mardi 8 mai 2012

Derrière les grilles

Une chronique de Martin

Derrière les grilles du château de Versailles, Sidonie et Honorine surveillent le roi. Nous sommes au mois de juillet 1789 et les couloirs du palais bruissent d'une incroyable rumeur: en révolte, le peuple aurait pris la Bastille, tranché la tête de son gouverneur et libéré quelques pauvres hères qui traînaient par là. Les petites servantes de la reine Marie-Antoinette ont bien du mal à y croire et pourtant...

Un chat organisé il y a quelques semaines par le journal Libération m'a permis de demander à Benoît Jacquot pourquoi il s'est intéressé à la femme de Louis XVI. J'ai eu la chance qu'il me réponde: "Sa fin tragique a été comme emblématique de la fin d'un monde. Et la fin de ce monde, c'est le début d'un autre". Le réalisateur a aussi évoqué une souveraine étrangère pour le peuple de France. Celle qu'on a appelé l'Autrichienne a su le fasciner pour sa dualité et les évolutions de son comportement. "Elle a d'abord été une jeune femme frivole, légère, une princesse capricieuse, pour devenir, au cours des jours que j'ai essayé de représenter, une reine de tragédie". On l'a dit avant moi: Les adieux à la reine porte toutefois un titre trompeur. C'est la reprise de celui du roman dont le film est tiré, c'est vrai. Reste que le premier personnage n'est pas celle que l'on peut croire. L'héroïne, en fait, c'est bel et bien Sidonie, une jeune femme dévouée à sa royale patronne, à son service pour lui faire la lecture selon l'étiquette et son bon plaisir du moment. D'où vient-elle exactement ? A-t-elle un protecteur ? Un amant ? Personne ne le sait. Inutile d'espérer des indices: il faudra attendre la fin de l'histoire. L'intérêt du film est ailleurs. Dans le devenir de cet improbable duo.

Un duo qui est en fait un trio, puisqu'aux côtés du personnage imaginaire de la lectrice, Benoît Jacquot ressuscite une femme tierce. Gabrielle de Polastron, duchesse de Polignac, a existé, elle. Quoique son aînée de quelques années, elle fut un long moment l'amie et la confidente de Marie-Antoinette, ainsi que la gouvernante des enfants du couple royal. Sans entrer dans le détail, le scénario suggère qu'elle aurait pu être davantage aux yeux de la reine. Maintenant, qu'en dire ? Les adieux à la reine est un beau film. Ayant choisi de laisser la Révolution hors-champ, le réalisateur gagne toutefois son pari d'une reconstitution crédible et flamboyante. Costumes, décors et même musique: le travail des équipes techniques est remarquable. Une vraie force pour un film au rythme étonnamment lent. Ce n'est pas tout à fait un défaut. Si les scènes sont longues, elles ont le mérite de bien camper les protagonistes. Léa Seydoux, Diane Kruger et Virginie Ledoyen m'ont convaincu. L'enjeu dramatique se dévoile petit à petit et c'est une fois attaché aux trois femmes de ce drame que j'ai finalement mieux su mesurer le pathétisme de leur destinée. Le long-métrage aborde pudiquement la palette des sentiments, entre attachement, respect et amour. Discutable, pas... révolutionnaire, mais finalement assez touchant.

Les adieux à la reine
Film français de Benoît Jacquot (2012)
La comparaison avec le Marie-Antoinette de Sofia Coppola s'impose d'elle-même. Rien à voir, pourtant, dans le traitement. À la fable moderne et américaine sur l'adolescence contrariée, le cinéaste français répond par une cartographie du Versailles intime. Stupeurs et tremblements à la Cour de France, avec une situation si imprévue qu'elle est - fatalement - ingérable. En Chine et avec bien plus d'éclat encore, avec également de très nombreux sous-thèmes, c'est un peu ce qu'avait montré Bernardo Bertolucci dans Le dernier empereur.

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