Le cinéma est parfois très injuste. Certains films de qualité moyenne passent à la postérité, tandis que d'autres, en dépit de leurs qualités esthétiques et narratives, tombent dans l'oubli. Comrades se classe dans la seconde catégorie. N'eut été la chance et la détermination d'UFO, une société de distribution parisienne, il est plus que probable que je n'aurais jamais eu l'occasion de découvrir ce long-métrage...
Comrades - ou Camarades, en français - s'inspire d'une histoire vraie. Angleterre, comté du Dorset, 1834: sous le joug d'un propriétaire terrien à l'abri des murs de sa propriété, les laboureurs locaux triment d'autant plus fort que leur paye diminue de semaine en semaine. Douze shillings seraient un minimum pour faire vivre une famille. Loveless, Stanfield, Hammett et les autres n'en touchent que huit. Quand ils négocient une petite rallonge, ils tombent finalement à six. C'est ce qui les décide à unir leurs forces, au cours de soirées clandestines, censées démontrer leur solidarité. Sitôt son existence portée à la connaissance des puissants, nobles et ecclésiastiques mêlés, ce proto-syndicat est dissous par la force. Six des hommes engagés, qu'on appellera ensuite les martyrs de Tolpuddle, sont jugés et condamnés à la déportation en Australie. Quasi-féodale, la règle sociale qui s'impose à toutes leurs actions a fait d'eux des proscrits.
Cette "anecdote" historique aurait pu servir de base à un film outrancier, tout gonflé de violence militante. C'est presque l'inverse. Il n'y a que peu de sang versé dans Comrades, tout au plus les pleurs d'un nouveau-né et pas de cris du tout. À l'image du personnage principal, le long-métrage progresse avec une remarquable retenue. Les dialogues sont eux-mêmes très parcimonieux: le réalisateur laisse souvent parler les images, quitte à s'autoriser alors quelques ellipses assez radicales. Il sait aussi prendre son temps, c'est une évidence. Elle est d'autant plus flagrante que, dans le montage que j'ai eu l'opportunité de voir et qui correspond au director's cut, le récit s'étale sur trois heures. Habitué - et amateur - de ce type de fresques cinématographiques, je n'ai jamais trouvé le temps long. Il est bon parfois de ne pas reculer devant un format XXL. Cette histoire particulièrement vaut bien d'être racontée dans toute sa dimension.
Il y a très clairement deux parties, dans Comrades. Sur le plan formel, sans pour autant se renier, le film évolue significativement une fois les bannis arrivés sur le sol australien. Le groupe s'éparpille. Chacun s'adapte comme il le peut à sa nouvelle vie. On arpente alors une terre dont la beauté n'a d'égale que le caractère inhospitalier. Parmi ce que je connais du septième art britannique, je ne vois guère d'autre film qui ait su montrer ce visage de l'île-continent, ni même de ses hôtes premiers, les Aborigènes. J'ai presque eu l'impression parfois de faire face à un documentaire, dont l'attitude de l'homme blanc serait le vrai sujet. Les nobliaux expatriés ne valent pas mieux que ceux qui sont restés au pays: sur leur chemin d'exil, les paysans du Dorset croiseront leur lot de crétins finis et de brutes épaisses. Pour le spectateur du 21ème siècle, le film est aussi beau qu'édifiant. Décors et costumes composent des images très souvent magnifiques.
Il aura fallu presque dix ans de travail à Bill Douglas pour venir à bout de son idée. Difficultés d'écriture du scénario, conditions de tournage dantesques, très profondes divergences artistiques et relationnelles avec un premier producteur, longs atermoiements sur le montage final... Comrades a bien failli rester inachevé. Il est finalement sorti dans les salles britanniques dans une version reniée par son auteur. Puis, bien que présenté au Festival de Berlin, il a disparu des radars. Mort prématurément en 1991, le réalisateur, lui, n'a jamais inscrit son nom comme référence du cinéma social, aux côtés d'un Ken Loach ou d'un Mike Leigh. Le monde est passé à côté, sans se retourner. Toute tardive qu'elle soit, la démarche qui est menée aujourd'hui réhabilite légitimement un artiste passionné, collectionneur d'objets anciens tous liés aux arts pré-cinématographiques. Le film en montre quelques-uns: c'est une autre des - bonnes - raisons de le voir enfin.
Comrades
Film britannique de Bill Douglas (1987)
J'ai cité Ken Loach: le film pourrait avoir inspiré Jimmy's hall. J'attends de découvrir le prochain Mike Leigh pour en reparler intelligemment quant à son aspect visuel, entre décors et costumes. Devant le film évoqué aujourd'hui, j'ai parfois songé au Barry Lyndon de Stanley Kubrick. Les héros de Bill Douglas ont un comportement bien plus noble, cela dit. J'ai aussi songé à Tess, de Roman Polanski.
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Pour finir, une petite précision historique...
Les martyrs de Tolpuddle devaient passer sept ans en Australie. Finalement, leur cas émut l'opinion publique, au point qu'une pétition lancée pour réclamer leur retour au pays obtint 800.000 signatures ! Cinq des six forçats furent dès lors libérés, après deux années d'exil.
