jeudi 10 septembre 2009

Midi pile

Jack Bauer n'a rien inventé. Bien avant la série 24, le cinéma découvrait l'efficacité du temps réel. Découvrir, moi, une intrigue censée se dérouler sur une petite heure et demie, et un film qui tient pratiquement la même durée, je crois que cela ne m'était jamais arrivé. Tout a changé dernièrement quand j'ai (enfin !) pu visionner Le train sifflera trois fois, immense standard du western américain, avec l'incontournable défenseur de l'opprimé, Gary Cooper lui-même, et la magnifique et pas encore princesse Grace Kelly. Je m'attendais à évoluer en terrain connu et c'était bien le cas, mais il convient toutefois de signaler que ce long métrage de 1952 recèle également quelques surprises. Je vais y revenir. Avant cela, un petit mot d'introduction sur l'intrigue. Ce n'est pas très compliqué: le jour même de son mariage et de son départ à la retraite, le shérif Kane apprend le retour en ville, par le train de midi pile, d'un dénommé Miller, un homme qu'il a conduit à la prison. Trois acolytes attendent d'ailleurs l'intéressé à la gare et on comprend vite que le quatuor ainsi formé n'est pas franchement armé des meilleures intentions...

Pour en savoir plus, et même si la fin reste assez prévisible, il faudra donc attendre une petite heure et demie que le fameux train arrive enfin et annonce la descente d'un passager... en sifflant trois fois. Pas question pour moi d'en dire trop, mais notons tout de même simplement que la confrontation finale se règle en 5-10 minutes maximum. L'intérêt du film réside en somme presque exclusivement sur l'attente et le comportement des hommes devant le danger approchant. Classique, oui, mais pas seulement. Là où il y a d'emblée quelque chose d'atypique dans cette histoire, c'est très probablement dans le fait que Kane, bien qu'informé de l'arrivée de criminels revanchards, commence par quitter la ville. Attention: Le train sifflera trois fois n'est toutefois, et bien évidemment, pas le récit d'une dérobade. Au contraire, l'homme à l'étoile finit par rebrousser chemin et faire face à son destin. C'est un peu comme une tragédie classique, si vous voulez: unité de lieu, unité de temps et unité d'action. Enfin, presque, dans la mesure où le héros doit affronter deux dangers et non un seul: la mort et la perte de sa jeune épouse. Mais là encore, motus ! Vous n'avez qu'à voir par vous-mêmes comment il parvient à se sortir de cette délicate situation... ou pas.

Je parlais tout à l'heure de ce que le film avait d'atypique. Sur le plan strictement formel, d'abord, on notera que Fred Zinnemann, réalisateur, a choisi de tourner en noir et blanc, et ce alors même que le technicolor est en pleine expansion. Ce choix étonnant donne au long-métrage un aspect très dépouillé, pas déplaisant du tout. Comme dans un Sergio Leone, il y a aussi pas mal de silences, sans que cela nuise à l'action, bien au contraire. Dès les premiers plans fixes, j'ai reconnu Lee van Cliff dans la peau d'un des quatre tueurs, et il est notable que, pour son premier rôle, la future brute n'a pas une ligne de texte à prononcer ! Le train sifflera trois fois est aussi intéressant pour la galerie de personnages qu'il propose, notamment dans ces rôles de femmes. Loin de la godiche, les héroïnes du film ont beaucoup de caractère, et souvent même plus que les hommes qui se croient capables de les impressionner ou aptes à les protéger. Je citerai pour l'exemple cette Mexicaine déterminée que joue joliment Katy Jurado, liée tant au shérif qu'à l'homme qui veut venir le tuer, et capable d'assumer seule les difficultés que ça génère. Bref, pas étonnant pour moi que ce western-là soit encore considéré comme un mythe: c'est sans doute l'un des meilleurs que j'ai eu l'occasion de découvrir. Enfant ou ado, j'en ai pourtant vu beaucoup !

6 commentaires:

cd a dit…

que dire .....

et oui 24h existait version NB.....

excellent film !!!

