa volonté de peindre d'après des modèles vivants alors que cette pratique était formellement interdite aux femmes. Soutenue par son père, de par son métier et sa position sociale, mais surtout son amour inconditionnel, Artemisia atteindra des sommets jamais égalés jusque là. Dans un contexte extrêmement patriarcal, la jeune fille de dix-sept ans et son père composent un binôme exceptionnel.
Dans le film d'Agnès Merlet, le recrutement de l'actrice italienne Valentina Cervi et de Michel Serrault porte le résultat très haut. L'intensité de la passion d'Artemisia pour son art et de l'admiration de son père nous font oublier la différence illégitime de leurs accents respectifs. La voix profonde, vive et rocailleuse de Valentina Cervi coule comme un ruisseau, accompagne son corps sans cesse en mouvement, gracile et fort à la fois, toujours prêt à prendre des risques, tandis que celle de Michel Serrault, grave et intense, lui répond de sa sagesse et de son émotion contenue. Car le père veut le meilleur pour sa fille, mais il connaît la vie et ses pairs. Dans le film comme dans la réalité, lui aussi se retrouve confronté au mur des principes de sa propre caste, lorsque celle-ci ferme les portes de l'académie à sa fille.
C'est à ce moment précis que le biopic devient romance. Confrontée à Agostino Tassi (Miki Manojlovic), artiste rompu aux dernières techniques de l'art de peindre, Artemisia finit par succomber à son charme et en devient l'amante, tout en peaufinant ses dessins d'homme nu. Ici, le film se heurte à l'histoire réelle. Le père d'Artemisia, qui a confié sa fille aux bons soins du peintre, surprend leurs relations avec douleur. Tandis qu'Agostino propose le mariage (et pas seulement sous la pression d'Orazio), Artemisia oppose sa détermination pour des relations sans contraintes sociales. Juste une histoire de compromis qui pourrait trouver une issue si ne réapparaissait une épouse dont Agostino n'avait plus de nouvelles depuis des années. La preuve de la perte de sa virginité étant révélée, Artemisia est suppliée par son père et Agostino de l'accuser de viol pour protéger sa réputation. De ce procès déchirant découlera une séparation dont ni l'un ni l'autre des amants ne voulait.
Lorsque le film est sorti, amplement plébiscité pour son esthétique, deux historiennes (Gloria Steinem et Mary Garrard) se sont dressées contre l'appellation "histoire vraie", distribuant des informations lors de l'avant-première aux États-Unis. Dans les actes du procès qui a duré neuf mois, il est effectivement question d'accusations réciproques, de mensonges et de faux témoignages, d'où Agostino Tassi ressort comme un violeur, un voleur et un menteur (accusant Artemisia de libertinage). Selon les historiennes, il s'agit bien d'un viol et non d'une histoire d'amour contrarié. Thèse attestée par le contenu de ses toiles. On attribue effectivement à son viol et au procès humiliant qui s'ensuivit certains traits de son oeuvre, l'obscurité et la violence graphique qui s'y déploient, en particulier dans le tableau montrant Judith décapitant Holopherne. Mais dans un monde où la liberté des femmes est confrontée à la censure, n'y aurait-il pas de place pour le doute, même infime ? En tout cas, Agnès Merlet s'y est engouffrée avec persuasion.
Ces deux années de la vie d'Artemisia n'en demeurent pas moins d'une grande beauté. Transportées par un casting heureux avec la présence envoûtante de Miki Manojlovic, la fougue de Yan Tregouët (Fulvio), jeune homme du même âge épris d'Artemisia, ou encore l'apparition discrète d'Emmanuelle Devos (sa belle-mère Constanza, n'existant guère aux côtés de sa belle-fille), grâce et force forgent le rythme. Émotion dans le jeu des acteurs, l'esthétique des corps, des mouvements, des décors naturels ou intérieurs (sublimes scènes de peinture), des éclairages somptueux. Retenez la scène où Agostino fait la démonstration des proportions en dessin extérieur, du jeu autour de la toile tendue en bord de mer...
Fille du producteur Tonino Cervi et petite-fille de Gino Cervi (inoubliable Peppone dans les films de Don Camillo), Valentina Cervi avait entamé sa carrière en 1986, à l'âge de dix ans, dans le film de Carlo Cotti Apporte-moi la Lune, avant d'en enchaîner plusieurs dizaines d'autres. Un avant avant Artemisia, elle se distinguait dans le film de Jane Campion Portrait de femme, et aussi en 2011 dans l'adaptation cinématographique de Jane Eyre par Cary Fukunaga, confirmant une interprétation réussie dans les films d'époque.
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Merci à Joss pour cette belle découverte ! J'espère voir le film prochainement. Si vous souhaitez lire d'autres textes de mon amie...
- la précédente, publiée en mars, était consacrée à Dalida...
- celle du mois de février nous promenait dans Sing Street...
- en fin d'année dernière, nous avions pu déguster La bûche...
- et d'autres encore sont à découvrir en remontant le fil des liens.
La prochaine devrait paraître en mai... et vous surprendra peut-être ! À suivre... il est bien entendu que je ne dirai rien de plus aujourd'hui.
Bonjour, voilà un film vu à sa sortie et que j'avais beaucoup aimé. Artemisia Gentilesci avait eu son heure de gloire. On en a beaucoup parlé quand le film est sorti. Valentina Cervi est charmante. Bonne fin d'après-midi.
RépondreSupprimerMerci pour ce petit mot, Dasola.
RépondreSupprimerJoss m'a convaincu de voir le film: ce n'est pas encore fait, mais ça viendra.
Je pense que je m'intéresserai aussi, après l'avoir vu, aux oeuvres d'Artemisia Gentileschi.
Bonjour à vous,
RépondreSupprimeroui Valentina Cervi est charmante dans ce film. Il faudrait la voir aujourd'hui avec vingt ans de plus, mais si elle a accepté... (et si on lui a proposé !) des scenari de valeur, cela vaudrait la peine de s'y attarder. Juste un mot pour vous dire que les peintures d'Artemisia Gentileschi valent vraiment le déplacement. Classiques, mais d'une grande force dans les mouvements et les coloris.
A bientôt.
Je vois que Valentina Cervi a continué à faire du cinéma, en tout cas, et un peu de télé.
RépondreSupprimerMes connaissances du cinéma italien sont trop limitées pour juger de son talent et de ses films.
En tout cas, ta chronique m'a donné envie de mieux connaître les tableaux d'Artemisia Gentileschi !