Vous avez remarqué ? Autour de l'automne, deux films sont venus interroger notre rapport à l'Algérie. Avant de vous parler du second début novembre, je souhaite revenir sur Des hommes et des dieux. Peut-être l'avez-vous vu: avec les quelque deux millions d'entrées qu'il a déjà enregistrées, il se classera probablement dans le top 20 du box office 2010. Des magazines généralistes lui ont consacré quelques articles approfondis, à l'image de l'Express dernièrement. La question est sur toutes les lèvre (ou presque): qu'est-ce qui attire autant de gens à s'intéresser au sort - il est vrai funeste - de moines français assassinés en Algérie en 1996 ? Sentiment revanchard ? Voyeurisme ? Envie de comprendre l'une des énigmes de l'histoire contemporaine ? Rien de tout cela, à mon sens. La réussite publique de ce long-métrage repose, je pense, sur le bouche-à-oreille. Adeptes ou en quête d'une certaine spiritualité, quelques spectateurs auront payé leur place, puis parlé à d'autres de cette histoire simple et sincère, dignement représentée. Il y a une chose dont je suis absolument sûr: le film porte bien son nom. Il parle effectivement des hommes, mais aussi des dieux, et non pas donc d'un Dieu unique qui condamnerait ou absoudrait sa création en fonction de sa religion.
Des hommes et des dieux est un film sur la foi. Ce n'est pourtant pas l'oeuvre d'un réalisateur bigot, ébahi par une révélation quelconque. Il n'est pas ici question de vérité assenée. Il y a matière à réflexion et interrogation, au contraire. L'anecdote me paraît révélatrice: à aucun moment, et même si c'est évident par ailleurs, les dialogues ne contiennent le mot Algérie ou aucun de ses dérivés. Il n'y a donc aucun véritable jugement de valeur dans le scénario. Simplement l'observation - ou la contemplation, pour pousser l'analogie - de huit hommes face à leur destin. Très vite, la violence qui entoure ces moines, le danger qui les menace, tout est tout à fait explicite. Que faire alors ? Loin du prosélytisme, c'est l'enjeu du film. Partir ? Pour quelles conséquences ? Rester alors ? Pour faire quoi ? Prier, sans doute, chercher une solution, bien sûr, mais existe-t-il seulement une issue ? Le doute s'installe et s'insinue au coeur même de ces hommes, d'autant plus violent qu'ils ont toujours eu l'habitude des décisions collectives et que, cette fois, ils ne sont pas unanimes. Leur dieu aurait-il la réponse ? C'est ce qu'il est permis de croire aussi. Ce n'est pas forcément le message du metteur en scène. D'après moi, Xavier Beauvois a surtout voulu dire que la réponse réside en chacun de nous. En ce sens, il signe là un film profondément humaniste. Humain, tout simplement. Quasi-universel.
Une oeuvre admirable, aussi. Des hommes et des dieux m'a ébloui. Non, je n'ai pas eu envie de m'enfermer dans un monastère ! Je note d'ailleurs qu'il a aussi plu à mon ami Philippe, généralement sceptique ou même critique à l'égard de la manière dont les croyants vivent leur religion, sans distinction de foi pour le coup. Je reviens à l'idée d'un film humaniste. Plutôt que d'une quelconque divinité d'essence supérieure, il est ici question de huit hommes indécis, sur lesquels reposent une communauté plus vaste et qui, par certains aspects, ressemblent beaucoup à chacun de nous. Bien évidemment, le propos n'échappe pas à la critique. Historien de l'Algérie, Benjamin Stora souligne notamment avec justesse qu'on ne sait pas bien ce qui a motivé ces hommes à venir s'installer en Algérie, ni même d'ailleurs quand ils y sont arrivés, avant la guerre d'indépendance, aux heures de la paix retrouvée ou alors que les islamistes occupaient le terrain. Xavier Beauvois ne s'appesantit pas non plus sur le sort des Algériens et les milliers de morts causées par la guerre civile. C'est peut-être sa façon à lui de montrer combien ce qui arrive dépasse même ceux qui vivent (subissent ?) ces événements. C'est aussi une occasion d'aller lire ou relire un livre d'histoire. Cette fois, pas besoin toutefois de connaissances érudites pour s'offrir la séance cinéma...
Des hommes et des dieux
Film français de Xavier Beauvois (2010)
Tournée au Maroc pour raisons de sécurité, une oeuvre qui m'a touché au coeur et finira très haut dans mon classement du millésime 2010. Autre constat: le Grand Prix du tout dernier Festival de Cannes est porté par des acteurs au sommet de leur art, de Lambert Wilson à Michael Lonsdale, en passant par d'autres noms connus - je pense notamment à Olivier Rabourdin ou Jacques Herlin. J'imagine volontiers que beaucoup gardent en mémoire Le nom de la rose comme film à ambiance monastique. Le propos est tout autre ici. Encore une fois, il m'est bien difficile d'offrir un parallèle pertinent avec un autre long-métrage. Sur l'aspect spirituel, je pourrais citer Sept ans au Tibet ou Kundun. Je n'ai pas vraiment fini d'y penser...
Comme tu dis, c'est le bouche-à-oreille qui a fait ce film. J'en suis la preuve vivante... Je ne voulais pas y aller et avec deux avis archi favorables, dont le tien, j'y suis allée. Et quelle surprise ! Pas de bigoterie, non ! Juste comme tu dis huit hommes face à leur destin ! J'ai trouvé ce film d'une grande poésie et d'une grande beauté. La scène du "banquet final" si j'ose dire m'a profondément émue, la musique, leurs sourires, le vin, leur visage grave : tant d'émotions passent dans cette séquence. Et frère Luc, j'ai un vrai coup de coeur pour ce moine malicieux, intelligent et incroyablement sage. Pas de voyeurisme non plus : on est les témoins discrets de cette vie dans ce petit village. Non, je n'irais pas non plus me retirer dans un monastère, mais c'est vrai que l'invitation à réfléchir sur soi dans un endroit retiré est assez attractive !
RépondreSupprimerSilvia
Belle analyse, pertinente et sensible. J'y adhère en tous points. En effet, pour une fois que la question religieuse n'est pas plaquée voire prosélytique, il fait bon humer l'inspiration qu'elle génère. Elle renvoie aux doutes et questionnements intérieurs sur la caducité de la foi, vers d'autres oeuvres précédemment citées auxquelles s'ajoutent éventuellement "sous le soleil de Satan" ou "Léon Morin, prêtre".
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