Ce n'est pas si fréquent, mais, en jargon anglo-saxon, on dit parfois du cinéma qu'il est bigger than life - plus grand que la vie elle-même. Quand c'est le cas, je prends une claque et je jubile ! Il y a de cela quelques jours, j'ai eu ce plaisir devant Ran, l'un des derniers films d'Akira Kurosawa. Sur l'écran télé XXL d'un copain, c'était dan-tesque !
Je crois qu'il sera intéressant qu'un jour, je me penche sur les façons dont le cinéaste a fait financer son travail tout au long de sa carrière. Dans le cas qui nous occupe aujourd'hui, à 75 ans, il a pu s'appuyer sur le soutien d'un producteur français, Serge Silberman (1917-2003). Ran est le dernier film du vieux lion à nous ramener dans le Japon médiéval. Pour partie inspiré du Roi Lear de Shakespeare, le récit tourne autour de Hidetora Ichimonji, un vieux seigneur de guerre nippon du 16ème siècle, décidé à céder son pouvoir à ses trois fils. Problème: le plus jeune refuse cet honneur au nom de l'unité du clan et indique sans ambages à son père qu'il le croit devenu sénile. L'insulte ne passe pas: Saburo est banni, sans regret pour ses frères aînés, ravis de récupérer une part encore plus grosse du gâteau. Partant de là, et pendant deux bonnes heures et demie, le film décrypte par le menu la décadence et la chute d'une communauté familiale - une tragédie d'autant plus cruelle qu'elle nous est exposée à travers le regard de celui qui était censé être le garant de l'union...
J'aime autant vous le dire: le scénario est tout à fait implacable. Violents et vaniteux, les hommes (et les femmes !) sont présentés sous un jour bien peu favorable, à quelques notables exceptions près. Ce qui est fascinant, c'est aussi que le destin semble toujours jouer un rôle amplificateur, la généreuse décision initiale n'entraînant finalement qu'une suite de catastrophes, comme si toute rédemption était désormais interdite. Ran a l'emphase d'un grand et bel opéra. Artistiquement, c'est un film splendide, où chaque plan ou presque m'a offert une nouvelle vibration, d'une force au moins égale à celle de la séquence précédente. Je n'ai dès lors pas vraiment été surpris d'apprendre après coup qu'une partie de la critique professionnelle faisait de cette incroyable fresque l'oeuvre-somme parmi toutes celles d'Akira Kurosawa. Anecdote révélatrice: il se dit aussi que le cinéaste lui-même y voyait sa création la plus aboutie. Je suis quant à moi sûr d'une chose: elle m'a donné envie de voir celles que je ne connais pas encore. Surtout que je sais qu'il y en a aussi d'un tout autre genre...
Ran
Film (franco-)japonais d'Akira Kurosawa (1985)
Comparaison n'est pas raison: c'est sciemment que j'évite de mettre cette oeuvre majuscule en face des précédents films du genre, signés du même auteur. Si vous voulez en savoir davantage, vous trouverez deux chroniques sur ces pages: Les sept samouraïs (vu... au cinéma) et Le château de l'araignée, tous deux sortis dans les années 50. Croyez-moi: je suis encore loin d'avoir épuisé la filmo du grand Kuro !
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Une petite précision quant à la langue nippone...
Ran, en japonais, signifie "Chaos". Tout était annoncé !
Et pour finir, est-ce que d'autres parlent également du film ?
Bien sûr: je remonte pour vous la chronique de "L'oeil sur l'écran". C'est aussi avec un grand plaisir que je citerai mon camarade Eeguab.
Je crois qu'il sera intéressant qu'un jour, je me penche sur les façons dont le cinéaste a fait financer son travail tout au long de sa carrière. Dans le cas qui nous occupe aujourd'hui, à 75 ans, il a pu s'appuyer sur le soutien d'un producteur français, Serge Silberman (1917-2003). Ran est le dernier film du vieux lion à nous ramener dans le Japon médiéval. Pour partie inspiré du Roi Lear de Shakespeare, le récit tourne autour de Hidetora Ichimonji, un vieux seigneur de guerre nippon du 16ème siècle, décidé à céder son pouvoir à ses trois fils. Problème: le plus jeune refuse cet honneur au nom de l'unité du clan et indique sans ambages à son père qu'il le croit devenu sénile. L'insulte ne passe pas: Saburo est banni, sans regret pour ses frères aînés, ravis de récupérer une part encore plus grosse du gâteau. Partant de là, et pendant deux bonnes heures et demie, le film décrypte par le menu la décadence et la chute d'une communauté familiale - une tragédie d'autant plus cruelle qu'elle nous est exposée à travers le regard de celui qui était censé être le garant de l'union...