Monique Volland a dit…

Le western vu sous le prisme du symbole
Qui n’a pas vu ce western mythique de Fred Zinneman « Le Train Sifflera Trois Fois » ? Personnellement je l’avais vu deux ou trois fois, d’un œil distrait, comme on regarde ce genre d’intrigues typiquement américain emprunt de manichéisme et de naïveté. Hier soir cependant, je l’ai regardé avec un œil nouveau et attentif ; toute la symbolique du chiffre « trois » m’est apparue répétée tout au long du film.
• Dans le titre : le train sifflera TROIS fois. Signal anxiogène que va guetter le spectateur tout au long du film.
• Dans la structure : la règle des TROIS unités du théâtre classique est rigoureusement respectée. L’unité d’action, (la seule action est l’antagonisme entre l’ex-shérif, responsable de la mise en prison de l’assassin, et le retour de l’assassin qui veut sa vengeance). L’unité de lieu (tout se passe dans la bourgade d’Hadley). L’unité de temps : l’intrigue se passe en 90 minutes, durée exacte du film, rythmé par les plans des différentes montres, horloges, ou autre marquant l’heure, contribuant à la montée de l’angoisse. Ainsi, tous les ingrédients d’un drame racinien sont mis en place.
• Dès le premier plan, TROIS hommes descendent du train, les trois hommes de main de l’assassin libéré
• Les TROIS personnages principaux, repris dans maints westerns :
o Le bon : le shérif intègre, interprété par un Gary Cooper, partagé entre son devoir et la promesse de non-violence faite à sa quaker de femme (Grace Kelly),
o La brute : le train, porteur de mort assurée, mais aussi symbole de l’avancement inéluctable vers son destin.
o Le méchant : l’assassin de retour assoiffé de vengeance
Je les définis ainsi, car de toute évidence, ce film a inspiré beaucoup de scènes des films de Sergio Léone, dont le célèbre « Le bon, la brute et le méchant » pour ne pas ne le nommer.
• TROIS : il n’y a jamais de couple sans troisième, -la maîtresse, ou l’amant, corollaire du couple- ici c’est l’ex-maîtresse, rôle secondaire, mais catalyseur, puisqu’il va causer la démission de l’adjoint au shérif, laissant notre héros seul face à son destin.
• Enfin, le numéro TROIS, inscrit sur la locomotive quand arrive, à toute vapeur, le train. On ne peut s’empêcher de penser aux Parques : les trois divinités de la destinée humaine : Clotho, Lachésis et Atropos.
Mise à part la fantaisie de cette analyse, le film plaisant, reste démodé par le trait manichéen et l’heureuse fin, comme il se doit, de tout film américain. On y retrouve tous les poncifs des westerns : la bagarre dans le saloon, l’ivrogne qui propose ses services, mais est repoussé, l’ado qui rêve de ressembler au shérif, son idole, également repoussé, l’ami fidèle qui tourne le dos en se cachant derrière sa femme, les fidèles dans la petite église qui ne prend pas parti, les rues soudain désertées quand le train siffle trois fois.

Jean-Pascal Mattei a dit…

Le film vaut aussi pour sa dimension métaphorique sur le maccarthysme et la Shoah...
http://lemiroirdesfantomes.blogspot.fr/2014/07/le-train-sifflera-trois-fois.html?view=magazine

Martin a dit…

@Jean-Pascal:

Sur le maccarthysme, je vois à peu près ce que vous voulez dire. Quant à la Shoah, oui, peut-être. Je ne sais pas si c'était dans les intentions de Zinnemann, mais c'est envisageable. Vous avez plus d'infos sur le sujet ?

Jean-Pascal Mattei a dit…

Zinnemann perdit ses parents durant l'Holocauste, comme disent les Américains, et aborda de façon plus directe ce deuil intime avec le réaliste et métaphorique Les Anges marqués, récemment remaké (et largement transposé) par Michel Hazanavicius avec The Search...

Martin a dit…

Merci pour cette précision, Jean-Pascal. Je vais considérer le film d'un oeil nouveau.