mercredi 24 février 2010

Le sourire de Madiba

"Souvenez-vous de ce jour, les gars. C'est le jour où notre pays a mal tourné". 11 février 1990. Après 27 ans de captivité, Nelson Mandela quitte la prison de Robben Island. C'est un peu plus de quatre ans plus tard que le leader noir sud-africain deviendra président du pays. Sortie du dernier film de Clint Eastwood, Invictus, et de la bouche d'un entraîneur sportif (blanc) d'enfants (blancs), la petite phrase rappelle l'importance des préjugés dont l'ex-détenu a dû triompher pour accomplir son destin. Il n'aurait pas forcément été facile d'écrire un scénario sur la vie entière de celui que ses compatriotes appellent Madiba - d'autant qu'elle n'est pas terminée ! Pour lui rendre hommage, Eastwood s'est concentré sur l'un des épisodes marquants du début de la présidence Mandela: la préparation et la victoire surprise des Springboks à la Coupe du monde de rugby édition 1995. Ce faisant, et a fortiori en faisant appel à son ami Morgan Freeman pour endosser le rôle du vieux sage, le réalisateur américain élude une bonne partie de la complexité du sujet. C'est bien dommage, diront certains, car un traitement plus approfondi aurait offert davantage de nuances. Soit. Pour ma part, je ne juge pas qu'il ait été ici fait preuve de superficialité. Tâchons de vous l'expliquer.

Invictus n'est sans doute pas un chef d'oeuvre. Je le dis franchement et en tant qu'inconditionnel d'Eastwood: c'est vrai que ce n'est pas son meilleur film. Point d'emblée notable: pour la première fois depuis longtemps, ce cher Clint signe une oeuvre positive, je veux dire "qui finit bien". C'est d'ailleurs l'un des reproches qui lui est fait par la critique: donner dans l'hagiographie là où une approche un peu plus ambitieuse, plus complète, aurait pu apporter une autre densité au sujet retenu. Pour ma part, j'ai pris le film au premier degré, et donc sans le comparer à d'autres. Mon bilan général est donc positif. Il y a beaucoup de bonnes choses à retenir. Morgan Freeman ? L'acteur est tout à fait saisissant. Je suis souvent admiratif du culot des comédiens qui se permettent de jouer un personnage réel vivant, démarche du genre casse-gueule dont l'intéressé se tire à merveille. Dans la peau de François Pienaar, l'ancien capitaine des Springboks, Matt Damon joue bien le coup, lui aussi. Et si le reste du casting fait appel à des acteurs moins réputés, avec pour clin d'oeil un petit rôle pour Scott Eastwood, fils de Clint, l'ensemble tient franchement bien la route. On y croit d'autant plus volontiers que les protagonistes paraissent crédibles en idoles des stades, enceintes à l'ambiance vraiment bien rendue - mieux que celle des phases de jeu, en fait.

Sur le plan du scénario, maintenant, l'histoire est si connue désormais que le film se déroule évidemment sans surprise majeure. Ce n'est pas franchement un problème. Même si on sait bien comment tout cela va finir, on peut (re)prendre du plaisir à suivre toute la progression dramatique dans les pas d'Easwood. Aspect remarquable, le cinéaste est extrêmement sobre. Lui qui dénonce habituellement avec virulence les dérives de la société américaine moderne et la corruption de certaines de ses élites reste ici franchement sur la retenue, sans doute par respect pour son sujet. Exemple: à mes yeux, l'une des très belles scènes d'Invictus illustre la visite des Springboks sur Robben Island, dans ce qui fut donc jadis la prison de Mandela. J'apprécie particulièrement la manière dont est filmée la prise de conscience de François Pienaar, dans une cellule tellement petite que, porte fermée, il réalise qu'il ne peut complètement étendre les bras. Le message passe sans qu'aucun mot ne soit prononcé. Pendant près de deux heures, entre hommes noirs et hommes blancs, de nombreuses choses signifiantes transitent ainsi par les regards. Rassurez-vous: il y a aussi de très beaux textes pour appuyer le propos du film. Ainsi, en plus du poème qui lui a donné son nom, le long métrage comporte-t-il quelques discours majeurs du président sud-africain ou de son compatriote rugbyman. Pour peu qu'on se laisse embarquer à leurs côtés dans l'espérance d'une nécessaire réconciliation, on ressort de la séance gonflé à bloc. Et en ce temps où une certaine France parle à tort et à travers d'identité nationale, ça fait très franchement beaucoup de bien. Eastwood n'a pas signé un grand film, mais en a réalisé un bon. Indéfectible admirateur, j'attends avec impatience le prochain !