J'aime autant vous le dire: le scénario est tout à fait implacable. Violents et vaniteux, les hommes (et les femmes !) sont présentés sous un jour bien peu favorable, à quelques notables exceptions près. Ce qui est fascinant, c'est aussi que le destin semble toujours jouer un rôle amplificateur, la généreuse décision initiale n'entraînant finalement qu'une suite de catastrophes, comme si toute rédemption était désormais interdite. Ran a l'emphase d'un grand et bel opéra. Artistiquement, c'est un film splendide, où chaque plan ou presque m'a offert une nouvelle vibration, d'une force au moins égale à celle de la séquence précédente. Je n'ai dès lors pas vraiment été surpris d'apprendre après coup qu'une partie de la critique professionnelle faisait de cette incroyable fresque l'oeuvre-somme parmi toutes celles d'Akira Kurosawa. Anecdote révélatrice: il se dit aussi que le cinéaste lui-même y voyait sa création la plus aboutie. Je suis quant à moi sûr d'une chose: elle m'a donné envie de voir celles que je ne connais pas encore. Surtout que je sais qu'il y en a aussi d'un tout autre genre...
Ran
Film (franco-)japonais d'Akira Kurosawa (1985)
Comparaison n'est pas raison: c'est sciemment que j'évite de mettre cette oeuvre majuscule en face des précédents films du genre, signés du même auteur. Si vous voulez en savoir davantage, vous trouverez deux chroniques sur ces pages: Les sept samouraïs (vu... au cinéma) et Le château de l'araignée, tous deux sortis dans les années 50. Croyez-moi: je suis encore loin d'avoir épuisé la filmo du grand Kuro !
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Une petite précision quant à la langue nippone...
Ran, en japonais, signifie "Chaos". Tout était annoncé !
Et pour finir, est-ce que d'autres parlent également du film ?
Bien sûr: je remonte pour vous la chronique de "L'oeil sur l'écran". C'est aussi avec un grand plaisir que je citerai mon camarade Eeguab.
Salut Martin, très intéressant ton article, on pourrait presque le mettre dans notre dernière émission.
RépondreSupprimerSi tu as le temps, je te conseille de regarder notre emission Noobs Live S02E02 qui parle du Japon et aussi de ce réalisateur :) http://www.noobs.tv
Ran, un chef-d'oeuvre en effet - visuellement, c'est un film prodigieux comme tu le dis bien. Film-somme de Kurosawa, oui si l'on ne considère que la dernière partie de sa carrière - lui-même affirmait que c'était le film qu'il avait voulu faire. Mais on peut lui préférer (comme moi et comme la critique favorable à Kurosawa en fait) ses grands films humanistes des décennies 1940-1950-1960.
RépondreSupprimerStrum
@John:
RépondreSupprimerSalut et merci pour cet avis ! J'ai commencé à regarder Noobs TV - il faut que je voie cet épisode jusqu'au bout. C'est bien de placer Akira Kurosawa comme réalisateur central dès lors qu'il s'agit du cinéma japonais.
@Strum:
RépondreSupprimerNous sommes d'accord en tous points, même si j'ai sans doute plus de films d'Akira Kurosawa à rattraper que toi. Parmi les décennies précédentes, j'ai découvert "Je ne regrette rien de ma jeunesse" l'année dernière et je l'ai trouvé très beau. Je dirais même que je le juge encore plus signifiant que les grands films de samouraïs du maître.
@martin En tout cas ton article m'a donné envie de revoir RAN, alors je te dirais apres :)
RépondreSupprimerCElui-là, il manque à ma culture...tu m'as convaincu, je le place en haut de la pile "à voir". Merci, Martin, bel article, comme toujours, l'ami.
RépondreSupprimer@John:
RépondreSupprimerBien, j'ai rempli ma mission, on dirait ! Au plaisir, donc, d'en reparler avec toi. Nul doute d'ailleurs que j'ai tout plein d'autres films japonais à découvrir.
@Laurent:
RépondreSupprimerExcellente nouvelle de ton côté également: je suis ravi d'être parvenu à titiller ta curiosité avec ce film. Peut-être aurons-nous aussi l'occasion d'en débattre de nouveau quand tu l'auras découvert.
Merci Martin pour ta gentillesse. C'est vrai que Ran est une oeuvre forte et Kurosawa et un titan capable de se colleter avec Shakespeare pour un film somme. L'an dernier j'avais , tu le sais, beaucoup travaillé sur Shakespeare et le cinéma. Mais toute la filmo de A.K. est admirable et très variée. A bientôt l'ami.
RépondreSupprimerJe t'en prie, c'est toujours un plaisir ! Merci à toi d'être passé ici ! Effectivement, j'ai parcouru avec gourmandise tes chroniques shakespeariennes. Je m'y rapporterai de nouveau quand l'occasion se présentera.
RépondreSupprimerNous sommes d'accord sur Akira Kurosawa... et j'y reviendrai très prochainement.