Comrades - ou Camarades, en français - s'inspire d'une histoire vraie. Angleterre, comté du Dorset, 1834: sous le joug d'un propriétaire terrien à l'abri des murs de sa propriété, les laboureurs locaux triment d'autant plus fort que leur paye diminue de semaine en semaine. Douze shillings seraient un minimum pour faire vivre une famille. Loveless, Stanfield, Hammett et les autres n'en touchent que huit. Quand ils négocient une petite rallonge, ils tombent finalement à six. C'est ce qui les décide à unir leurs forces, au cours de soirées clandestines, censées démontrer leur solidarité. Sitôt son existence portée à la connaissance des puissants, nobles et ecclésiastiques mêlés, ce proto-syndicat est dissous par la force. Six des hommes engagés, qu'on appellera ensuite les martyrs de Tolpuddle, sont jugés et condamnés à la déportation en Australie. Quasi-féodale, la règle sociale qui s'impose à toutes leurs actions a fait d'eux des proscrits.
Cette "anecdote" historique aurait pu servir de base à un film outrancier, tout gonflé de violence militante. C'est presque l'inverse. Il n'y a que peu de sang versé dans Comrades, tout au plus les pleurs d'un nouveau-né et pas de cris du tout. À l'image du personnage principal, le long-métrage progresse avec une remarquable retenue. Les dialogues sont eux-mêmes très parcimonieux: le réalisateur laisse souvent parler les images, quitte à s'autoriser alors quelques ellipses assez radicales. Il sait aussi prendre son temps, c'est une évidence. Elle est d'autant plus flagrante que, dans le montage que j'ai eu l'opportunité de voir et qui correspond au director's cut, le récit s'étale sur trois heures. Habitué - et amateur - de ce type de fresques cinématographiques, je n'ai jamais trouvé le temps long. Il est bon parfois de ne pas reculer devant un format XXL. Cette histoire particulièrement vaut bien d'être racontée dans toute sa dimension.
Il y a très clairement deux parties, dans Comrades. Sur le plan formel, sans pour autant se renier, le film évolue significativement une fois les bannis arrivés sur le sol australien. Le groupe s'éparpille. Chacun s'adapte comme il le peut à sa nouvelle vie. On arpente alors une terre dont la beauté n'a d'égale que le caractère inhospitalier. Parmi ce que je connais du septième art britannique, je ne vois guère d'autre film qui ait su montrer ce visage de l'île-continent, ni même de ses hôtes premiers, les Aborigènes. J'ai presque eu l'impression parfois de faire face à un documentaire, dont l'attitude de l'homme blanc serait le vrai sujet. Les nobliaux expatriés ne valent pas mieux que ceux qui sont restés au pays: sur leur chemin d'exil, les paysans du Dorset croiseront leur lot de crétins finis et de brutes épaisses. Pour le spectateur du 21ème siècle, le film est aussi beau qu'édifiant. Décors et costumes composent des images très souvent magnifiques.
Il aura fallu presque dix ans de travail à Bill Douglas pour venir à bout de son idée. Difficultés d'écriture du scénario, conditions de tournage dantesques, très profondes divergences artistiques et relationnelles avec un premier producteur, longs atermoiements sur le montage final... Comrades a bien failli rester inachevé. Il est finalement sorti dans les salles britanniques dans une version reniée par son auteur. Puis, bien que présenté au Festival de Berlin, il a disparu des radars. Mort prématurément en 1991, le réalisateur, lui, n'a jamais inscrit son nom comme référence du cinéma social, aux côtés d'un Ken Loach ou d'un Mike Leigh. Le monde est passé à côté, sans se retourner. Toute tardive qu'elle soit, la démarche qui est menée aujourd'hui réhabilite légitimement un artiste passionné, collectionneur d'objets anciens tous liés aux arts pré-cinématographiques. Le film en montre quelques-uns: c'est une autre des - bonnes - raisons de le voir enfin.
Comrades
Film britannique de Bill Douglas (1987)
J'ai cité Ken Loach: le film pourrait avoir inspiré Jimmy's hall. J'attends de découvrir le prochain Mike Leigh pour en reparler intelligemment quant à son aspect visuel, entre décors et costumes. Devant le film évoqué aujourd'hui, j'ai parfois songé au Barry Lyndon de Stanley Kubrick. Les héros de Bill Douglas ont un comportement bien plus noble, cela dit. J'ai aussi songé à Tess, de Roman Polanski.
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Pour finir, une petite précision historique...
Les martyrs de Tolpuddle devaient passer sept ans en Australie. Finalement, leur cas émut l'opinion publique, au point qu'une pétition lancée pour réclamer leur retour au pays obtint 800.000 signatures ! Cinq des six forçats furent dès lors libérés, après deux années d'exil.
Bonjour Martin, merci pour avoir évoquer ce film que je n'ai pas vu mais qu'une collègue m'a chaudement recommandé. J'avais vu la trilogie du même réalisateur: remarquable. Je note. Bon dimanche.
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