7 commentaires:

  1. Salut Martin,
    Je viens de le regarder et j'ai bien aimé. La tâche pour Mandela n'a pas été facile et rapprocher tout un pays pour la cause de gagner la coupe du monde a été grandement réussi. Je trouve cette partie de la vie de Mandela a été bien réalisée.
    Il est vrai que ce n'est pas le meilleur film d'Eastwood mais ça reste quand même un bon film.
    A bientôt.
    Seb

    RépondreSupprimer
  2. Film putassier, très certainement de commande ou ayant pour but de caresser l'establishement bien pensant dans le sens du poil (en vue de pouvoir financer une œuvre plus personnelle ?).
    Bon sentiments à tous les étages.
    Aucune remise en question de la version officielle de l'Histoire.
    Les braves Blancs nullards secourus par les Noirs super sportifs...
    Nul et sans intérêt (deux tentatives de visionnage, deux abandons avant la fin !)
    Le plus mauvais d'Eastwood, de loin, en ce qui me concerne (et pourtant, il y en a d'autres, mais sans prétentions, eux, ce qui est pardonnable.
    Bien cordialement.

    RépondreSupprimer
  3. Hello Seb, au passage !

    Quelle diatribe, Anonyme ! "Caresser l'establishment bien pensant dans le sens du poil", ça me paraît un argument un peu trop facile. Je ne vois pas en quoi ce film serait prétentieux. Ce n'est sans doute pas le meilleur Eastwood, je suis d'accord avec vous sur ce point, et vous avez évidemment le droit de ne pas l'aimer.

    RépondreSupprimer
  4. Bonjour.
    Oui, c'est vrai.
    Qui aime bien châtie bien.
    Le traitement des événements est tellement conventionnel et dans l'air du temps, dégoulinant de mièvrerie de "bons" sentiments !
    Il est loin le temps de Harry, qui, lui, allait résolument à contre courant.
    C'est ce qui me fait penser à un film de commande de la part d'Eastwood, pour faire entrer la monnaie ou s'attirer les bonnes grâces des producteurs d'Hollywood ("Mémoire de nos pères" a été particulièrement déficitaire, je crois).
    Mission accomplie, d'ailleurs, à ce niveau.
    C'est son seul film que je ne suis pas parvenu à visionner jusqu'à la fin ( oui : même ceux avec l'orang-outan sont passés comme une lettre à la poste, même Bird, qui m'a ennuyé par son formalisme sans passion !!).
    Trop dans l'air du temps, vraiment !
    Niais !
    Bien cordialement à vous et merci pour votre blog. Yves.



    RépondreSupprimer
  5. Je comprends ce que vous voulez dire. Merci, d'ailleurs, d'amener du débat.
    Je reconnais volontiers être assez tolérant avec ce bon vieux Clint. Une histoire de mémoire affective...

    Personnellement, je ne trouve pas que "Invictus" soit mièvre. Il est sans doute plus "consensuel" ou "simpliste" que d'autres dans la filmographie d'Eastwood, mais ça ne me choque pas: je le prends pour une fable et je m'accommode de ses imperfections.

    De mon point de vue, il faut bien distinguer la démarche d'Eastwood réalisateur de son travail comme acteur. N'oubliez pas que les films avec l'orant-outang ("Doux, dur et dingue" et "Ça va cogner !") n'ont pas été réalisé par lui. "Bird" oui, c'est vrai.

    En outre, devant ou désormais uniquement derrière la caméra, il me paraît clair qu'au fil du temps, ce qu'il tâche d'exprimer par son oeuvre change. Et qu'il ne peut pas toujours être à la hauteur de sa meilleure réputation.

    RépondreSupprimer
  6. Vous avez absolument raison.
    Je dois que j'aime énormément Eastwood, tant l'acteur que le réalisateur.
    A peu près tout ce qu'il a fait, d'ailleurs.
    Pour moi, c'est un peu John Wayne et John Ford en un !
    Comme pour le précités, il y a quelques baisses de régime dans sa filmographie, et c'est bien compréhensible.
    Un monument (une légende vivante).
    Cordialement (et sans rancune aucune). Yves

    RépondreSupprimer
  7. Sans rancune aucune, Yves, soyez-en assuré.
    N'hésitez pas à revenir sur ce blog partager vos intérêts et avis argumentés.

    RépondreSupprimer