vendredi 28 septembre 2012

La folie du conquérant

Werner Herzog a eu du cran. Quand, à l'aube des années 70, il a décidé de s'embarquer vers la forêt amazonienne pour y tourner Aguirre, la colère de Dieu, le réalisateur n'avait pas 30 ans. On dit qu'il lui aura suffi de six semaines pour tout mettre sur bobines. Généralement, la légende affirme aussi que le tournage aura été entrecoupé de vives disputes entre le cinéaste et son acteur principal, Klaus Kinski. Ce qui est montré à l'image suggère d'ailleurs clairement que cette "escapade" n'aura pas été une partie de plaisir. Et quatre décennies plus tard, le film n'a rien perdu de sa puissance.

L'action d'Aguirre, la colère de Dieu est située en 1560. Le roi Philippe II d'Espagne a envoyé ses conquistadors en mission exploratoire sur le continent américain. Quand le long-métrage commence, une troupe de centaines d'hommes, esclaves "indiens" compris, dévale la montagne et s'enfonce dans la jungle. La tâche s'avérant particulièrement périlleuse, le commandant en chef décide de désigner un petit groupe d'éclaireurs pour trouver des vivres supplémentaires et repérer les éventuels ennemis sur le chemin. L'enjeu est de taille: à terme, il s'agit ni plus ni moins de ramener vers la mère-patrie l'or du mythique El Dorado. Le scénario s'intéresse alors au devenir de ces hommes envoyés vers l'avant. Parmi eux, dans le rôle-titre, il y a donc l'incroyable Klaus Kinski. Avec une carrière débutée en 1948, le comédien, déjà bien avancé dans la quarantaine, n'est plus franchement un jeune premier. Il joue ici constamment sur le fil du rasoir. Son rôle l'habite totalement. Gros plan sur une grande, très grande performance d'interprétation.

L'intérêt du film ne se limite toutefois pas à ce jeu un peu fou. Candidat au César du meilleur film étranger, le long-métrage marquait à l'époque un certain renouveau du cinéma allemand. Constat d'évidence: bien que racontée en costumes, cette histoire mégalomaniaque peut aussi trouver des résonances actuelles. Certes passablement funeste, l'ambition démesurée des conquérants espagnols du 16ème siècle reste finalement très humaine. L'aventure cinématographique de ces diables d'hommes s'inspire d'ailleurs d'éléments historiques avérés, qu'elle ne modifie qu'à la marge. Aguirre, la colère de Dieu reste un film bien ancré dans son époque. Napée de synthétiseurs, sa très curieuse bande originale vient ajouter au sentiment de malaise que fait naître la contemplation passive de ce triste spectacle. Sur le plan formel, je salue encore l'audace d'une mise en scène sur site, au mépris parfois des dangers de la nature. C'est ainsi que peuvent naître les grands films. Beaucoup de réalisateurs d'aujourd'hui feraient bien de s'en souvenir.

Aguirre, la colère de Dieu
Film allemand de Werner Herzog (1972)
Pour les risques qu'il faisait courir à ses acteurs, Werner Herzog serait paraît-il comparé à Sergio Leone, son homologue italien. Quelque part, je me dis donc que ce cinéma sans compromis permet de voir de grandes choses. Pas question de me plaindre ! Et sachant qu'il est ici question de remonter un fleuve, il me paraît bien difficile de ne pas citer Apocalypse now en autre point de comparaison possible, folie du projet comprise. Maintenant que j'ai eu l'occasion d'apprécier les deux films, je peux également confirmer que celui d'aujourd'hui peut former un diptyque avec Fitzcarraldo, oeuvre postérieure du même réalisateur. Il n'y a là que du grand cinéma !

----------
Pour un autre regard sur le film...
Je vous recommande de lire l'analyse du blog "L'oeil sur l'écran".

4 commentaires:

  1. Deux aspects rarement soulignés dans le travail en commun de ce couple d'Ennemis intimes, pour reprendre le titre d'un beau documentaire : l'humour, certes souvent noir, de Herzog, et la tendresse, certes souvent rare, de Kinski...
    http://lemiroirdesfantomes.blogspot.fr/2014/12/je-suis-un-aventurier-breve.html?view=magazine

    RépondreSupprimer
  2. J'ai hâte de les retrouver, ces deux-là. Je tâcherai de me souvenir de cette observation de votre part, Jean-Pascal. L'occasion d'en rediscuter.

    RépondreSupprimer
  3. J'ai vu ce film sept ou huit fois,toujours aussi estomaqué.

    RépondreSupprimer
  4. Je peux comprendre ! Les fulgurances du duo Herzog / Kinski, c'est quelque chose !

    RépondreSupprimer